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Tout change pour que rien ne change ?

Le président Macron fraîchement réélu a promis de renouveler sa politique afin de faire face aux défis industriels, écologiques ou encore européens. Mais qu'attendre du nouveau gouvernement d'Elisabeth Borne ? Franck Pallet se penche sur son profil.

Le soir même de sa réélection, Emmanuel Macron nous a promis un changement de méthode quant à la manière de gouverner et que son second quinquennat serait différent du premier, après un bilan économique et social pour le moins mitigé. Une nouvelle période va ainsi s’ouvrir durant laquelle la France devra relever bien des défis, allant de la transition écologique, la conduite d’une véritable politique industrielle dans les secteurs d’avenir jusqu’à la définition d’une nouvelle dynamique pour l’Europe.

Il aura fallu plus de trois semaines à Macron pour nommer son nouveau Premier ministre, ce qui est sans précédent dans toute l’histoire de la Ve République. La durée moyenne pour cette désignation a été jusqu’alors de huit à dix jours. Plusieurs noms ont été évoqués, notamment des personnalités féminines aussi diverses que Christine Lagarde et Audrey Azoulay. Ce sera finalement Elisabeth Borne, polytechnicienne de formation, ingénieure générale des ponts et chaussées, successivement préfète de la Région Poitou Charente de 2013 à 2014 puis directrice de cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’Ecologie de 2014 à 2015, présidente de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) de 2015 à 2017 avant de devenir ministre chargée des Transports en mai 2017 dans le premier gouvernement Edouard Philippe, puis ministre de la Transition écologique et solidaire en juillet 2019, en remplacement de François de Rugy et en 2020 ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion dans le gouvernement Jean Castex.

«Hyperlibéralisme», «recyclage»... Les oppositions décortiquent le nouveau gouvernement


«Hyperlibéralisme», «recyclage»… Les oppositions décortiquent le nouveau gouvernement

Elisabeth Borne qui se déclare «femme de gauche», a non seulement occupé des fonctions ministérielles prestigieuses mais également difficiles avant sa nomination à Matignon.

on l’a accusée d’être le bras armé de la «casse sociale» répondant ainsi à la volonté réformatrice d’Emmanuel Macron dans le sens d’un démantèlement des services publics à la française

En effet, les réformes entreprises dans le cadre de ses postes ministériels, notamment de la SNCF puis de l’indemnisation du chômage en octobre 2020 lui ont attiré l’hostilité d’une partie importante des syndicats, à telle enseigne qu’on l’a accusée d’être le bras armé de la «casse sociale» répondant ainsi à la volonté réformatrice d’Emmanuel Macron dans le sens d’un démantèlement des services publics à la française, jugés trop couteux pour nos finances publiques et peu efficaces d’un point de vue économique par la Commission européenne.

A cet égard, Elisabeth Borne correspond parfaitement au profil pour occuper le poste de Premier ministre après l’insipide Jean Castex qui ne laissera pas un souvenir impérissable dans l’histoire contemporaine de notre pays. Quoi de plus normal pourrait-on dire, tant les premiers ministres successifs ont été le plus souvent relégués au rang de simples collaborateurs du chef de l’Etat, souvent même supplantés par le secrétaire général de l’Elysée, véritable éminence grise voire alter ego du président de la République. Claude Guéant sous la présidence Sarkozy et Alexis Kohler lui-même reconduit dans ses fonctions par Emmanuel Macron en sont, à cet égard, deux exemples caricaturaux.

Pour Emmanuel Macron, il fallait choisir une personnalité ne lui faisant pas d’ombre tout en faisant preuve de fermeté à l’égard des corps intermédiaires, notamment les syndicats, pour la réforme du régime des retraites, un dossier particulièrement sensible, dont le processus d’adoption avait été interrompu par la crise sanitaire de 2020-2021.

Il était difficile, dans ces circonstances, de mener jusqu’à son terme une telle réforme avant la fin du premier quinquennat, sauf à hypothéquer fortement toute chance de réélection du Président sortant.

