Dans un éditorial publié dans le mensuel Ruptures, Pierre Lévy revient sur la régression que représente l'austérité énergétique imposée sur le Vieux continent.
Y aura-t-il du courant à Noël ? Pour peu que les centrales nucléaires en maintenance reviennent vite en service et que la météo soit clémente (vive le réchauffement…), les interruptions de service sont peu probables, rassure le Réseau de transport d’électricité. A condition toutefois de se plier aux consignes de « sobriété » – autrement dit d’austérité – qu’édicte le gouvernement. Ainsi, un des pays les plus avancés de la planète en est réduit, au XXIe siècle, à évoquer le black-out, et à ordonner de baisser le chauffage… Il fallait bien un président «progressiste» pour accompagner cette régression d’échelle historique. Avec la sombre désinvolture qui fait son charme, Emmanuel Macron a ainsi prophétisé «la fin de l’abondance»…
Ce texte est publié en partenariat avec le mensuel Ruptures. Éditorial paru dans l’édition de septembre du mensuel (imprimé) Ruptures
Difficultés d’accès aux hydrocarbures, hausse vertigineuse des cours : une crise énergétique d’ampleur sans précédent s’accélère en Europe, dont les conséquences économiques et sociales pourraient bien faire figure de tsunami. Trois facteurs notamment sont à l’œuvre. Le premier d’entre eux est «systémique», diraient les linguistes bruxellois : l’avènement de la loi du marché. Celle-ci n’a pas toujours régi le commerce du gaz en particulier. Naguère, des contrats à long terme assuraient aux Etats producteurs des revenus stables, et aux acheteurs des prix bas. C’était avant que la fourniture de l’or bleu ne soit libéralisée, parallèlement à la déréglementation des ex-monopoles publics – une des réalisations phares de l’Union européenne.
Le deuxième facteur a trait au mot d’ordre désormais commun aux élites mondialisées : la réduction des émissions de CO2. Ainsi, le système d’échange européen des quotas carbone vise à renchérir délibérément l’utilisation, mais aussi la production, d’énergie carbonée. Au point que le gouvernement socialiste espagnol – qu’on ne peut soupçonner d’être «climatosceptique» – plaide pour que cette écotaxe, elle aussi régie par les mécanismes de marché et qui a bondi, soit gelée. Sans succès.
Enfin, le troisième facteur est celui qui a mis le feu aux poudres : les sanctions édictées par les dirigeants européens contre Moscou. L’UE a fait le choix politique de boycotter le charbon puis le pétrole russe, et menaçait de faire de même pour le gaz, avant que le Kremlin ne prenne les devants à titre de contre-sanction, en restreignant drastiquement les flux livrés par gazoduc. Résultat : le cours de l’or bleu – pour lequel les Vingt-sept cherchent désespérément des fournisseurs alternatifs – a été multiplié par douze en moins d’un an, entraînant une hausse faramineuse du prix de l’électricité.
Il faut dès lors tout l’aplomb d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, pour faire porter la responsabilité de la crise énergétique sur la Russie : celle-ci aurait volontiers, guerre ou pas, poursuivi ses livraisons si Bruxelles ne s’était pas juré de mettre son économie à genoux. Mais il semble que les peuples, confrontés à la chute brutale du pouvoir d’achat et aux restrictions qui se profilent, soient de moins en moins dupes : de Prague à Leipzig et d’Athènes à Naples en passant par Bruxelles, des manifestations se font jour, réclamant des pourparlers avec Moscou plutôt que le soutien inconditionnel à Kiev, voire l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2 – une perspective dont Bruxelles ne veut pas entendre parler.
Et même en France, ou pourtant ni la Nupes ni les syndicats n’osent mettre en cause le principe de punir Moscou, les élites s’inquiètent : «Le doute et la lassitude menacent de s’installer.», s’alarme avec effroi un récent éditorial du Monde (13/09/22). Celui-ci éprouve donc le besoin de marteler que les sanctions sont nécessaires «et fonctionnent». La guerre en Ukraine serait-elle donc en passe de prendre fin ? Nullement. Mais la Russie «n’en est qu’au début d’un long calvaire», jubile discrètement le quotidien, dévoilant ainsi involontairement le véritable objet de celles-ci.
Surtout, «changer de cap sur les sanctions reviendrait à conforter Vladimir Poutine dans sa vision d’une Europe pleutre et incapable de tenir sa place dans l’histoire», argue Le Monde, ajoutant que «dévier de cette trajectoire (…) pourrait être fatal au projet européen». Il faut donc tenir le cap, fût-ce au prix de «notre confort énergétique et notre prospérité économique».
Punir Moscou et poursuivre l’intégration européenne : voilà donc, in fine, pourquoi nous risquons de geler dans quelques mois. Si cette froide vérité se répandait plus largement, l’hiver pourrait bien être chaud.
Pierre Lévy
Crise énergétique : vers une récession violente et potentiellement durable en Europe
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