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De la marginalisation à la lumière, les fruits de la realpolitik de MBS en 2022

L'année écoulée, le prince héritier saoudien a été tour à tour conspué, sermonné et mis au ban par les Occidentaux puis courtisé à l'aune des difficultés énergétiques. MBS a su réinvestir l'échiquier mondial en jouant des différentes alliances.

L’art de la politique est de savoir naviguer en eaux troubles. 2022 est assurément l’année de tous les bouleversements pour le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. A 37 ans, l’homme fort du royaume wahhabite est en effet passé du statut d’infréquentable aux yeux des chancelleries occidentales à celui de dirigeant à qui l’on fait la cour. 

MBS a également joué sa partition en prenant quelque peu ses distances avec son principal allié américain pour renforcer ses liens avec l’Empire du Milieu.

Joe Biden prévoit de rencontrer à Riyad  le prince Mohamed ben Salmane, posant sur cette photo lors du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à Riyad, le mardi 14 décembre 2021 (illustration).

Pétrole : Joe Biden prévoit une visite controversée à Riyad pour tenter de faire baisser les cours

Tout un symbole, il recevait début décembre le président chinois pour une visite de trois jours dans la capitale saoudienne. Pékin et Riyad ont conclu pas moins de 34 contrats pour un montant avoisinant les 30 milliards de dollars. Les échanges commerciaux bilatéraux ont représenté 76,9 milliards d’euros en 2021, et 26 milliards d’euros rien qu’au 3e trimestre 2022. De quoi irriter l’oncle Sam, sachant que leurs échanges avec le royaume saoudien était de 29 milliards sur l’ensemble de l’année 2021. 

Pourtant ce sont bel et bien les conséquences du conflit en Ukraine qui ont projeté l’Arabie saoudite au centre des convoitises internationales. Retour sur une année 2022 riche en rebondissements géopolitiques pour Riyad. 

Washington veut arrimer l’Arabie saoudite à son opposition à la Russie 

Dès le lancement de «l’opération militaire spéciale» russe en Ukraine, les chancelleries occidentales ont appliqué une série de sanctions économiques contre Moscou. La question était de savoir si Riyad, alliée traditionnelle de Washington, allait emboîter le pas. Lors du vote à l’ONU le 2 mars 2022, l’Arabie saoudite vote en faveur d’un retrait des troupes russes du territoire ukrainien. 

Cependant pour la Maison Blanche cette condamnation de Moscou n’est pas suffisante, il faut s’attaquer aux finances russes et notamment à sa rente issue de la vente d’hydrocarbures. Dès lors, Joe Biden va s’empresser de s’entretenir avec ses homologues du Golfe, notamment Mohammed ben Salmane et l’homme fort des Emirats, Mohammed ben Zayed. Or les deux dirigeants arabes ont boudé à plusieurs reprises les appels du président américain, révèle le Wall Street Journal dans un article datant du 8 mars 2022.  

Des torchères brûlent l'excès de gaz sur le site de Mushrif à l'intérieur du champ pétrolier et gazier de Zubair, au nord de la province irakienne de Bassorah, le 13 juillet 2022 (image d'illustration).

L’Opep+ maintient sa décision de réduire la production de pétrole d’ici la fin 2023

Compte tenu des difficultés grandissantes sur le vieux continent et en Occident en matière d’approvisionnement énergétique, les chancelleries américaines et européennes multiplient les courbettes diplomatiques pour reprendre contact avec MBS. Malgré les supplications occidentales pour que Riyad augmente sa production pétrolière pour diminuer le prix du baril et ainsi empêcher la Russie de renflouer ses caisses, l’Arabie saoudite s’est alignée sur les vues de Moscou au sein de l’Opep en maintenant un prix du baril à 117 dollars.

De ce fait, plusieurs voix outre Atlantique commencent à s’élever pour remettre en question l’alliance avec la monarchie wahhabite. Le Foreign Policy publie même un article le 22 mars 2022 intitulé «Biden devrait punir l’Arabie saoudite pour avoir soutenu la Russie». En d’autres termes, déçu du non alignement saoudien, certains préconiseraient donc des mesures coercitives. 

