Les élections anticipées auront lieu le 25 septembre en Italie. Alors que le rapport de force des différentes formations politiques semble enterrer tout retour éventuel de Mario Draghi, c'est l'ascendant de Fratelli d'Italia qui domine la campagne.
La chute de «super Mario» le 20 juillet a provoqué ce qui semble devenir le traditionnel feuilleton politique italien de l’été. Mis en difficulté au Sénat lors d’un vote de confiance, l’ancien patron de la BCE a définitivement abandonné ses fonctions de président du Conseil italien après une nouvelle défiance de la chambre haute du Parlement, provoquant sa dissolution par Sergio Matarella et des élections anticipées fixées au 25 septembre 2022.
Si les forces couronnées par le scrutin de 2018 – la Ligue et le Mouvement 5 étoiles – ont finalement donné raison à l’adage «il faut que tout change pour que rien ne change» de la vie politique italienne (restant dans des gouvernements passant d’une ligne anti-système et eurosceptique au retour du Parti démocrate (PD) au pouvoir jusqu’à d’arriver à la nomination de Mario Draghi), le scrutin à venir semble lui se polariser autour de Fratelli d’Italia et du PD. Les deux formations ne sont cependant pas seules en lice : elles concourent avec leurs alliés respectifs, mais aussi d’autres forces comme le Mouvement 5 Etoiles ou encore Italia Viva fondé par Matteo Renzi, lui-même ancien président du Conseil italien du 22 février 2014 au 12 décembre 2016.
Une campagne polarisée autour de la personnalité de Giorgia Meloni
La coalition des partis de centre-droit et de droite – appelée en Italie «coalizione di centro-destra», soit «coalition du centre-droit» – et autrefois dominée par la figure de Silvio Berlusconi a consacré Giorgia Meloni le 27 juillet, son ancienne secrétaire d’Etat à la jeunesse et présidente de Fratelli d’Italia (FdI), un parti affilié historique au Mouvement social italien, lui-même étant à l’époque le successeur direct du Parti national fasciste. Dans son programme, FdI, qui a le vent en poupe, défend le modèle familial traditionnel en rejetant les schémas promus par exemple par la mouvance LGBT, est eurosceptique et se propose de supprimer deux fêtes nationales : celle célébrant la Libération et l’autre l’avènement de la République. De force d’appoint qui ne recueillait encore que 6,44% des voix lors des élections européennes en 2019, FdI caracole désormais en tête dans les sondages, récoltant notamment les fruits de son non-alignement avec le gouvernement d’union nationale de Mario Draghi.
Giorgia Meloni pourra de plus s’appuyer sur Matteo Salvini, secrétaire de la Ligue et ancien ministre de l’Intérieur. Ce dernier s’est toutefois considérablement affaibli dans les sondages, étiolant ses chances de se voir succéder à Mario Draghi. La Ligue demeure toutefois la troisième force politique du pays selon les intentions de vote, et continue de faire campagne sur le contrôle des frontières et des flux migratoires, ses thématiques phares. Forza Italia est également toujours présente, même si le parti fondé par Silvio Berlusconi a fondu comme neige au soleil, ne dépassant plus la barre des 10% dans les sondages d’opinion. Le Cavaliere reste pourtant une figure politique importante, même s’il n’évolue plus au premier plan. Il a notamment endossé le rôle de médiateur lors de la crise du gouvernement pour maintenir vaille que vaille Mario Draghi en tentant de convaincre, en vain, la Ligue de voter la confiance au gouvernement le 20 juillet.
Sans grande surprise, c’est la ligne de Giorgia Meloni qui s’est imposée lors du dernier «sommet du centre-droit», comme l’a rapporté La Repubblica le 27 juillet. Fratelli d’Italia est ainsi le chef d’orchestre de cette famille politique pour les prochaines élections, imposant les règles de l’alliance entre les membres de la coalition avec un mot d’ordre simple : «Il n’y a pas d’alliance s’il n’y a pas consensus sur le Premier [le nom du prochain président du Conseil italien]». La répartition des collèges électoraux (l’équivalent des circonscriptions électorales) devrait donc se faire au profit de FdI, puisqu’alignées sur les intentions de vote. Une proposition qui a fait grincer les dents de Silvio Berlusconi. Le Cavaliere veut en effet toujours croire en son aura, en s’imaginant à 20% dans les urnes : «Aujourd’hui les sondages me donnent à 10%, mais avec la campagne électorale je peux arriver à 20.»
