La CGT poursuit la mobilisation dans les sites de TotalEnergies et d'ExxonMobil et incite d'autres secteurs à s'y joindre. Le ministre de l'Economie a appelé TotalEnergies, qui a annoncé un bonus exceptionnel et des augmentations, à lâcher du lest.
Le conflit social en cours dans le secteur pétrolier va-t-il s’étendre ? C’est ce que souhaite la CGT, qui a reconduit la grève dans les raffineries françaises de TotalEnergies, après un vote «à une très large majorité» le 13 octobre au matin dans cinq sites impliqués dans le mouvement, a indiqué à l’AFP le coordinateur CGT pour le groupe, Eric Sellini.
«La grève est reconduite à la raffinerie de Normandie, à la raffinerie de Donges, à la raffinerie de Feyzin, sur le dépôt de Flandres et à la raffinerie de la Mède», a-t-il détaillé, au lendemain de l’échec des discussions avec la direction. Le coordinateur CGT pour le mouvement a précisé que la base de chargement de Grandpuits (Seine-et-Marne) est en revanche «ouverte», car elle n’était plus «bloquée par des militants sur place». Sans savoir cependant «si la logistique va suivre» pour que le site fonctionne de nouveau.
La CGT, qui a lancé la grève depuis le 27 septembre chez TotalEnergies, revendique 10% d’augmentation pour 2022, contre les 3,5% obtenus en début d’année, afin de compenser l’inflation et de s’assurer d’une meilleure répartition des bénéfices exceptionnels réalisés par le groupe.
Parallèlement, les grèves ont été reconduites dans les raffineries Esso-ExxonMobil, dans lesquelles un accord a été trouvé avec la CFDT et la CFE-CGC, mais pas avec la CGT. Après les annonces d’Elisabeth Borne le 11 octobre, des salariés ont été réquisitionnés le lendemain au dépôt de Gravenchon-Port-Jérôme (Seine-Maritime). La CGT a d’ailleurs déposé un recours en référé afin de s’opposer à ces réquisitions, jugeant le procédé «illégal».
Pas la faute du gouvernement
Après l’échec des discussions entre la CGT et la direction dans la soirée du 12 octobre, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a pris la parole sur RTL ce 13 octobre. Il a appelé la CGT à «se saisir de la main qui a été tendue» pour «négocier de bonne foi, comme le font les autres organisations syndicales».
D’après le ministre de l’Economie, «il est évident que Total a la capacité de faire des augmentations de salaires», compte tenu des résultats de l’entreprise cette année et des dividendes versés aux actionnaires. Se disant favorable à un partage «équitable» de la valeur, Bruno le Maire a affirmé que les dirigeants du géant de l’énergie ont «la capacité donc le devoir d’augmenter les salaires de tous leurs salariés dans des proportions qu’ils négocieront avec les organisations syndicales».
Interrogé sur les responsabilités des uns et des autres dans la crise actuelle, Bruno Le Maire a estimé que la direction de Total «a tardé» et que le blocage et la pénurie ne résultent pas de «la faute du gouvernement [ou] du président de la République». Il a par là même rejeté les critiques de l’opposition relatives à un manque d’anticipation et de réaction dans ce dossier, alors que le conflit a débuté depuis plusieurs semaines.
Bonus exceptionnel, augmentation de salaires : TotalEnergies fait des concessions
Toujours le 13 octobre, TotalEnergies a publié un communiqué pour déplorer l’absence de progrès sur le déblocage des expéditions dans les dépôts et raffineries et réaffirmer que «les conditions ne sont pas réunies pour organiser la négociation entre toutes les organisations représentatives», en raison du blocage de la CGT.
«Nous prenons nos responsabilités en termes de partage de la valeur», a fait valoir l’entreprise en annonçant le versement d’un bonus équivalent à un mois de salaire à l’ensemble de ses salariés dans le monde. Versé en décembre, le montant de ce «bonus exceptionnel» sera «plafonné pour les salaires élevés», précise le groupe.
