Contre tout attente, la Syrie ne sera pas présente au prochain sommet de la Ligue arabe qui doit se tenir à Alger en novembre prochain. Pourtant, l'Algérie n'a pas lésiné sur les efforts pour soutenir Damas.
Les déclarations du ministre syrien des Affaires étrangères Faysal Mekdad ont mis fin le 4 septembre aux spéculations sur la participation de la Syrie au sommet de la Ligue arabe que l’Algérie accueillera les 1er et 2 novembre prochain. Lors d’un entretien téléphonique avec son homologue algérien Ramtane Lamamra, le chef de la diplomatie syrienne a confirmé que son pays ne souhaitait pas soulever la question de la réintégration de Damas à la Ligue arabe lors du prochain sommet.
Le communiqué officiel du ministère algérien des Affaires étrangères indiquait «parmi les questions abordées, figurait la question des relations de la République arabe syrienne avec la Ligue des Etats arabes, où le chef de la diplomatie syrienne a confirmé que son pays préférait ne pas soulever la question de reprendre son siège à la Ligue des États arabes lors du sommet d’Alger».
Les deux parties ont également exprimé leur «aspiration à ce que le sommet soit couronné de résultats constructifs qui contribueraient à purifier l’atmosphère et à renforcer les relations arabo-arabes pour faire avancer l’action arabe commune». En effet, compte tenu des dissensions entre les membres au sujet de l’Ethiopie, de l’Iran, du rapport avec Israël et des récentes tensions entre la Tunisie et le Maroc, l’Algérie a tenu à confirmer que le sommet aura bien lieu.
La Syrie redevient-elle fréquentable?
La non-présence syrienne serait donc un moyen de ne pas accentuer les divisions au sein de l’organisation. En effet, la question d’un retour de Damas au sein de la Ligue est tout sauf consensuelle. Pourtant, Alger n’a pas lésiné sur les efforts.
En déplacement à Damas, le ministre algérien des Affaires étrangères avait rencontré, le 25 juillet, son homologue syrien ainsi que le président Bachar al-Assad. Au cours d’une conférence de presse conjointe, le chef de la diplomatie algérienne avait réitéré son soutien au retour de la Syrie dans la Ligue arabe, affirmant que son absence était «préjudiciable à l’œuvre arabe commune». Se voulant optimiste, il avait par ailleurs ajouté que «de nombreux responsables arabes se [rendaient] à Damas et [rencontraient] des responsables syriens». En effet, les pays arabes reprennent doucement la route de Damas.
La Jordanie a rouvert sa frontière nord, le ministre des affaires étrangères des Emirats arabes unis, Abdallah Ben Zayed Al Nahyane, s’est rendu en Syrie en novembre 2021, les Saoudiens nouent officieusement des contacts via les services de renseignement, Bahreïn a renvoyé un ambassadeur en décembre 2021 et l’Egypte multiplie les déclarations favorables à un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. Pourtant, après le début des troubles en Syrie, Damas avait été suspendu de l’organisation régionale dès novembre 2011.
Contrairement à celle de certains pays du Golfe, l’attitude d’Alger vis-à-vis de la Syrie n’est pas nouvelle : le 5 juillet, le chef de la diplomatie syrienne Faisal Mekdad avait été invité en Algérie à l’occasion des 60 ans de l’indépendance. Une occasion pour le responsable de rencontrer plusieurs délégations arabes et africaines. A cette occasion, le président tunisien, Kaïs Saïed, a d’ailleurs adressé un message de salutations à son homologue syrien via le diplomate. De surcroît, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, avait déjà suggéré en novembre 2021 que Bachar al-Assad pouvait revenir au sein de l’organisation régionale. «La Syrie est censée être présente», avait-il alors déclaré.
