Franck Pallet signe une tribune pour RT France à l'occasion du premier anniversaire de la mort de l'enseignant Samuel Paty.
«Toutes les grandes vérités commencent par des blasphèmes», écrivait Georges Bernard Shaw.
Il y a un an, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine, était assassiné froidement pas un terroriste fanatique d’origine tchétchène âgé de 18 ans, Abdoulkakh Ansarov, de la manière la plus effroyable qui soit. Sur dénonciation d’une jeune collégienne dont il s’avèrera par la suite qu’elle était absente de ce cours, les réseaux sociaux ont fait le reste par la publication de messages de haine et d’appels au meurtre, attisant ainsi les esprits faibles à agir contre celui qui incarnait la liberté et le respect des valeurs républicaines.
Cet assassinat créa une très vive émotion dans notre pays ainsi que dans le monde entier. Samuel Paty est mort en faisant son métier de professeur, en usant de sa liberté d’expression pour enseigner à ses élèves le pluralisme des idées, en leur montrant notamment des caricatures du Prophète Mahomet publiées par Charlie Hebdo, espérant ainsi développer leur esprit critique. La laïcité, ce principe républicain gravé dans le marbre de notre Constitution en son article 1er qui structure les relations entre l’Etat et les religions, outre la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905, votée par le Parlement à une époque où l’islam était alors une religion minoritaire.
La mort de Samuel Paty doit nous inciter, par-delà la tragédie de l’événement, à prolonger notre analyse à la fois historique et sociologique. Avec la décolonisation qui s’est amorcée dans les années 1950-60, et l’immigration qui s’est ensuivie, pour des raisons essentiellement économiques, la sociologie des religions s’en est trouvée profondément bouleversée.
En effet, l’Islam compterait actuellement plus de 4 millions de fidèles, faisant de cette religion la deuxième de France, quoi que ce chiffre émanant du ministère de l’Intérieur est imprécis dans la mesure où la Loi française interdit de recenser les populations par religions. Le législateur de 1905 n’avait pas prévu une telle évolution puisque le but premier de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat était à l’époque de lutter contre le développement des congrégations religieuses et d’assurer la neutralité de l’Etat et de ses fonctionnaires dans l’exercice de leur mission de service public.
Notre pays a vécu dans un climat globalement apaisé jusqu’à la fin des années 1980, où la laïcité est réapparue dans le débat politique, suite au renvoi de trois collégiennes refusant d’enlever leur voile en classe. De là, les batailles juridiques que l’on connaît. C’était l’amorce d’une polémique qui n’a cessé depuis lors de s’exacerber : «Faut-il laisser rentrer l’Islam à l’école ?». C’est en ces termes que l’hebdomadaire Le Point posait le débat à l’époque. En dépit des lois successives votées par le Parlement, et des jurisprudences émanant des juridictions administratives, souvent mal comprises par une partie de la communauté musulmane, la laïcité est pour le moins malmenée au point d’être remise en cause par une mouvance minoritaire particulièrement radicalisée, mêlant ainsi la politique à la religion.
Il faut convenir que le débat politique a été également mal conduit et qu’il a été interprété comme une manière d’aggraver les communautarismes. A cet égard, la Loi sur le séparatisme n’a pas contribué à atténuer ce phénomène. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’elle atteigne les objectifs initialement recherchés, celui de lutter contre toute forme de radicalisation. Bien au contraire, de nombreux musulmans pour la plupart modérés considèrent qu’il s’agit d’une loi contre l’Islam.
L’actuel gouvernement aurait été sans doute mieux inspiré de prendre le temps de la réflexion, de définir de manière précise les contours du débat, au lieu de rédiger un texte quelque peu brouillon et bâclé. Par-delà ce qui précède, le monde a changé. Nos dirigeants politiques n’ont pas pris conscience suffisamment tôt de l’évolution de notre société.
Lors de la chute de l’Union soviétique en 1991, le concept de la fin de l’histoire de Francis Fukuyama était alors dominant. Il était fermement ancré dans l’esprit des dirigeants occidentaux. On pensait majoritairement qu’avec la disparition de «l’Empire du mal», la démocratie s’installerait définitivement aux quatre coins du globe, ce qui était une erreur de raisonnement. C’était en effet vite oublier qu’elle n’est pas un régime politique transposable et exportable et qu’on se heurterait inévitablement au choc des cultures et des civilisations.
