Pour son entrée dans l’atome civil, la Pologne s’équipera de centrales américaines. Un contrat hautement stratégique, de plusieurs dizaines de milliards d’euros et portant sur des décennies, décroché au nez d’EDF. Chronique d’un échec annoncé.
Ce qui devait arriver, arriva. Sauf retournement de dernière minute, la Pologne, qui produit 70% de son énergie électrique grâce au charbon, va acter le choix de l’américain Westinghouse pour bâtir ses réacteurs nucléaires.
«Après discussions avec la vice-présidente Kamala Harris et la secrétaire à l’énergie Jennifer Granholm, nous confirmons que notre projet d’énergie nucléaire utilisera la technologie fiable et sûre» de Westinghouse, a tweeté, le 29 octobre, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. Ce dernier précise que cette décision sera officiellement entérinée au cours d’un conseil des ministres le 2 novembre.
100 000 emplois aux Etats-Unis
Outre-Atlantique, à la veille d’importantes élections, cette annonce n’a pas manqué d’être saluée par l’administration Biden. Les Etats-Unis sont «fiers d’être le partenaire fort de la Pologne pour l’énergie et la sécurité», a réagi le secrétaire d’Etat Antony Blinken. Ce choix de l’exécutif polonais va «créer ou maintenir plus de 100 000 emplois pour les travailleurs américains», s’est pour sa part félicité la secrétaire à l’Energie Jennifer Granholm. La responsable américaine a salué un accord qui renforce «pour les générations à venir» les relations bilatérales américano-polonaises en matière de sécurité énergétique, tout en envoyant «un message clair à la Russie».
📣BIG NEWS: Poland's PM Mateusz Morawiecki just announced Poland will select the U.S. government & Westinghouse for the first part of their $40B nuclear project, creating or sustaining 100,000+ jobs for American workers. Thank you for your hard work with @ENERGY, @USAmbPoland! 1/ pic.twitter.com/uuovszCuGy
— Secretary Jennifer Granholm (@SecGranholm) October 28, 2022
En France, ce énième succès industriel des Américains, auprès du pays le plus subventionné de l’Union européenne, ne trouve que peu d’échos. Pourtant EDF s’était positionné pour décrocher ce marché, chiffré à 32 milliards d’euros (150 milliards de zlotys) pour la construction de six réacteurs nucléaires d’ici 2043. Un contrat qui, en termes de retombées économiques et stratégiques, n’a visiblement que peu à envier au «contrat du siècle» des sous-marins en Australie et dont l’annulation avait fait grand bruit.
Marché polonais : peu d’illusions côté français ?
En Pologne, le patron d’EDF n’avait pourtant pas lésiné sur les promesses. Lors d’un voyage à Varsovie en février 2021, en compagnie du ministre délégué en charge du Commerce extérieur, Jean-Bernard Lévy avait proposé de financer les deux-tiers du projet.
Pour l’aider à décrocher ce contrat, le dirigeant d’entreprise avait également pressé Emmanuel Macron de clarifier sa pensée sur le nucléaire. Le président français entretenait alors toujours le flou quant au lancement des chantiers de nouveaux réacteurs en France. Une hésitation mal perçue en Pologne, où l’on s’interrogeait sur ces Français qui cherchent à leur vendre des centrales dont ils ne semblaient plus vouloir chez eux.
Si Emmanuel Macron s’est depuis positionné en faveur de l’atome, cherchant en même temps à poursuivre l’objectif de réduction à 50% de sa part dans le mix énergétique tricolore, le succès de Westinghouse en Pologne illustre à l’inverse la continuité de la politique des Etats-Unis. En effet, si les crises énergétique, ukrainienne ou encore climatique sont aujourd’hui mises en avant, cette vente de réacteurs made in USA a été mise sur les rails par l’administration Trump avec la signature en octobre 2020 d’un accord intergouvernemental inédit et ambitionnant de «développer le programme d’énergie nucléaire de la Pologne».
Varsovie, indéfectible client de l’industrie américaine
D’ailleurs, à la suite de la défaite de Donald Trump, la France avait repris espoir en Pologne, dont le président Andrej Duda est réputé proche de l’ex-locataire de la Maison-Blanche. Mais au-delà de la relation entre les deux chefs d’Etat conservateurs, la relation privilégiée de Varsovie et Washington a-t-elle eu raison des avances de Paris?
Depuis sa sortie du bloc de l’Est, la Pologne n’a jamais manqué une occasion de rappeler aux Européens qu’elle considère sa relation avec les Etats-Unis comme prioritaire, tout particulièrement dans les domaines attenant à sa sécurité. Dès 2003, Varsovie avait donné le ton en signant un «contrat du siècle» avec Lockheed-Martin pour l’achat de 48 F-16, à la barbe du français Dassault et du suédois Saab.
Cette préférence polonaise pour les Etats-Unis s’est douloureusement rappelée aux Français en 2016, lorsque Varsovie avait déchiré un contrat portant sur 50 hélicoptères multi-rôles Caracal. Un contrat lui-même acquis dans la douleur, dans la mesure où la Pologne avait conditionné sa signature au renoncement par Paris de livrer les deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie. Après cela, les Polonais s’étaient tournés vers les Américains pour leur acheter directement des Black Hawk.
Troquer une dépendance pour une autre?
Quelles que soient les raisons, cette décision polonaise jette un pavé dans la mare de la «souveraineté européenne» prônée par Emmanuel Macron. Au-delà de la Pologne, les Etats-Unis lorgnent sur d’autres marchés en Europe. Bulgarie, Roumanie, Ukraine, ont toutes signé des accords avec les Américains afin de développer ou rajeunir leur parc nucléaire.
Si ces pays entendent devenir moins dépendants de la Russie dans leurs approvisionnements énergétiques, ceux-ci se lient durablement à une autre puissance. Une puissance, dans le cas présent, clairement extra-européenne. N’est-il pas surprenant, pour un pays détenant l’ex-leader mondial de l’électricité, de se laisser ainsi marginalisés par les Etats-Unis et la Russie qui s’affirment aujourd’hui comme les deux parrains de l’atome sur le Vieux continent ?
Maxime Perrotin
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