Alger fidèle allié de Damas
La position algérienne s’inscrit donc dans la durée. Les deux pays n’ont jamais coupé leurs relations, même au plus fort de la guerre civile. Le ministre algérien des Affaires étrangères de l’époque, Abdelkader Messahel, s’était même rendu dans la capitale syrienne en avril 2016. Lors d’une entrevue avec le président syrien, il avait rappelé le «soutien de l’Algérie au peuple syrien dans sa lutte contre le terrorisme afin de préserver la stabilité et la sécurité de la Syrie et l’union et la cohésion de son peuple».
Cette tendance s’est accentuée avec la création en mars 2022 d’un groupe d’amitié parlementaire Algérie-Syrie au parlement algérien. Depuis, ce dernier fait office de cadre institutionnel pour le renforcement des relations bilatérales. Le groupe participe activement à «dynamiser la diplomatie» à travers des rencontres, des échanges et des réunions.
La constance de la position algérienne dans le dossier syrien s’explique en partie par de nombreux points communs avec Damas. Outre les bons rapports avec Moscou dans le domaine militaire, les deux pays font surtout partie d’un bloc arabe rejetant toute normalisation des relations avec Israël. Ainsi un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe aurait permis à Alger de renforcer le poids de sa position, face aux nouvelles donnes géopolitiques régionales, notamment la reconnaissance de l’Etat hébreu par son voisin et rival marocain.
Alger avait également refusé de classer, en 2016, le Hezbollah dans la liste des organisations terroristes, sujet de tensions diplomatiques entre l’Iran et les pays du Golfe. Le parti libanais financé par l’Iran a participé activement aux combats en Syrie aux côtés des troupes loyalistes de Bachar al-Assad. A ce propos, en février 2022, un groupe d’amitié parlementaire Algérie-Iran a vu le jour. Des liens qui ne sont pas sans conséquences sur le Maghreb et les relations algéro-marocaines, empoisonnées depuis de longues années par la question du Sahara occidental. En mai 2018, Rabat avait en effet accusé Téhéran d’armer le Polisario via le Hezbollah, qui ont opposé un ferme démenti. Les relations diplomatiques sont rompues entre les deux pays depuis, alors que le Maroc a normalisé et développé ses liens avec l’Etat hébreu en 2020.
L’Algérie, exemple à suivre pour la Syrie ?
Indépendamment des alliés communs, l’Algérie et la Syrie partagent une approche analogue face à l’islamisme. Bachar al-Assad avait lui-même, dès 2013, soulevé la ressemblance entre la décennie noire des années 90 en Algérie et l’actuel conflit syrien. « Les positions du peuple algérien en faveur de la Syrie ne sont pas surprenantes car ce peuple a connu une épreuve presque similaire à celle du peuple syrien, qui fait face aujourd’hui au terrorisme », avait alors déclaré le président syrien lors d’une rencontre avec l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères Lakhdar Brahimi, alors médiateur international de l’ONU pour la Syrie.
Plongé dans une guerre aux multiples ramifications, l’Algérie – à l’instar de la Syrie d’aujourd’hui – avait dû faire face, dans les années 90, aux combattants du Groupe islamique armé (GIA), du mouvement islamiste armé (MIA) et à ceux de l’armée islamiste du salut (AIS). Pour mettre fin à cette décennie de conflit, le président de l’époque Abdelaziz Bouteflika avait décidé en 1999 de soumettre par voix référendaire une amnistie pour ceux ayant rejoint les groupes terroristes – non coupables de crimes – renonçant à la violence armée.
Pour l’heure, certains signes avant-coureurs semblent indiquer que Damas n’y serait pas, à son tour, totalement réfractaire. En effet, en mai 2022, Bachar al-Assad promulguait le décret d’amnistie n°7, libérant, selon l’agence officielle Sana « des centaines » de prisonniers condamnés pour « crimes terroristes ». Un argument dont les médias occidentaux doutent, aucune liste de noms publiée ne permettant de mesurer l’ampleur des libérations.
En définitive, derniers héritiers du nationalisme arabe, la Syrie et l’Algérie peuvent aisément partager leurs expériences, mais pour l’heure, la réunion des deux alliés au sein de la Ligue arabe, pour défendre leurs intérêts communs, devra encore attendre.
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