Economie

Washington boycotte un fournisseur russe de combustible et met en danger sa filière nucléaire

Le développement des réacteurs nucléaires américains de nouvelle génération pourrait être entravé par la décision de leurs concepteurs de boycotter un combustible russe : le seul actuellement disponible pour leurs projets.

Les ambitions bas carbone des Etats-Unis seront-elles entravées par leur jusqu’au-boutisme dans le conflit en Ukraine ? A en croire Reuters, l’industrie nucléaire américaine aurait en effet un «problème russe». L’agence de presse londonienne relate ainsi, le 20 octobre, que le futur programme états-unien de mini-réacteurs nucléaires (SMR) est menacé par un problème d’approvisionnement en combustible.

Contrairement à d’autres pays nucléarisés, les Etats-Unis ont opté pour un uranium enrichi jusqu’à 20%, contre 5% habituellement, afin d’alimenter leurs réacteurs de troisième génération. Dénommé HALEU (pour High-Assay Low-Enriched Uranium) ce combustible n’est actuellement produit que par une seule entreprise dans le monde : Techsnabexport (Tenex), une filiale de Rosatom.

Le paradoxe de l’œuf et de la poule

Jusque là pas de problème, dans la mesure où les Occidentaux ont pris soin d’éviter de sanctionner l’énergéticien russe. Bien qu’ils affichent encore une dépendance vis-à-vis des Russes sur leurs approvisionnements en HALEU, les Etats-Unis ont entrepris depuis plusieurs années de développer leur propre filière. Signée mi-août par Joe Biden, la loi sur la réduction de l’inflation de 2022 sécurise 700 millions de dollars supplémentaires de budget à cet effet.

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Une fois cet objectif atteint, les Américains ne devraient pas rencontrer de trop grandes difficultés à effectuer des coupes dans leurs approvisionnements russes. Tous réacteurs confondus, à l’échelle des Etats-Unis 14% de l’uranium acheté en 2021 provenait de Russie, soit autant que depuis l’Australie, moins que le Canada (15%) et bien moins que le Kazakhstan (35%). Pour autant, les entreprises américaines planchant sur le développement des futurs SMR se sont montrées plus royalistes que le roi et ont décidé de boycotter Tenex, leur seul et unique fournisseur.

Le directeur des affaires extérieures de TerraPower, concepteur de réacteurs nucléaires, confie ainsi à Reuters que son entreprise n’était pas «à l’aise de faire des affaires avec la Russie» suite à l’intervention russe en Ukraine. «Nous n’avions pas de problème de carburant jusqu’à il y a quelques mois» confirme-t-il. Après s’être ainsi privées de combustible, ces firmes US craindraient pour leurs projets de réacteurs selon Reuters qui évoque un «paradoxe de l’œuf et de la poule».

«Personne ne veut commander dix réacteurs sans source de combustible, et personne ne veut investir dans une source de combustible sans dix commandes de réacteurs», abonde auprès de l’agence le patron de Centrus Energy Corp, le fournisseur américain de combustible nucléaire.

HALEU : pas de filière américaine avant plusieurs années ?

Une ligne également tenue par le Français Orano, dans sa réponse à une demande d’information du Département de l’énergie (DOE) afin de développer une filiale d’HALEU aux Etats-Unis. Estimant pouvoir débuter la production sous cinq à huit ans, le groupe français a ainsi fait savoir que – sans un engagement «ferme et significatif» du DOE en termes de volume de commandes – il ne chercherait pas à se positionner sur ce marché.

Du côté américain, Washington n’a pas attendu que les canons tonnent entre la Russie et l’Ukraine pour plancher sur le développement d’une filière domestique. En mai 2019 le DOE avait en effet signé un accord préliminaire en ce sens avec Centrus Energy. En juin 2021, l’entreprise s’est vu délivrer la licence l’autorisant à procéder à l’enrichissement de l’uranium jusqu’aux 20% requis. La production de cet HALEU made-in-USA aurait dû débuter cette année, mais c’était sans compter sur les perturbations provoquées par la crise du Covid-19, reportant d’un an l’échéance du projet.

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Résultat, afin de pallier l’urgence, le gouvernement des Etats-Unis songerait à mettre à disposition des entreprises de l’uranium de qualité militaire (enrichi à plus de 90%) à appauvrir. Il faut dire qu’avec près de 586 tonnes d’un tel uranium, selon les chiffres du DOE, le stock ne manque pas… les projets commerciaux non plus, notamment à l’export.

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En effet, au-delà du regain d’intérêt pour le nucléaire que suscite la crise énergétique internationale actuelle, les Etats-Unis ont démultiplié ces dernières années les prospects à travers le monde, tout particulièrement en Europe, en faisant valoir leur maitrise de cette énergie décarbonée.

Washington a notamment signé en octobre 2020 un accord intergouvernemental inédit avec Varsovie, afin de préparer le terrain à la vente de six réacteurs nucléaires et ainsi couper l’herbe sous le pied à des Français peu enclins à promouvoir leur propre savoir-faire. Au-delà du tabou qu’il est devenu dans l’Hexagone, l’atome est également – à l’échelon européen – dans le collimateur de Berlin.

Ces accords intergouvernementaux, qui selon les mots de l’ambassadrice des Etats-Unis en Pologne «annoncent au reste du monde que l’Amérique est de retour dans le domaine du nucléaire», ont notamment permis aux Américains de s’imposer en Roumanie. D’autres pays du Vieux continent font également l’objet des démarchages combinés des industriels et des autorités américaines, tels la Bulgarie ou encore l’Ukraine. Cette dernière avait fait part, au printemps 2019, de son intérêt pour six SMR américains.

Maxime Perrotin




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