Nonobstant l’opposition passagère de ce dernier, la répartition devrait procéder comme suit : 98 collèges pour FdI, 70 à la Ligue, 42 à Forza Italia, et 11 à la petite formation Noi con l’Italia («Nous avec l’Italie»). Le casting d’un éventuel cabinet sous l’égide de Giorgia Meloni fait aussi son bout de chemin, cette dernière souhaitant des ministres «présentables en Europe» tout en désirant s’appuyer sur «un groupe de parlementaires fidèles», selon La Repubblica. Cette hégémonie désormais formelle de Fratelli d’Italia sur l’ensemble de la coalition a été soulevée en outre par Enrico Letta, avec gravité : «Aujourd’hui est un jour important pour la politique italienne, parce que [Silvio] Berlusconi et [Matteo] Salvini ont décidé de se confier aux mains de [Giorgia] Meloni».
Le PD fait campagne à gauche
Celui qui fut président du Conseil italien du 28 avril 2013 au 22 février 2014 est désormais aux manettes du Parti démocrate, le parti le plus important du centre-gauche depuis le départ de Matteo Renzi qui a fondé son propre parti politique Italia Viva. Les deux formations devraient d’ailleurs s’allier en vue des élections. C’est en outre Enrico Letta qui a polarisé la campagne électorale entre Giorgia Meloni et le centre-gauche, estimant que l’hégémonie désormais actée de cette dernière sur le centre-droit signifierait «une confrontation, et un choix des Italiens, entre nous et [Giorgia] Meloni».
Allant même jusqu’à déclarer que «le centre-droit n’existe plus», le secrétaire du PD croit toutefois pouvoir vaincre «en parlant de thèmes sur lesquels la droite est désastreuse». Quant aux alliances, notamment avec Matteo Renzi, le PD a fixé trois critères : «Construire des alliances électorales avec une valeur ajoutée, avec un esprit constructif et une approche sans veto a priori.» La question délicate du Mouvement 5 Etoiles s’est également posée. Premier frondeur contre Mario Draghi, Enrico Letta ne souhaite plus d’alliance avec les pentasetellaires et mise sur une désertion électorale en faveur du PD : «Sur le M5S nous avons été clairs, mais je suis convaincu que la majorité de son électorat votera pour nous.», répétant à l’envi «Ou nous, ou [Giorgia] Meloni», toujours selon les propos recueillis par La Repubblica. Du côté du Mouvement 5 Etoiles, Giuseppe Conte espère incarner «le troisième camp», en actant l’isolement politique du mouvement fondé par Beppe Grillo.
Malgré sa volonté première de polariser le débat politique sur les personnalités en présence, Enrico Letta n’a pas délaissé l’aspect programmatique de la campagne, qu’il souhaite axer sur le social. «Nous devons réussir à faire sortir des jeunes de chez eux à 25 ans, et non à 31 comme c’est le cas actuellement.», a lancé le centriste, égrenant quelques thématiques comme la lutte contre la précarité ou la politique salariale, notamment le salaire minimum. La question du futur président du Conseil italien n’est en revanche pas tranchée du côté du PD. Si Enrico Letta est le chef du parti, d’autres comme l’ancien ministre du Développement Economique de Matteo Renzi, Carlo Calenda, n’a cependant pas dissimulé son ambition de siéger au Palais Chigi.