Dans le même communiqué, l’entreprise a fait part de sa proposition d’augmenter les salaires de ses employés français en 2023, en complément de ce bonus. TotalEnergies évoque ainsi «une enveloppe d’augmentation salariale sur la base de l’inflation 2022». Cette progression serait d’environ 6%, a ensuite précisé la communication du groupe auprès de l’AFP, soit bien en-deçà de la demande de la CGT.
Martinez veut «généraliser les grèves»
«La négociation, ça se passe avec la direction et les syndicats autour d’une table, pas à travers des communiqués», a réagi Philippe Martinez dans un entretien sur BFM TV, en commentant l’annonce de ce bonus exceptionnel.
Au-delà de ce cas, le secrétaire général de la CGT a appelé à «amplifier les mouvements de grève» actuels, citant les conflits en cours dans le secteur pétrolier, mais également dans l’automobile chez Stellantis, ou encore dans l’agroalimentaire. «Il faut généraliser les grèves», a-t-il insisté, annonçant «dès la semaine prochaine un nouvel appel à grèves et manifestations dans toutes les entreprises, publiques comme privées», probablement le 18 octobre, date à laquelle une grève est déjà prévue dans les lycées professionnels.
💬 "Nous appelons à amplifier les mouvements de grève"
➡Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT pic.twitter.com/NioiD6jUzj
— BFMTV (@BFMTV) October 13, 2022
Selon le leader de la CGT, les réquisitions décidées dans les raffineries françaises sont une erreur de la part du gouvernement, celles-ci ayant «mis le feu aux poudres». Evoquant un échange avec la Premier ministre, le patron de la CGT a indiqué avoir déclaré «à Elisabeth Borne et à son cabinet hier [le 12 octobre] “Vous faites une connerie”, parce que la situation aurait pu se détendre dès hier soir».
Le gouvernement «fait en sorte que la négociation ne puisse pas aboutir» car «ce n’est pas par la force qu’on apaise la situation», a-t-il ajouté, estimant que l’exécutif a sous-estimé la colère du monde du travail, et pas que chez Total». Mis en cause par Emmanuel Macron, qui a demandé le 12 octobre sur France 2 «que la CGT permette au pays de fonctionner», il a rétorqué que le chef de l’Etat «joue les gros bras».
Selon l’AFP, la fonction publique, l’agroalimentaire, les cheminots pourraient joindre leurs forces à celles des raffineurs, Sud-Rail ayant d’ores et déjà appelé à rejoindre le mouvement. Le 12 octobre, le syndicat FNME-CGT (Fédération nationale des mines et de l’énergie) a annoncé sa décision de soutenir les grévistes en lançant un autre mouvement dans le nucléaire.
«L’heure du bras de fer est venue», selon LFI
Le mouvement pourrait aussi s’appuyer sur des convergences plus politiques, illustrées par un rassemblement en soutien aux grévistes le 12 octobre sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris de militants CGT, FO, Solidaires et de nombreux responsables politiques de gauche dont Jean-Luc Mélenchon, Ian Brossat ou encore Philippe Poutou.
La France insoumise a en effet apporté son total soutien au mouvement des raffineurs, qui intervient à point nommé alors qu’elle organise une «marche contre la vie chère et l’inaction climatique» le 16 octobre. Certaines sections et unions de la CGT ont d’ailleurs appelé à y participer, contrairement à la position nationale de la confédération. Selon la députée de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain interrogée sur France 2, «l’heure du bras de fer est venue» avec le gouvernement sur la question des salaires, ce au moyen d’une «grève interprofessionnelle».
Pour l’heure, les pénuries se prolongent, mettant les nerfs des automobilistes à vif. «Nous avons 30% des stations qui aujourd’hui sont bloquées au niveau national», a indiqué le 13 octobre sur RMC la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, précisant que cette proportion atteignait «plus de 40% dans les Hauts-de-France».
Pénurie de carburant : la grève des raffineries s’étend au secteur nucléaire