Sous l’apparence d’une femme sympathique se cache en réalité une personnalité dure et brutale, peu encline au dialogue avec les partenaires sociaux

Sous l’apparence d’une femme sympathique se cache en réalité une personnalité dure et brutale, peu encline au dialogue avec les partenaires sociaux, envoyant la plupart du temps ses proches collaborateurs sur le terrain pour négocier avec les syndicats. On la surnomme même la «Margaret Tatcher» française.

Elle est l’exemple typique de cette gauche sociale-libérale acquise aux réformes imposées par la Commission européenne pour libérer notre économie des carcans de l’interventionnisme de l’Etat qui avait prévalu durant la période de reconstruction des années d’après-guerre et réduire au maximum le poids de l’Etat-providence, jugé trop coûteux pour nos finances publiques.

L’intransigeance et l’opiniâtreté d’Elisabeth Borne ont été poussées à leur paroxysme lors de la réforme de l’indemnisation du chômage en octobre 2020.

Ainsi, depuis le 1er décembre 2021, pour ouvrir ou recharger ses droits à l’allocation chômage, un demandeur d’emploi doit avoir travaillé au minimum 6 mois (au lieu de 4 mois auparavant) sur une période de 24 mois ou de 36 mois pour les salariés âgés de 53 ans et plus. Cette réforme a été sans doute la plus dure socialement de toute l’histoire de la Ve République. Même la droite ne s’y était pas jusqu’alors avisée. Plus d’un million de demandeurs d’emploi ont vu ainsi leurs allocations diminuer de 17% et tout autant ont été exclus de tout droit à indemnisation, dès lors qu’ils ne répondaient pas aux conditions nouvellement fixées par la Loi (les intermittents du spectacle, les travailleurs saisonniers…). C’est sans doute la réforme la plus inégalitaire jamais entreprise depuis le programme du Conseil national de la résistance de 1943.

Cette nomination à Matignon participe d’une volonté délibérée, celle de poursuivre et/ou de reprendre les réformes néolibérales figurant à l’agenda présidentiel, même si pour l’heure on a très peu de visibilité quant au programme à mettre en place tant il est flou. Mais on en imagine quelque peu les contours.

On sait d’ores et déjà que la réforme des retraites telle que proposée par Emmanuel Macron, portant l’âge de départ de 62 à 65 ans, se heurte à l’hostilité de l’ensemble des syndicats, y compris la CFDT jusqu’alors conciliante. Elisabeth Borne devra marcher sur un terrain miné et surtout révéler des qualités de négociatrice dont elle est à l’évidence dépourvue. En réalité, ce dossier sera piloté directement de l’Elysée et la Premier ministre n’en sera que la porte parole.

Un nouveau gouvernement éminemment de droite

Par delà la nomination d’Elisabeth Borne à Matignon, même si l’on doit se réjouir qu’une femme accède enfin à cette fonction depuis Edith Cresson en 1991, force est de constater que la composition de ce nouveau gouvernement à quelques semaines des élections législatives est éminemment de droite.

En effet, pour les ministères clés, Gérald Darmanin et Bruno Lemaire ont été reconduits dans leurs fonctions respectives, ce qui laisse augurer des politiques économiques sociales et sécuritaires qui seront conduites durant ce nouveau quinquennat.

Emmanuel Macron poursuivra, à l’évidence, sa «Révolution» libérale proposée en 2017

Emmanuel Macron poursuivra, à l’évidence, sa «Révolution» libérale proposée en 2017, laquelle a été quelque peu ralentie par le mouvement des Gilets Jaunes de novembre 2018 à fin 2019, la crise sanitaire de 2020 et la guerre en Ukraine depuis le 24 février 2022 dont l’évolution est des plus incertaine.

Cependant, le président de la République aurait tort d’entreprendre dès maintenant la réforme des retraites dans la mesure où selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites, la branche retraite est financièrement équilibrée grâce notamment à la réforme de Marisol Touraine, ministre de la Santé sous le quinquennat de François Hollande, ayant consisté à porter le nombre d’annuités à 43 pour percevoir une pension retraite à taux plein, et assurer ainsi la pérennité de son financement pour la prochaine décennie. Ce serait une erreur politique majeure qui risquerait de raviver une crise sociale qui placerait notre pays dans de plus graves difficultés. Bien d’autres dossiers sont prioritaires.