Fratelli d’Italia en tête des intentions de vote, mais talonnée par le Parti démocrate
Mais les derniers sondages penchent toujours en faveur de Fratelli d’Italia. Le dernier en date, publié par La Repubblica le 28 juillet, donne ainsi la formation de Giogia Meloni à 23,3% d’intentions de vote, suivie de près par le Parti démocrate donné à 22,8%. En troisième position se trouve la Ligue, estimée à 13,8%, le Mouvement 5 Etoiles (10,1%), Forza Italia (7,8%). Les autres formations telles qu’Italia Viva de Matteo Renzi ne recueillerait que 2,7% des intentions de vote, soit derrière Azione/+Europa (4,9%) ; les Verts (4,1%) et même la formation souverainiste Italexit (2,8%). Cette photographie actuelle des intentions de vote tend à démontrer que le Parti démocrate ne disposerait que d’une faible réserve de voix par le biais de ses alliés ou des formations classés au centre-gauche, même s’il espère récupérer des voix du Mouvement 5 Etoiles. Il faut toutefois souligner l’impressionnante résistance du PD aux aléas de la vie politique italienne. Chassé du pouvoir par les urnes en 2018 après une série de défaites électorales déjà entamées sous Matteo Renzi, il demeure toujours la deuxième force politique du pays.
La coalition de la droite de l’échiquier politique semble en outre fragile malgré ses potentiels 46,2% d’intentions de vote. Silvio Berlusconi a ainsi pesté contre l’ascendant que prend Giorgia Meloni au sein de leur famille politique au sens large, estimant qu’«avec elle comme leader, nous pourrions perdre». Le Cavaliere craint en effet une fuite des électeurs modérés et un virage droitier risqué pour la coalition. Il a notamment agité le spectre d’une campagne médiatique européenne désastreuse qui pourrait mettre en péril les chances de la coalition de reprendre le Palais Chigi, mais également la difficulté le cas échéant d’obtenir l’obtention de fonds d’aides comme ce fut le cas de la Pologne ou de la Hongrie.
Antonio Tajani, ancien président du Parlement européen, a estimé à ce sujet que Giorgia Meloni devait prendre le taureau par les cornes et affronter les réserves qu’elle peut susciter : «Le problème de [Giorgia] Meloni n’est pas tant de revendiquer la primauté de la coalition, mais de montrer qu’elle n’est pas le monstre nazi-fasciste que décrit La Repubblica. [Giorgia] Meloni a 46 ans et je pense qu’elle est consciente du problème. Aujourd’hui, elle doit non seulement clarifier ses positions, qui pour moi ne sont pas nazies-fascistes, mais démontrer que la sienne est une coalition équilibrée.» De son côté, la présidente de FdI a déjà mis les points sur les i en déclarant : «Les nostalgiques d’opérettes sont des traîtres à notre cause.»
Le PD accuse Salvini d’être sous l’influence de… la Russie
Outre le passé historique de FdI, Matteo Salvini connaît également ses propres difficultés. En baisse continue dans les sondages, le secrétaire de la Ligue souffre d’une campagne à son encontre qui l’accuse d’avoir fait le jeu de la Russie en participant à la chute de Mario Draghi.
Le 28 juillet, le quotidien turinois La Stampa a en effet affirmé qu’un diplomate en poste à l’ambassade de Russie avait rencontré fin mai à Rome un proche collaborateur de Matteo Salvini avec lequel il avait évoqué la situation politique. La rencontre s’était tenue au moment même où le patron de la Ligue était accusé de conduire une diplomatie parallèle avec l’ambassade de Russie, officiellement pour œuvrer à un plan de paix entre Moscou et Kiev, à l’insu du gouvernement italien.
Des accusations d’ingérence électorale que la Russie a rejeté le 29 juillet, les qualifiant de «bizarres», après que Matteo Salvini, le leader de la Ligue, a été sommé de s’expliquer sur ces contacts entre l’ambassade de Russie et son entourage. «Il est bizarre de voir que la classe politique et les médias italiens […] commencent à être guidés par des acteurs extérieurs en imitant leurs pires pratiques et modèles de campagne électorale» et recourent «au mythe banal sur l’ingérence de Moscou dans les processus électoraux», a déclaré la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova.
Pour la Russie, «l’Italie est un pays souverain qui mène une politique intérieure et extérieure indépendante», a-t-elle souligné, dans un communiqué sur Telegram. C’est pourquoi «les relations entre la Russie et l’Italie se sont toujours caractérisées par le pragmatisme, la compréhension et le respect mutuels», a ajouté Maria Zakharova.
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