Chroniques

Affaire de Roanne : violence légitime et autodéfense, par Régis de Castelnau

L'affaire du père de famille de Roanne qui s'est fait justice lui-même en rouant de coups l'agresseur présumé de sa fille de six ans, révèle la défiance de l'opinion à l'égard des institutions policière et judiciaire, incapables de les défendre.

Il y a plusieurs affaires d’autodéfense dans l’actualité et notamment celle de Roanne, qui a vu un père de famille rouer de coups une personne qu’il accusait d’avoir sexuellement agressé sa fille de six ans à son domicile. Après l’affaire Lola, l’opinion publique s’est enflammée et a massivement pris le parti du père de famille.

Les belles âmes, Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, en tête, fidèles à leurs habitudes, se sont précipitées pour donner des leçons de morale à des couches populaires en témoignant encore une fois du mépris qu’elles leur portent. Le Garde des Sceaux s’étant exprimé par la fameuse formule : «Il n’y a pas d’insécurité en France. Simplement un sentiment d’insécurité».

Vers une aggravation ?

En refusant de comprendre que le problème ne réside pas dans ce soutien à un acte d’autodéfense mais dans l’énorme défiance du peuple français désormais vis-à-vis de la police et de la justice dans l’accomplissement de leur mission de protection des citoyens. Les débordements liés à l’exercice de formes de vengeance privée sont encore assez peu nombreux. En revanche, ce qui est grave, c’est qu’ils sont compris et soutenus par la population et que les choses pourraient s’aggraver.

Maître Régis de Castelnau est avocat à la cour, animateur du blog Vu du droit. Il écrit pour le magazine Causeur et commente l’actualité.

Revenons rapidement sur la façon dont se pose le problème et les raisons qui nourrissent cette défiance massive de l’opinion publique française, en particulier vis-à-vis de sa justice.

Chacun sait bien que l’Etat est actuellement défaillant

Dans un système civilisé, c’est l’État qui est titulaire de ce que l’on appelle la «violence légitime». C’est-à-dire qu’il a le droit de punir ceux qui transgressent la loi sociale. C’est en fait un mandat qui lui est donné par le souverain (en l’occurrence le peuple), en contrepartie de sa protection. Les citoyens renoncent à se faire justice eux-mêmes, déposent les armes, seul l’État bénéficiant du privilège de les porter. En ce qui concerne la justice, celle-ci est chargée du pouvoir de punir. C’est-à-dire par l’intermédiaire du pouvoir sur les corps d’infliger une violence aux contrevenants. Comme l’est évidemment l’emprisonnement. Ce pacte implique que l’État accomplisse efficacement sa mission et assure la protection des citoyens.

Chaque année en France, 2 millions d’infractions dont les auteurs sont connus restent non poursuivies

Chacun sait bien qu’il est actuellement défaillant et que ces grandes fonctions régaliennes sont aujourd’hui à l’abandon. Faute de moyens concernant la police et pour des raisons politiques et idéologiques concernant la justice, l’évidence de la dégradation de la sécurité quotidienne des Français saute aux yeux. Comment comprendre que la ville de Nantes autrefois paisible soit devenue, constat ahurissant, une des villes les plus dangereuses du monde ? Et comment s’étonner que dans cette situation existe la tentation chez les citoyens d’une violence punitive ?

Olivier Véran en sortie de Conseil des ministres.

Un père venge sa fille à Roanne : l’exécutif admet «l’émotion» mais craint la justice privée

Le bloc élitaire, c’est-à-dire les couches supérieures de la société, s’est répandu par ses moyens d’expression en leçons de morale, en rodomontades et autres inepties en revendiquant en général le fameux «État de droit». Ce concept qui postule le nécessaire respect par l’État de sa propre légalité n’a rien à voir avec notre sujet.

Le concept d’Etat de droit, qui postule le nécessaire respect par l’Etat de sa propre légalité, n’a rien à voir avec notre sujet.

La question est bien, répétons-le, celle de la violence légitime dont l’État est titulaire et qu’il n’utilise plus. Éric Dupond-Moretti, dans son registre habituel à base d’éructations arrogantes, a avancé un certain nombre de statistiques selon lesquelles la sévérité de la justice se serait accrue depuis 20 ans. Il se moque du monde en produisant des éléments biaisés concernant l’augmentation moyenne des peines infligées par les tribunaux. Le Garde des Sceaux mélange les choux et les carottes et se garde bien de présenter lesdites statistiques par catégorie d’infractions. Ou bien oublie de rappeler qu’en France, près de 2 millions d’infractions par an avec auteurs connus ne sont pas poursuivies sur décision des parquets. Et il faut savoir qu’il s’agit essentiellement de ces violences et atteintes aux biens quotidiennes, celles qui pourrissent la vie des citoyens et les exaspère. Ensuite concernant ces peines dont Éric Dupond Moretti prétend qu’elles augmentent, il ne faut pas oublier que faute de moyens une grande part d’entre elles ne sont jamais exécutées.

Armé de ces mauvais arguments, il réfute ainsi l’accusation de laxisme lancé à la Justice française. Alors qu’il s’agit pourtant d’une réalité, le problème étant que ce laxisme varie selon les domaines.

Les magistrats, trop politisés ?

La sévérité dont Éric Dupond-Moretti nous dit qu’elle s’est accrue n’existe pas dans tous les domaines. Il y a effectivement celui des infractions à caractère sexuel, et surtout la justice est brutale avec les couches populaires, comme l’a démontré la répression des mouvements sociaux et en particulier celui des Gilets jaunes. En revanche, et c’est tout le problème, elle est indulgente avec la délinquance quotidienne exercée en général par les populations issues de l’immigration récente. Cette délinquance a des causes sociales évidentes. Et c’est là où se manifeste la politisation du corps des magistrats.

Il ne s’agit pas de dire qu’ils défendent tel ou tel parti, mais ayant acquis leur autonomie et leur indépendance, ils se déterminent non plus en statuant au nom du peuple français, mais par rapport à leur idéologie. Qui est celle de la sociologie de leur corps, celle de la petite bourgeoisie éduquée. Cela se manifeste par le soutien à Emmanuel Macron et à son système. Ils lui ont permis son arrivée au pouvoir en 2017 avec la disqualification de François Fillon. Depuis cette date, ils lui évitent, ainsi qu’à ses amis, tout ennui judiciaire sérieux. 

Cela se manifeste par l’instrumentalisation des procédures à l’encontre de ceux qui s’y opposent et par la violence de la répression dont les mouvements sociaux sont victimes. S’y ajoute, et c’est tout à fait cohérent, une perméabilité importante vis-à-vis de l’idéologie sociétale qui s’exprime dans une incontestable mansuétude vis-à-vis de la délinquance et des violences quotidiennes qui nourrissent la montée du sentiment d’insécurité.

La nature du problème est donc totalement politique. Cela nécessiterait des réformes importantes qui permettraient de restaurer la légitimité de la justice aujourd’hui lourdement mise en cause par l’opinion publique.

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau : l’agression du jeune Augustin «relève d’un phénomène de masse» (ENTRETIEN)

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