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McKinsey : le gouvernement Trudeau éclaboussé par la boulimie en conseils des ministères canadiens

Selon une enquête de Radio-Canada, les libéraux emmenés par Justin Trudeau ont dépensé 50 fois plus que les conservateurs de Stephen Harper, restés plus longtemps au pouvoir. Révélations qui pourraient déboucher sur une enquête parlementaire.

Défense, immigration, énergie nucléaire, lutte contre le harcèlement sexuel, tourisme… A l’instar de leurs homologues européens, les fonctionnaires canadiens ont ces dernières années largement sollicité l’expertise des cabinets privés de conseil pour accomplir leurs missions, et ce, jusque dans des domaines régaliens.

Ainsi, 101,4 millions de dollars de contrats auraient été passés en sept ans, rien qu’avec McKinsey, selon le dernier bilan publié le 14 janvier par Radio-CanadaLes journalistes du média public comparent cette note à celle de 2,2 millions de dollars laissée par le gouvernement de Stephen Harper… en neuf ans de règne. Cette croissance, exponentielle, du recours à la firme new-yorkaise de conseil avait déjà été pointée du doigt en janvier 2022 par le quotidien anglophone Globe and Mail.

Début janvier de cette nouvelle année, une première volée de révélations de Radio-Canada avait créé un tollé à la Colline du Parlement. Reprenant des données «non exhaustives» de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), le média public révélait que sous le gouvernement Trudeau les agences fédérales avaient passé pour des dizaines de millions de dollars de contrats avec McKinsey, dont 84 millions «en près de deux ans».

Au gré des nouvelles révélations, on apprend que le ministère de la Défense rafle la première place du podium des administrations les plus gourmandes en conseils externes, devant celui de l’immigration. Parmi les missions dont fut chargé McKinsey auprès de l’armée, on retrouve par exemple la création d’un logiciel permettant «d’affecter des équipages appropriés et optimaux» aux bâtiments de la Marine partant en mer.

Le gouvernement Trudeau bientôt sous le feu d’une commission d’enquête ?

Le cabinet privé américain aurait également été payé par l’armée canadienne pour faire «progresser l’évolution culturelle au moyen de l’élaboration d’un cadre de diversité, d’équité et d’inclusion», ainsi que pour élaborer un système de gestion des plaintes, «notamment celles pour inconduite sexuelle», précisent les deux journalistes à l’origine des publications.

Une audition au Sénat dans le cadre d'une précédente commission d'enquête sur la gestion de la crise sanitaire (image d'illustration).

Un «pognon de dingue» ? Le recours aux cabinets de conseil privés disséqué par le Sénat (VIDEO)

Avec 15 contrats passés depuis mars 2021, pour la bagatelle de 34 millions de dollars, la Défense s’arrogerait ainsi à elle seule le tiers du gâteau. Bien que ces dépenses en conseils externes s’avèrent inférieures à celles d’Ursula von der Leyen lorsqu’elle était à la tête de la Bundeswehr (200 millions d’euros en 2015 et 2016), ces montants ont provoqué un séisme à la Colline du Parlement. Tout comme l’ex-ministre allemande, les ministres canadiens pourraient se retrouver prochainement dans le collimateur d’une enquête parlementaire. Le 10 janvier, les partis d’opposition ont affirmé s’être entendus pour déclencher la tenue d’une telle enquête.

Au-delà du montant des dépenses, c’est également leur pertinence qui suscite des interrogations. Le recours, à grands frais, à un cabinet d’expertise tel que McKinsey pour conseiller les autorités canadiennes passe mal dans un pays où il «pleut» des experts en tourisme, souligne auprès de Radio-Canada Benoit Duguay, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

Par ailleurs, le fruit de ces dépenses s’avérerait dans certains cas peu probant. A titre d’exemple, le fameux système de plaintes du ministère de la Défense serait «voué à l’échec», aux yeux de Louise Arbour. Cette ex-juge de la Cour suprême est également l’auteur d’un rapport préconisant, notamment, de sortir du cadre de la juridiction martiale pour traiter les plaintes liées aux inconduites sexuelles. «Le système proposé par McKinsey créerait le même conflit d’intérêts que celui qui existe actuellement», estime-t-elle. Ironie du sort, c’est suite à son rapport que McKinsey avait décroché le contrat pour créer ce nouveau système, facturé deux millions de dollars.

Les Canadiens plus mesurés que leurs cousins français ?

Cette affaire qui éclate outre-Atlantique n’est pas sans faire écho à celle qui a éclaté en France. Selon un livre-enquête de deux journalistes de L’Obs, paru en février 2022, les ministères tricolores dépenseraient entre 1,5 et 3 milliards d’euros en conseils… chaque année. Soit un volume annuel bien plus élevé que ce qu’il est reproché au gouvernement canadien d’avoir dépensé au cours de ces sept dernières années.

Un véritable pactole pour les américains McKinsey et Boston Consulting Group, le français Capgemini et la très mondialisée Accenture. Un recours «habituel et utile», s’était défendu le gouvernement français en mars dernier, au moment où le Parquet national financier (PNF), au regard du rapport du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques, ouvrait une enquête préliminaire.

Depuis, deux autres enquêtes ont été ouvertes par le PNF, l’une «pour tenue non conforme de comptes de campagne et minoration d’éléments comptables dans un compte de campagne » et l’autre pour «favoritisme et recel de favoritisme». C’est dans le cadre de ces enquêtes, où les liens entre Emmanuel Macron et son entourage avec le cabinet de conseil américain durant les campagnes présidentielles de 2017 et 2022 interrogent, que des perquisitions ont été effectuées aux sièges parisiens de McKinsey et du parti présidentiel Renaissance (ex-LREM).

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