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Le recours aux cabinets de conseil était jugé «problématique» dès 2021 par la Cour des comptes

Révélé par le Monde, un rapport daté de fin 2021 montre que les magistrats de la rue Cambon avaient alerté le gouvernement des dérives liées à l’utilisation des prestations de conseil, en particulier dans le cadre de la crise sanitaire.

Jusqu’alors confidentiel, le rapport de la Cour des comptes dévoilé par Le Monde ce 12 décembre vient s’ajouter à la longue série de révélations sur les cabinets de conseil dont les prestations ont coûté fort cher au contribuable. D’après les magistrats, plusieurs contrats de conseil ont ainsi été conclus par l’Etat dans des conditions «problématiques» pendant la crise sanitaire liée au Covid-19.

Le «phénomène tentaculaire» décrit par la commission d’enquête du Sénat en mars 2022 avait ainsi fait l’objet d’une alerte de la part de la Cour des comptes dès décembre 2021, celle-ci ayant épluché une série de contrats passés avec les cabinets Accenture, Citwell, JLL, Roland Berger, et le désormais célèbre McKinsey.

Si le rapport n’apporte guère d’éléments nouveaux sur l’explosion des dépenses liées à ces prestations, «c’est l’organisation et le contenu de ces missions qui interrogent», relève le Monde, puisqu’ils ont, selon les auteurs du rapport, «souvent dépassé le cadre strict de l’apport d’expertises absentes dans le secteur public», argument qui a été utilisé à plusieurs reprises par les autorités pour justifier ces délégations de missions.

Des consultants employés pour des missions courantes

McKinsey, aux côtés d’Accenture, a par exemple été sollicité dans le cadre d’un appel d’offres lancé dès 2017 par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) pour contribuer à élaborer la stratégie de vaccination.

Une enseigne du cabinet de conseil en gestion McKinsey & Company (image d'illustration).

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Selon la Cour, il a ainsi «été considéré que la stratégie vaccinale pouvait être rattachée à la transformation publique», rattachement qui «apparaît largement artificiel», puisque la stratégie vaccinale «est une politique publique» à part entière, et pas une affaire de «conduite du changement» au sein de l’appareil d’Etat. Les deux cabinets devaient en effet mener des projets visant à améliorer l’efficacité de l’action publique et à en réduire le coût, des critères auxquels ne répondait pas la mission sur la stratégie de vaccination.

Par ailleurs, le cabinet Citwell, spécialiste de la logistique qui a perçu 2,3 millions d’euros pour huit missions réalisées en 2020, a «organisé les flux» (de masques, entre autres), dans le cadre d’un contrat attribué sans respecter la publicité et la mise en concurrence normalement obligatoires, ce que le gouvernement a justifié par «l’urgence impérieuse» de la situation. Or ce cabinet a ensuite reçu la responsabilité d’un périmètre «toujours plus large», notait la Cour des comptes, puisqu’il s’est vu confier les flux de médicaments utilisés dans les services de réanimation et même la logistique de la campagne de vaccination.

De surcroît, certains des consultants de Citwell ont directement travaillé au sein du ministère de la Santé, y assurant «l’exécution courante des missions» : trois à quatre employés à temps plein ont donc assumé des tâches incombant à des fonctionnaires.

Des délégations «anormales»

De la même manière, l’institution chargée de la bonne utilisation des deniers publics jugeait «anormale» la délégation au cabinet Roland Berger de missions relevant des attributions de l’administration, «alors même qu’il [le ministère de la Santé] est doté d’un puissant corps d’inspection interne [l’Inspection générale des affaires sociales], dont les membres ont toutes les compétences requises» pour répondre à une situation exceptionnelle. Roland Berger a ainsi œuvré, directement au sein de la Direction générale de la Santé (DGS), comme «rédacteur de nombreuses notes d’arbitrage et présentations adressées au cabinet du ministre sur des sujets relevant des attributions de la DGS».

La façade du ministère de la Santé à Paris (image d'illustration).

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La Cour des comptes recommande donc de «limiter strictement le recours aux cabinets aux seules missions techniques pour lesquelles les directions d’administration centrale du ministère de la Santé ne disposent pas des compétences requises en interne». Le nouveau cadre de recours aux prestations de conseil, applicable dès 2023, prévoit désormais que les cabinets doivent soit apporter des compétences dont ne dispose pas l’Etat «en interne», soit répondre à un besoin ou à une charge de travail ponctuels.

Comme le rappelle Le Monde, le ministre de la Santé de l’époque, Olivier Véran, avait assuré lors de son audition au Sénat en février 2022 qu’«il n’y [avait] eu aucune ambiguïté dans la nature des contrats qui ont été passés ni dans leur réalisation», ledit ministère n’ayant pas souhaité réagir à ces nouvelles révélations du quotidien. Tout en reconnaissant des «abus» dans ce recours à des consultants extérieurs le 27 novembre, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire avait affirmé que «cette dérive a été corrigée», notamment par une circulaire du Premier ministre Elisabeth Borne demandant au gouvernement de réduire de 15% les sollicitations de ces cabinets.

La Cour des comptes se penche actuellement sur le recours aux cabinets de conseil par l’Etat pris dans sa globalité et prévoit de publier un nouveau rapport au premier semestre 2023.

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