Chaque pays est le produit de sa propre histoire et tout changement trop rapide est d’ores et déjà voué à l’échec. Est-ce pour autant une guerre de civilisation à laquelle nous assistons ? Il n’est pas aisé de répondre à une telle question tant il est vrai que les thèses s’affrontent. Force est cependant de constater que plus de 40% de l’humanité vit dans des régimes autoritaires et que la démocratie n’apparait pas être le modèle qu’il convient de suivre pour nombre de pays situés sur le continent africain et asiatique, si l’on excepte le Japon et la Corée du Sud.
Si l’on s’arrête quelques instants sur l’histoire contemporaine, notre pays s’est trouvé empêtré dans un processus de décolonisation mal géré à la fois en Afrique et en Asie. Celle-ci a engendré une immigration croissante à partir du début des années 1960, la plupart du temps de nature économique. Souvent mal maîtrisée, cette immigration a constitué un terreau favorable à tous les clivages et communautarismes, sous couvert d’un discours politique lénifiant portant sur le «vivre-ensemble». Or, le «vivre-ensemble» suppose une adhésion sans faille à notre contrat social ainsi qu’aux valeurs fondatrices de la République proclamées dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Ce n’est pas l’actuelle campagne présidentielle qui va contribuer à apaiser le climat délétère dans lequel nous vivons. En effet, l’extrême droite surfe à la fois sur la vague des peurs et le fantasme lié à une prétendue disparition progressive de notre civilisation judéo-chrétienne. La devise «Liberté-Egalité-Fraternité» a cédé la place aux fractures sociales et territoriales au point qu’une partie de nos concitoyens se sent exclue du contrat social que nous nous sommes pourtant efforcés de préserver.
Si l’on peut largement déplorer le fait que les familles d’immigrés (pour la plupart originaires des pays du Maghreb et d’Afrique francophone) soient «parqués» dans des quartiers en proie à la violence et aux trafics en tous genres, dans lesquels le taux de chômage peut atteindre jusqu’à 30%, cette situation ne saurait pour autant justifier la radicalisation islamiste qui tend de plus en plus à se développer dans certaines zones de non-droit, quand bien même il s’agirait d’une toute petite minorité.
En s’attaquant à la liberté d’expression, l’islamisme politique quelle que soit la forme qu’il peut revêtir, tente d’abattre la démocratie, en exacerbant les divisions et les haines au sein de notre communauté nationale. Malgré les commémorations qui ont eu lieu dans toute la France pour saluer le courage de Samuel Paty, le gouvernement actuel n’a pas tiré toutes les leçons de cette tragédie qui s’est ajoutée à tant d’autres qui l’ont précédée (attentats contre Charlie Hebdo, attentats du Bataclan, de la supérette cacher, du 14 juillet 2016 à Nice, sans oublier celui de l’église Notre-Dame de Nice en 2019…)
Par-delà la nécessité de mieux définir ce que doit recouvrir la notion de laïcité, au regard de l’évolution de notre société, l’une des missions premières de l’Etat consiste à mieux éduquer ses citoyens, à les sensibiliser aux valeurs de la République et à son histoire, laquelle doit être enseignée sans concession aucune avec les périodes les plus sombres, notamment celles de la colonisation, car les cicatrices du passé ne se sont pas encore refermées. L’Histoire doit être conçue comme un bloc et ne saurait occulter certains aspects qui nous déplaisent. Nous devons assumer les erreurs du passé.
C’est par l’éducation que l’on formera de véritables citoyens capables de s’impliquer dans la vie de la cité, et, de participer à la construction du bien commun. C’est également la réduction de la fracture sociale qui permettra d’assurer la cohésion nationale. La mort de Samuel Paty ne doit pas seulement symboliser la lutte pour la préservation de la liberté d’expression. Elle doit également éveiller les consciences et être le moment de l’unité nationale autour des valeurs démocratiques de notre République, sur lesquelles nous devons être intransigeants contre tous ceux qui tentent de s’y attaquer.
Faut-il rendre hommage à Samuel Paty dans les établissements scolaires ?
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