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Ukraine : Bakhmout, la mère de toutes les batailles ?

Le secteur de Bakhmout est devenu l'un des principaux objectifs russes dans le Donbass. Depuis début octobre, la ville tenue par les Ukrainiens est la cible d'attaques répétées et de plus en plus violentes. Une analyse de Sylvain Ferreira.

Le verrou du nord du Donbass

Depuis la chute de Lysychansk le 2 juillet dernier, l’un des principaux points d’ancrage de la défense ukrainienne dans le nord de l’oblast de Donetsk s’articule autour de l’agglomération de Bakhmout. Comme toute ville de cette importance (70 000 habitants avant la guerre), elle offre en effet une position favorable à défendre à quelques kilomètres à peine du front, et peut abriter un nombre important de soldats, d’armes lourdes et de dépôts.

Sylvain Ferreira, est historien, journaliste, consultant TV et spécialiste de l’art de la guerre à l’époque contemporaine. Il est le fondateur du site «Veille Stratégique», et auteur de La bataille de Marioupol aux éditions Caraktère.

Située au carrefour de plusieurs axes routiers majeurs, la chute de Bakhmout risquerait d’entrainer un effondrement du système défensif ukrainien du Donbass, d’une part vers l’ouest en direction de Slaviansk et Kramatorsk et d’autre part vers le nord en direction de Soledar et Seversk. Il est donc impératif pour l’état-major général ukrainien de la défendre à tout prix. Tout au long de l’été, les troupes de la République populaire de Donetsk (RPD), mais aussi celles de la SMP Wagner selon le fil d’actualités militaires russes Rybar qui a recensé la présence des «musiciens» dès le 15 juin, ont été mobilisées pour attaquer la ville depuis le nord, l’est et le sud.

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Cette progression lente et méthodique est menée par des moyens relativement limités en effectifs, compte tenu des ratios préconisés pour prendre d’assaut une ville : probablement 30 000 hommes au maximum (les effectifs engagés par la SMP Wagner sont impossibles à estimer précisément) alors qu’il en faudrait au moins 10 000 de plus puisque l’ensemble du secteur, sur un front de 20 kilomètres, semble défendu par l’équivalent de trois à quatre brigades ukrainiennes, soit environ 20 000 hommes. Cependant, l’offensive russe est appuyée par une artillerie nombreuse et puissante qui a permis de «grignoter» les positions ukrainiennes dans des combats qui ne sont pas sans rappeler ceux de la Grande Guerre sur le front occidental. Après trois mois de combats, les forces ukrainiennes tenaient toujours fermement la ville même si plusieurs localités de l’agglomération étaient passées sous contrôle russe.

L’intensification des combats

Contrairement aux affirmations de certains médias occidentaux, l’intensification des combats pour s’emparer de la ville n’a pas de rapport avec l’évacuation de Kherson puisque le renouvellement des attaques d’envergure menées par la SMP Wagner et les troupes de la RPD a commencé en octobre dernier avec quelques succès initiaux, notamment le 19 octobre, trois semaines avant le retrait des troupes russes de la rive droite du Dniepr.

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Mais, face à la dégradation de la situation admise par Volodymyr Zelensky dès la mi-octobre, l’armée ukrainienne a jeté les rares réserves dont elle disposait alors pour empêcher la chute de la ville, probablement aux détriments de ses opérations offensives dans le secteur de Kremenna – Kupiansk. L’engagement de ces renforts – notamment la 10e brigade de montagne – a permis de rejeter les mercenaires de Wagner à la périphérie orientale de la ville, où se situent plusieurs usines, théâtres d’âpres combats.

Suite à ce revers pour les Russes, une nouvelle stratégie semble avoir été mise en place depuis début novembre. Si les unités d’assaut de Wagner poursuivent des attaques directes contre les abords est de Bakhmout, les unités de la RPD au sud et de la RPL au nord avancent plein ouest pour amorcer un mouvement d’encerclement plus large de la ville afin de couper les voies d’approvisionnement (munitions, nourriture, médicaments) des unités ukrainiennes, d’acheminement des renforts et d’évacuation des blessés.

Un coin d’enfer

Tout au long du mois de novembre, cette approche a permis aux forces russes de grignoter une nouvelle fois les défenses ukrainiennes au nord près de Bakhmutske/Soledar et au sud autour d’Opytne, tout en infligeant des pertes de plus en plus importantes à l’armée ukrainienne. A partir du 5 novembre, les forces de la RPD appuyées par des éléments de la SMP Wagner ont commencé à menacer le village de Kurdyumivka à mi-chemin entre Toresk et Bakhmout pour couper l’un des axes de communication de l’armée ukrainienne mais aussi pour créer une tête de pont en direction de Konstantinovka, l’une des bases arrières de la défense de Bakhmout. Kurdyumivka et ses environs sont finalement tombés le 29 novembre, après trois semaines de combats acharnés. Les forces russes bordent désormais le canal Serverskyi Donets-Donbass.

L’artillerie russe tirait 20 000 munitions par jour, contre 4 à 7000 pour les Ukrainiens. Un rythme jamais vu depuis la guerre de Corée.

Au nord, Bakhmutske est tombée depuis la mi-novembre, ce qui permet aux forces de la RPL de menacer directement Soledar. Depuis une semaine, la situation à l’intérieur de la ville devient de plus en plus difficile pour les forces ukrainiennes. Les principales voies d’accès sont désormais sous le feu permanent de l’artillerie, ce qui gêne considérablement la logistique et l’acheminement des renforts, mais aussi l’évacuation des très nombreux blessés.

En première ligne, les conditions de combat des troupes ukrainiennes sont catastrophiques, entre l’inondation des tranchées et des abris d’une part et le bombardement ininterrompu de l’artillerie russe qui dispose de stocks de munitions impressionnants d’autre part. Citant un officier supérieur américain, la chaine NBC avançait ainsi que l’artillerie russe tirait 20.000 munitions par jour, contre 4 à 7000 pour les Ukrainiens. Un rythme jamais vu depuis la guerre de Corée.

Dans ce contexte infernal, et alors que les Russes frappent sans discontinuer les dépôts ferroviaires de Krivoï Rog, Dniepropetrovsk et Nikopol depuis le 28 novembre pour interdire le redéploiement des unités ukrainiennes – notamment la 17e brigade blindée – encore présentes dans le secteur de Kherson, on voit mal comment l’héroïque défense ukrainienne pourrait se prolonger. D’autant que côté russe, on annonce depuis le 29 novembre l’arrivée des premières unités parachutistes en provenance du front de Kherson pour renforcer le dispositif d’attaque russe.

Une chose est certaine, l’évolution des combats sera déterminante pour les deux camps avant l’arrivée de l’hiver, ce qui signifie qu’aucun belligérant ne reculera devant les sacrifices à consentir pour défendre ou prendre la ville… à tout prix.

Sylvain Ferreira

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