L'éminent leader chiite irakien Moqdata el Sadr a annoncé son «retrait définitif» de la vie politique. Ses partisans ont pris d'assaut la zone verte de Bagdad. Homme providentiel ou agitateur politique ? Portait d'un homme habitué aux coups d'éclat.
Il a fallu un tweet pour mettre le feu aux poudres dans les rues irakiennes : après 10 mois de blocage politique pour former un nouveau gouvernement et nommer un nouveau premier ministre, dans la matinée du 29 août, le leader chiite Moqdata al-Sadr a annoncé sur le réseau social son «retrait définitif» de la politique. Il n’en fallait pas moins pour que ses partisans en colère investissent la rue.
Un mois après avoir fait irruption dans le Parlement pour dénoncer notamment la corruption au sein du gouvernement, ils ont forcé les barrages menant à la Zone verte de Bagdad où ils ont investi cette fois-ci le palais de la République. Venus des quartiers les plus pauvres de la capitale irakienne, les sadristes sont entrés dans les bureaux gouvernementaux, s’installant dans des fauteuils, sautant dans la piscine et prenant des selfies. Des manifestations ont également eu lieu dans plusieurs autres villes du sud du pays où le courant sadriste est très influent, notamment Bassorah, deuxième ville d’Irak.
[ 🇮🇶 IRAK ]
🔸️ Vidéo présumée de l'escalade des tensions et des affrontements en cours à Bagdad. pic.twitter.com/cr1jQdUplf
— (Little) Think Tank (@L_ThinkTank) August 29, 2022
Des échanges de tirs entre milices rivales ont fait une trentaine de morts et des centaines de blessés alors même qu’un couvre-feu national a été imposé par l’armée, paralysant le pays.
L’homme en quête de pouvoir?
Pour mettre fin à ce cycle de violences, Moqtada al-Sadr a déclaré lors d’une conférence de presse le 30 août : «Peu importe qui a déclenché les conflits hier, je m’excuse auprès du peuple irakien qui est le seul affecté par ce qui s’est passé», avant d’ajouter : «La révolution qui a été entachée de violence n’est plus une révolution, et je critique maintenant la révolution du mouvement sadriste.» Il a ainsi donné 60 minutes à ses partisans pour se retirer de la Zone verte, faute de quoi il a menacé de les «désavouer».
Arrivé en tête des élections législatives d’octobre 2021 avec 73 députés, le courant de Moqtada al-Sadr a été incapable de former une majorité à l’hémicycle, et le leader chiite avait même fait démissionner ses députés en juin. Depuis des semaines, il réclame la dissolution du Parlement et de nouvelles élections législatives anticipées pour tenter de dénouer la crise. L’homme au turban noir et à la barbe blanche est suivi par des millions de partisans. Il jouit d’une aura au sein des couches populaires chiites mais également sunnite de l’Irak pour son combat contre l’injustice sociale et la lutte contre la corruption.
Cependant, derrière cette image d’intégrité politique, Moqtada al-Sadr convoiterait l’autorité chiite du pays et surtout le ministère de l’Intérieur qui gère une enveloppe colossale de deux milliards de dollars par an alloués aux simples milices. Il s’est donc lancé dans un bras de fer contre le Cadre de coordination, plus ou moins affilié à l’Iran, qui s’appuie sur plus de 70 milices, dont le puissant Hachd Al-Chaabi (Unités de mobilisation populaire).
Lui-même dispose d’un puissant groupe armé, les Saraya Al-Salam, qui comptent 10 000 hommes, selon les propos d’Arthur Quesnay, docteur en science politique à l’université Paris 1 interrogé par La Croix. N’arrivant pas à ses fins, le retrait de la vie politique du leader chiite serait-il un aveu d’échec ou une volonté de créer le désordre ?
Contre l’invasion américaine et maintenant contre l’Iran
Une chose est sûre, ce natif de Koufa, au sud de Bagdad, n’est pas à son premier coups d’éclat politique. Né en 1974, il est issu d’une importante famille chiite. Son père, le grand ayatollah Mohammed Sadeq al-Sadr, et son beau-père le clerc Mohammed Baqir al-Sadr, ont créé le parti sadriste, un mouvement religieux chiite aidant les communautés pauvres d’Irak. Tous deux ont été assassinés alors que Saddam Hussein était au pouvoir mais cela n’a pas empêché l’expansion du mouvement qui s’appuie sur un maillage associatif important.
A la mort de son père en 1999, Moqtada se réfugie en Iran et prend les rênes de l’organisation. A l’invasion de son pays par les troupes américaines en 2003, il crée l’armée du Mahdi qui regroupe plus de 60 000 hommes. Dès lors, ses partisans se sont attaqués aux forces d’occupations notamment dans la ville sainte de Nadjaf. D’ailleurs, en 2006, le magazine américain Newsweek le présentait en une comme «l’homme le plus dangereux d’Irak». Sa milice prend même la localité de Bassorah aux troupes britanniques.
Pourtant, face aux affrontements sectaires qui ravagent l’Irak, les partisans de Moqtada al-Sadr sont contraints de livrer la ville à l’armée irakienne. Le leader du mouvement décide une seconde fois de fuir en Iran et de quitter la vie politique jusqu’en 2011. Après s’être allié au Premier ministre de l’époque Nouri al-Maliki, affilié à Téhéran, il décide finalement de se rapprocher de certains leaders sunnites nationalistes.
Cependant, face à l’émergence de Daesh en Irak, il rejoint finalement le groupe des Hachd el-Chaabi avec sa propre milice qu’il rebaptise «les brigades de la paix». En 2016, face la corruption endémique, il retire son soutien au premier ministre Haïder el-Abadi et dirige une manifestation rassemblant des centaines de milliers de personnes sur la place Tahrir à Bagdad.
Surfant sur sa popularité grandissante, il crée «Sairoun», une alliance «en marche» avec plusieurs partis. Ce bloc parlementaire remporte les élections avec 54 sièges. Mais une fois de plus, face à la montée du mécontentement et face aux manifestations d’octobre 2019, Moqtada al-Sadr retire son soutien au gouvernement et appelle au boycott du Parlement. Après des mois de grogne populaire le gouvernement de l’époque démissionne. Après les élections remportées d’octobre 2021, il se pose en garant de l’intégrité territoriale irakienne. Il rejette catégoriquement les ingérences étrangères, et s’en prend souvent au voisin iranien alors qu’il a lui même séjourné à plusieurs reprises dans ce pays.
Alors, simple agitateur politique opportuniste ou homme providentiel de l’Irak qui pourrait parvenir à unifier le pays et à la sortir de sa torpeur ? Quoiqu’il en soit, Moqtada al-Sadr ne laisse pas indifférent et pourrait avoir un rôle politique – au sens large – important à jouer en Irak et dans la région dans les prochaines semaines et les prochains mois.
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