En effet, le premier défi du gouvernement sera de prendre les mesures nécessaires pour limiter les effets de l’inflation sur le prix des énergies fossiles, les denrées alimentaires et préserver le pouvoir d’achat des plus fragiles avant de remettre sur le tapis le projet de réforme des retraites à un moment où la France et le continent européen sont touchés par un fort ralentissement de l’activité économique. Nous sommes passés d’une période où l’argent était jusqu’alors «gratuit» à une économie de la rareté du fait d’un découplage accru de la demande par rapport à l’offre et d’un risque de pénurie de certaines denrées alimentaires comme le blé, qui est de nature à provoquer, à brève échéance, des situations de famine pour plus d’un milliard d’individus, notamment sur le continent africain et une partie de l’Asie.

Selon les prévisions économiques, notamment de l’INSEE et de l’OFCE, le taux d’inflation de notre pays ne retrouvera sa cible de 2% qu’en 2024 après une récession en 2023. Ce serait politiquement suicidaire pour le futur gouvernement issu de la majorité parlementaire que d’inscrire à l’ordre du jour de la prochaine session parlementaire d’automne une réforme des retraites rejetée par une large majorité de français.

Un programme encore flou

Quoi qu’il en soit, Elisabeth Borne aura la redoutable tâche non seulement de mettre en œuvre le programme du président de la République, même si celui-ci est pour l’heure bien flou, mais également de changer de méthode de gouvernement par rapport à ses prédécesseurs, si elle ne veut pas devenir très vite impopulaire dans l’opinion publique. Le spectre du mouvement des Gilets Jaunes n’a pas disparu. Notre pays a plus que besoin d’apaisement après avoir connu durant deux années des mesures de restriction des libertés particulièrement brutales du fait de la crise sanitaire, dont la plus symbolique, le port du masque obligatoire dans les lieux fermés et les transports, vient seulement d’être levée le 16 mai 2022.

Pour l’heure, avec la nomination de ce nouveau gouvernement, il est difficile de percevoir cet apaisement tant souhaité de la société française, tant la colère sociale est ancrée parmi les plus fragiles. Les Français ont besoin de retrouver la confiance en leurs élites et pour cela il est plus que nécessaire d’impulser une nouvelle dynamique à la vie démocratique.

On a vu précisément toutes les limites de la technocratie de notre administration durant la crise sanitaire qui a fait apparaître au grand jour les conséquences désastreuses des politiques jusqu’alors conduites par les gouvernements successifs ainsi que notre dépendance à l’égard de la Chine et de l’Inde par la pénurie de masques de protection et de certains médicaments. Quant aux hôpitaux publics, le Ségur de la santé de juillet dernier n’a pas tout résolu.

Si cette défiance à l’égard de l’élite politico-administrative et de nos institutions s’est pour un instant apaisée, elle reste malgré tout vivace et il suffit d’une petite étincelle pour la réveiller.

Enfin, n’oublions pas que nous sommes à trois semaines du premier tour des élections législatives. Tout peut encore basculer le 19 juin prochain en fonction de la majorité qui sortira des urnes. Il n’est pas encore acquis que LREM (devenue Renaissance) remporte ces élections même si les sondages créditent l’alliance des partis LREM, Modem et Horizons de 290 à 330 sièges. La Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) serait quant à elle la première force d’opposition avec 160 à 185 sièges de députés. Si une autre majorité devait l’emporter, nous aurions alors un gouvernement de cohabitation et le parlement retrouverait la plénitude de ses pouvoirs face à un président de la République qui n’aurait plus les moyens nécessaires à son action. Elisabeth Borne ne serait dans ces conditions plus qu’un vague souvenir qui ferait l’objet d’un petit paragraphe dans les manuels d’histoire. Ces serait une première passation de pouvoir après trois semaines de gouvernance.

Franck Pallet




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