L’Occident fait la cour à MBS

Conspué et marginalisé après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul en octobre 2018, le prince héritier d’Arabie saoudite avait même fait l’objet d’une réprimande particulière de la part du nouveau locataire de la Maison Blanche. Lors de sa campagne présidentielle, Joe Biden avait ainsi promis de le traiter en «paria» mais également de «recalibrer» ses relations avec Riyad. Les hostilités en Ukraine ont obligé les Etats-Unis à revoir leur copie.

Le président américain s’est en effet rendu à Riyad à la mi-juillet. Délaissant le moralisme de sa campagne, il a tout de même rencontré MBS. Un déplacement sans résultat tangible. Le but affiché était de convaincre la monarchie de changer d’approche vis-à-vis du conflit ukrainien. L’homme fort de l’Arabie saoudite était de fait courtisé. Il se rend à Paris le 28 juillet pour son premier déplacement en Europe depuis l’affaire Khashoggi. Critiqué pour cette rencontre, le président français a dû réajuster sa relation avec la pétromonarchie dans un contexte d’envolée des prix de l’or noir. Puis vint le tour d’Olaf Scholz de faire le déplacement dans la capitale saoudienne le 24 septembre pour trouver une alternative aux hydrocarbures russes. 

Manifestation devant le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul le 25 octobre 2018 après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, (image d'illustration).

Meurtre de Kashoggi : un juge américain contraint de classer sans suite une plainte contre «MBS»

Malgré les sirènes de l’Occident, rien n’y fait, Riyad campe sur ses positions. Le 5 octobre, lors d’un sommet de l’Opep, les pays producteurs ont entériné la décision de diminuer la production de deux millions de barils par jour pour maintenir des prix élevés, une position qui a provoqué l’ire de Washington. «Je pense que le président a été très clair sur le fait qu’il s’agit d’une relation que nous devons continuer à réévaluer, que nous devons être prêts à revoir», avait déclaré à CNN le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby.

Washington tente tout de même d’arrondir les angles pour plaire à son allié saoudien. Impliqué dans le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, MBS, poursuivi aux Etats-Unis, se voit désormais protégé par l’administration de Joe Biden qui lui accorde une immunité en novembre. 

Riyad coupe le cordon ombilical avec Washington

Mohammed Ben Salmane est indubitablement devenu un dirigeant incontournable de l’échiquier mondial. Outre son importance dans les questions énergétiques, l’homme fort du royaume saoudien est en quête d’autonomie politique. Au lendemain du déplacement du président sud-africain dans la monarchie en octobre 2022, Cyril Ramaphosa a fait savoir que Riyad était intéressé à l’idée de rejoindre les BRICS. Cette hypothèse confirmerait davantage le changement géopolitique de l’Arabie saoudite.

De surcroît, après plus de dix ans de brouilles géopolitiques avec la Turquie, Erdogan s’est rendu en Arabie saoudite pour sceller la réconciliation le 28 avril dernier. Indépendamment de l’assassinat commis dans le consulat saoudien d’Istanbul, les deux pays avaient pris des chemins opposés lors des mal nommés «printemps arabes». Alors qu’Ankara avait pris fait et cause pour les mouvements révolutionnaires en Tunisie, en Egypte et en Syrie, l’Arabie saoudite plus modérée était partisane d’un statu quo. 

De plus, la présence appréciée de dirigeants saoudiens au mondial de football au Qatar a parachevé le renouveau des relations avec Doha après plusieurs années de crises diplomatiques. 

Seul petit ombre au tableau, les pourparlers avec l’Iran qui n’ont pas encore débouché sur un dégel. Les deux pays n’ont plus de relations diplomatiques depuis 2016. En avril 2021, les dirigeants iraniens et saoudiens s’étaient réunis à Bagdad pour tenter de désamorcer la crise. Plusieurs sessions de négociations ont eu lieu mais les récents mouvements de contestations en Iran ont ébranlé quelque peu la volonté commune de dialogue. 

MBS a ainsi su jouer habilement de ses forces pour faire monter les enchères auprès de ses partenaires occidentaux et a surtout montré son envie de ne plus être aligné sur les directives américaines. 

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