Au cours d'une intervention devant le Parlement européen, la présidente de la Commission européenne a évoqué un arrêt d'ici six mois des importations de pétrole russe, avec des dérogations et l'exclusion d'autres banques russes du réseau SWIFT.
Confirmant des annonces précédentes, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le 4 mai, devant le Parlement européen, un plan d’embargo progressif sur le pétrole russe et d’exclusion de la principale banque russe du réseau SWIFT. Plusieurs exemptions sont néanmoins prévues dans la proposition soumise aux Etats-membres, notamment pour les pays les plus dépendants de Moscou sur le plan énergétique. Mais ce bémol n’a pas suffi à rassurer l’ensemble des pays européens, dont notamment la Hongrie.
«Nous renoncerons progressivement aux livraisons russes de pétrole brut dans les six mois et à celles de produits raffinés d’ici à la fin de l’année», a déclaré Ursula von der Leyen devant les eurodéputés à Strasbourg, dans le cadre d’un sixième paquet de sanctions contre Moscou, afin de tarir le financement de l’intervention militaire en Ukraine. «Il s’agira d’une interdiction complète des importations de tout le pétrole russe, transporté par voie maritime ou par oléoduc, brut et raffiné […] de façon ordonnée, d’une manière qui nous permettra de mettre en place d’autres voies d’approvisionnement», a-t-elle expliqué.
La Hongrie dénonce un manque de «garanties», Berlin redoute des «perturbations»
Le pétrole russe représente environ un quart des importations de l’UE. Selon plusieurs responsables et diplomates européens, le projet de la Commission, soumis dans la nuit aux Etats membres, prévoit une exemption pour la Hongrie et la Slovaquie. Dépendants des livraisons par l’oléoduc Droujba, ces deux pays pourront poursuivre leurs achats à la Russie en 2023, selon l’un de ces responsables.
«Ce ne sera pas facile. Certains États sont fortement dépendants du pétrole russe. Mais nous devons tout simplement y travailler», a plaidé Ursula von der Leyen devant le Parlement européen. «Nous exercerons ainsi une pression maximale sur la Russie, tout en réduisant au minimum les dommages collatéraux pour nous et nos partenaires», a-t-elle estimé.
Peu après son annonce, le service de presse du gouvernement hongrois, interrogé par l’AFP, a expliqué regretter l’absence de «garantie» pour sa sécurité énergétique dans la proposition européenne : «Nous ne voyons pas de plan concernant la manière de réussir une transition sur la base des propositions actuelles et sur ce qui garantirait l’énergie sécuritaire de la Hongrie».
Selon l’Agence internationale de l’énergie, la Hongrie et la Slovaquie ont reçu respectivement 96% et 58% de leurs importations de pétrole brut et de produits pétroliers en provenance de Russie l’année dernière. Sur un autre volet énergétique essentiel dans la crise actuelle, celui du gaz, la Hongrie avait d’ailleurs annoncé, contrairement à la Pologne et à la Bulgarie, qu’elle était prête à accepter la demande de Moscou de payer les livraisons de gaz russe en roubles.
De son côté, l’Allemagne, tout en affirmant pouvoir «supporter l’embargo sur le pétrole en tant que nation», a fait savoir qu’elle pourrait connaître des «perturbations» dans son approvisionnement en pétrole en raison de cette proposition européenne.
«Nous ne pouvons pas garantir dans cette situation qu’il n’y aura pas de perturbations», a ainsi affirmé le ministre allemand de l’Economie Robert Habeck, lors d’une conférence de presse à Meseberg au nord de Berlin. Il a par ailleurs averti que les prix pouvaient «également augmenter de manière significative sur une période de 180 jours».
Il a notamment précisé que la raffinerie PCK située à Schwedt, dans l’Etat régional du Brandebourg (est), et qui appartient au conglomérat russe Rosneft pourrait particulièrement être concernée. Celle-ci fournit environ 90% du pétrole consommé à Berlin et dans la région environnante, y compris l’aéroport de Berlin Brandebourg (BER).
Dépendante à 35% des importations de pétrole russe avant la crise ukrainienne, la première économie européenne affirme avoir abaissé son seuil de dépendance à 12% dernièrement.
Edouard Husson
Nouvelles exclusions du réseau SWIFT, verrouillage médiatique et sanctions individuelles
La Commission propose également d’exclure trois banques russes supplémentaires, dont Sberbank, de loin le plus gros établissement du pays (environ un tiers du secteur bancaire), du système financier international SWIFT. Dans le cadre des sanctions de l’UE, sept établissements russes ont déjà été privés d’accès à cette plateforme de messagerie sécurisée permettant des opérations cruciales comme le transit d’ordres de paiement et d’ordres de transferts de fonds entre banques. «Nous frappons des banques d’une importance systémique essentielle pour le système financier russe et la capacité de destruction de [Vladimir] Poutine. Cela renforcera l’isolement total du secteur financier russe», a souligné la présidente de la Commission.
La proposition européenne comporterait également selon l’AFP de nouvelles sanctions contre des individus, dont le chef de l’Eglise orthodoxe russe, le patriarche Kirill, qui soutient l’intervention en Ukraine, ou encore des membres de la famille du porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov.
Enfin, la Commission propose aussi de bloquer l’accès aux ondes européennes à trois grands radiodiffuseurs d’État russes, qui se verraient interdits de distribuer leurs contenus dans l’UE par câble, satellite, internet ou applications sur smartphone. «Nous avons identifié le rôle d’organes de propagande de ces chaînes de télévision, qui amplifient d’une manière agressive les mensonges de [Vladimir] Poutine. Nous ne devons plus leur laisser le champ libre pour les répandre», a affirmé Ursula von der Leyen, sans plus de précisions. La Commission avait déjà pris des mesures similaires contre plusieurs médias — dont RT France — qui avaient été dénoncées par certains observateurs comme un acte de censure et une grave atteinte à la liberté de l’information.
Moscou dénonce une attitude de «voleurs»
Bruxelles a renforcé ses sanctions contre Moscou depuis le début, le 24 février, de l’opération militaire russe en Ukraine, qui vise selon Vladimir Poutine à «démilitariser» et «dénazifier» le pays, ainsi qu’à protéger les populations du Donbass.
Rappelant que plus de 300 milliards d’euros d’actifs russes avaient été gelés dans le cadre de ces sanctions, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov avait souligné le 1er mai que cet argent avait été purement et simplement «volé» par les Occidentaux. «La majeure partie de cette somme provient des livraisons du gaz et du pétrole. Cela est devenu possible car la société Gazprom était obligée de conserver son argent dans des banques occidentales, en se conformant à vos règles. On a voulu “punir” la Russie, on a donc volé», avait expliqué le ministre russe.
C’est pour cette raison, selon Sergueï Lavrov, que Moscou a pris des contre-mesures, comme notamment le paiement du gaz en roubles — sujet hautement problématique pour certains Etats européens. «Nous n’avons pas le droit, face à notre propre peuple, de laisser l’Occident continuer ainsi avec ses habitudes de voleurs», avait justifié Sergueï Lavrov.
Lavrov rappelle que le paiement en rouble du gaz russe est la conséquence du «vol» de l’Occident