La Cour de cassation a rendu le 30 juin un jugement obligeant les commerçants contraints de baisser le rideau pour raisons sanitaires à payer les loyers dus à leurs bailleurs. Ils espéraient une ristourne après avoir dû cesser leurs activités.
Il n’y aura pas de remise : la Cour de cassation a jugé le 30 juin, dans trois arrêts, que les commerçants obligés de fermer pendant le confinement décrété au printemps 2020 pour enrayer la pandémie (seuls les commerces «essentiels» étaient alors ouverts) devaient régler leurs loyers non-payés à leurs bailleurs. Plusieurs dizaines de gérants de petits commerces avaient en effet déposé un recours pour réclamer une ristourne, et la décision était très attendue.
La Cour a rejeté leur demande, jugeant que l’interdiction de sortir de chez soi décrétée pour endiguer la propagation du Covid-19, «mesure générale et temporaire», n’était pas imputable aux bailleurs et n’avait pas privé définitivement les commerçants d’utiliser leurs locaux. Selon la haute juridiction, la mesure avait pour «seul objectif de préserver la santé publique» et n’a pas privé définitivement les commerçants d’utiliser leurs locaux. «Les commerçants n’étaient donc pas en droit de demander une réduction de leur loyer», selon la Cour, qui a également estimé que le confinement ne constituait pas un cas de force majeure, comme le défendaient les commerçants.
Trois milliards d’euros en jeu, selon le ministère de l’Economie
Dans les tribunaux français, de nombreux litiges entre des commerçants et leurs bailleurs avaient été mis en pause dans l’attente de la décision de la Cour. La haute juridiction elle-même avait sélectionné trois dossiers sur les 30 comparables qui lui étaient remontés : ceux d’une chaîne de magasins à bas coût, d’une agence immobilière bordelaise et d’une résidence de tourisme.
Une décision inverse aurait permis à l’ensemble des commerçants obligés de fermer pendant la crise sanitaire de saisir la justice pour obtenir des ristournes. Avec en jeu des montants considérables : dans une note, le ministère de l’Economie avait chiffré à plus de trois milliards d’euros l’ensemble des loyers et charges immobilisés du fait des restrictions.
«C’est déprimant, on n’a rien appris», a réagi auprès de l’AFP Emmanuel Le Roch, délégué général de la fédération du commerce spécialisé Procos. «On a le sentiment que peu importe qu’il y ait ou pas des clients, l’une des parties doit continuer à poursuivre son engagement, c’est-à-dire payer, et l’autre est protégée et que, quoi qu’il se passe, son contrat est considéré comme exécuté», a-t-il déploré.
«C’est une décision décevante pour les preneurs [les locataires], qui vont maintenant envisager la manière d’engager la responsabilité de l’Etat», a commenté de son côté Guillaume Hannotin, avocat de la chaîne de magasins discount Action. Selon lui, les textes visés dans la décision rendue par la Cour de cassation «ne sont pas ceux en vertu desquels les magasins ont fermé, mais des textes de mars et avril 2020 qui affectaient la liberté de circulation des personnes physiques». Il a estimé que «les considérations économiques ont pesé d’un grand poids dans cette décision qui invite les preneurs à croire que c’est en raison d’un accident rédactionnel qu’ils n’ont pas le droit à l’indemnisation».
Jusqu’à 45% des commerces de détail en France ont été fermés durant la crise sanitaire liée au Covid-19. Le gouvernement avait à l’époque débloqué plusieurs types d’aides à destination des commerçants, dont un soutien via le fonds de solidarité et une prise en charge d’une partie des coûts fixes. En novembre 2020, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire avait appelé les bailleurs à faire «un geste» en renonçant à percevoir un mois de loyer de la part de commerçants fragilisés financièrement.
Quoi qu’il en coûte : la dette de la France s’est alourdie de 165 milliards d’euros en 2021