Entre la colonisation illégale en Cisjordanie, la visite controversée sur l'esplanade des mosquées et les opérations armées dans les villes palestiniennes, tous les facteurs sont réunis pour que la Palestine s'embrase comme en 1987 et 2000.
En Terre Sainte, tous les signaux sont au rouge. Après la visite plus que controversée du nouveau ministre israélien de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir sur l’esplanade des Mosquées le 3 janvier qui a provoqué l’ire de toute la région, l’Etat hébreu a annoncé le 8 janvier l’interdiction d’arborer le drapeau palestinien dans les lieux publics.
Cette énième restriction fait suite à la récente demande de l’Autorité palestinienne aux Nations unies d’examiner la question de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Le nouveau gouvernement israélien, en fonction depuis le 29 décembre 2022 et considéré comme le plus à droite de l’histoire d’Israël, a également capté 40 millions de dollars de recettes fiscales palestiniennes pour les reverser aux familles des victimes israéliennes.
Tous les ingrédients pour une nouvelle intifada
«Ces mesures constituent une nouvelle guerre contre le peuple palestinien […] et contre la survie de l’Autorité nationale» palestinienne, s’est indigné le 9 janvier le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh. «Elles ont pour seul but de pousser l’Autorité au bord d’un gouffre financier et institutionnel», a-t-il estimé, assurant que cette politique se conclurait par un «échec».
«La seule responsable de son déclin est l’Autorité palestinienne elle-même qui a choisi d’encourager le terrorisme et le meurtre d’Israéliens. Nous ne l’accepterons pas», a pour sa part affirmé le 8 janvier le nouveau ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich.
Il n’a pas fallu attendre le retour du sixième gouvernement de Netanyahou pour que la situation soit explosive. Depuis plusieurs mois maintenant, des unités de Tsahal, des agents du Shin Bet et de la police des frontières mènent quasi quotidiennement des raids dans les villes cisjordaniennes à Hébron, à Ramallah, à Jénine ou encore à Jérusalem. D’ailleurs, selon des données recoupées par le site Middle East Eye, l’année 2022 fut la plus meurtrière depuis la fin de la seconde intifada en 2005, avec 220 Palestiniens tués dont 48 enfants.
Face à la recrudescence de la violence, l’Autorité palestinienne est de plus en conspuée et décriée pour son inaction voire sa complaisance à l’égard des autorités israéliennes. De ce fait, la rue palestinienne s’active et tente d’imposer sa voie par la lutte armée, à l’instar du groupuscule de la Fosse aux lions (Areen al-Oussoud en arabe) actif majoritairement à Naplouse ou de la brigade Balata (nom d’un camp de réfugié éponyme). De surcroît, comme le pouvoir de Mahmoud Abbas devient de plus impopulaire, les groupes islamistes de Gaza que sont le Hamas et le Djihad islamique essayent de combler le vide auprès d’une jeunesse abandonnée face aux exactions israéliennes.
Outre les tensions quotidiennes avec son lot de morts et de blessés, la vie dans les territoires palestiniens est soumise à de nombreux contrôles aux checkpoints, la pauvreté, au manque d’espoir et surtout à la problématique de la colonisation illégale qui perdure et même s’intensifie.
En 1989, on dénombrait ainsi environ 70 000 colons, aujourd’hui ce chiffre a été multiplié par 10 : 710 000 Israéliens habitent dans les territoires occupés, ce qui représente 23% de la population en Cisjordanie. Un chiffre en perpétuel hausse. Et le nouveau gouvernement israélien ne compte pas s’arrêter là. La construction des villas au toit rouge symbolisant les propriétés juives dans les territoires occupés va continuer. L’Etat hébreu s’apprête en effet à légaliser une soixantaine d’avant-postes et d’améliorer du réseau routier entre la Cisjordanie et Israël. Une manière d’encrer davantage les colonies dans la durée.
2023 : un mélange entre 2000 et 1987
Tous ces éléments font donc craindre l’embrassement de la Palestine avec une nouvelle intifada. Ce mot arabe, qui signifie «soulèvement», a été employé en Occident pour décrire les révoltes massives dans les territoires palestiniens.
Force est de constater aujourd’hui les ressemblances ô combien frappantes avec les précédentes. En effet, le second soulèvement de la rue palestinienne entre 2000 et 2005 est notamment lié à l’embourbement du processus de paix et ce malgré le sommet de Camp David II, organisé sous l’égide du président américain Bill Clinton du 11 au 24 juillet 2000, réunissant le Premier ministre israélien Ehoud Barak et le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat.
Les deux parties ne s’entendent pas sur le statut de Jérusalem-Est, sur la question du retour des réfugiés et la colonisation illégale, mais ce qui va mettre le feu aux poudres est ni plus ni moins la visite du chef du Likoud de l’époque Ariel Sharon le 28 septembre 2000 sur l’Esplanade des Mosquées. Dès lors la rue s’embrase, les Palestiniens de la ville trois fois sainte matérialisent leur mécontentement par le jet de pierres contre les soldats de Tsahal. La situation s’envenime et tous les partis palestiniens de gaza ou de Cisjordanie s’en mêlent.
Les actions violentes contre les civils ou les soldats israéliens se multiplient. De son côté l’Etat hébreu continue la répression des manifestants avec des raids dans les villes palestiniennes. Malgré les innombrables appels de l’ONU, de l’Union européenne et de la Ligue arabe, les affrontements s’intensifient et perdurent. A la fin de l’année 2002, soit 27 mois d’intifada, 2073 Palestiniens et 685 Israéliens sont morts.
Le premier soulèvement de 1987 était la conséquence de l’occupation de 52% de la Cisjordanie et de 11% de Gaza et à l’emprisonnement de plus de 10 000 activistes politiques palestiniens. L’assassinat d’un membre de Tsahal à Gaza le 6 décembre 1987 et la mort de trois palestiniens le surlendemain provoque l’étincelle. Les Palestiniens armés de pierres et de cocktails molotov artisanaux s’en prennent aux forces de l’ordre alors que l’armée israélienne tente de mater la révolte en instaurant des couvre-feux, des checkpoints, des arrestations massives. Peu à peu l’Organisation de libération de Palestine se retrouve affaiblie dans sa lutte contre les autorités israéliennes. C’est dans ce contexte que le Hamas voit le jour en 1988 avec une idéologie nettement plus radicale et jusqu’au boutiste dans sa volonté de reprendre les territoires perdus. Le bilan de ce premier soulèvement recense plus de 1 100 morts côté palestinien et 160 côté israélien.
Au vu du déroulement des deux premières intifada, la situation actuelle en Cisjordanie, à Jérusalem ou à Gaza s’apparente aux prémices de ce qu’il s’est déjà passé en 1987 et en 2000.
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