L'industrie de défense allemande se dit prête à augmenter sa production pour l'Ukraine, mais a besoin de commandes précises avant d'investir dans la production. Elle réclame aussi un label «durable» pour séduire les investisseurs.
«Ce qui est important pour nous en tant qu’industrie, c’est d’avoir de la visibilité», a déclaré, à propos de l’effort allemand pour l’Ukraine Hans Christoph Atzpodien, directeur général du Groupement des industries allemandes de sécurité et de défense (BDSV), dans une interview accordée cette semaine à l’agence américaine Associated Press. «Cela signifie que nous devons savoir clairement quels produits sont nécessaires et dans quel délai», a-t-il précisé, ajoutant : «Et nous sommes prêts.»
«L’industrie est beaucoup plus flexible qu’on ne le croit, selon le patron de la filière allemande de l’armement. Les membres de l’association, qui comprennent de grands fabricants d’armes tels que Rheinmetall, peuvent encore augmenter la production, par exemple en réactivant des installations et des machines mises à l’arrêt, et en embauchant plus de personnel, afin que les investissements puissent être réalisés.»
Hans Christoph Atzpodien estime aussi que les propositions visant à regrouper les achats au niveau européen plutôt qu’au niveau national pourraient aider, à condition que cela ne ralentisse pas le processus d’approvisionnement. Il faudrait aussi, à l’en croire, que les pays européens harmonisent leurs règles d’exportation pour éviter d’être désavantagés par rapport aux concurrents d’autres pays.
Changement de doctrine
Après avoir initialement hésité à envoyer des armes létales à l’Ukraine, l’Allemagne est devenue l’un des plus gros fournisseurs de Kiev, au quatrième rang avec 2,4 milliards d’euros, selon le Kiel Institute. Le changement a déjà vu Berlin fournir à l’Ukraine des dizaines de véhicules antiaériens Gepard, des systèmes de missiles Iris-T, des obusiers et des millions de cartouches. L’Allemagne a ensuite autorisé la livraison par les pays alliés de chars Léopard 2 et s’est engagée elle-même fin janvier à en livrer 14, issus toutefois des hangars de la Bundeswehr.
Un soutien qui a laissé une frange de plus en plus importante de l’opinion allemande profondément inquiète quant à la possibilité d’être entraînés dans un conflit avec la Russie (43% des personnes sondées par l’Institut Ipsos au mois de janvier 2023 estimaient que les problèmes de l’Ukraine n’étaient pas ceux de l’Allemagne, 9 points de plus qu’en France et 16 de plus qu’en Grande-Bretagne).
Quant à Hans Christoph Atzpodien, il considère que la décision finale sur la destination d’armes de fabrication allemande doit rester du ressort du gouvernement. Le flou demeure encore néanmoins, l’exécutif allemand ayant pour l’heure refusé de commenter les informations selon lesquelles Rheinmetall était en pourparlers avec l’Ukraine pour la construction d’une usine de chars Leopard dont Kiev veut se doter de toute urgence.
100 milliards d’euros à dépenser en armes
Bien sûr, Berlin a affiché ses ambitions. L’année dernière, le chancelier Olaf Scholz s’était engagé à augmenter les dépenses de défense jusqu’à l’objectif de l’OTAN de 2% du PIB, et à créer un fonds spécial de 100 milliards d’euros (107 milliards de dollars).
Cependant, le 14 mars, lors de la présentation de son rapport annuel, la présidente de la commission de Défense du Bundestag, Eva Högl, a déploré la lenteur des efforts de l’Allemagne pour moderniser ses forces armées. Elle a noté qu’aucun des 100 milliards d’euros du fonds spécial n’avait été réellement dépensé l’année dernière, bien que certaines commandes importantes aient été passées. Elle a aussi appelé à «remplacer rapidement les équipements qui ont été donnés à l’Ukraine» et à accélérer la maintenance des équipements existants.
La sécurité est la clé de la durabilité !
«La Bundeswehr a trop peu de tout, et encore moins depuis le 24 février (2022)», a-t-elle déclaré, avant de préciser : «Nous avons trop peu de chars pour pouvoir nous entraîner suffisamment, faire de l’exercice… Les bateaux et les navires manquent, les avions manquent.» De son côté, le ministre allemand de la Défense cherche également à augmenter son budget de 10 milliards d’euros par an.
Mais certaines banques et nombre d’investisseurs de l’Union européenne rechignent à investir dans le secteur de la défense, craignant qu’on leur reproche de financer une activité jugée «non durable», comme celles des producteurs de combustibles fossiles. Aussi, le Groupement des industriels de défense allemands a trouvé une solution : «Notre demande est que les produits que nous livrons à l’armée allemande ou à d’autres forces armées de l’OTAN, par exemple, soient reconnus de telle manière par l’UE qu’ils soutiennent la durabilité», explique Hans Christoph Atzpodien. «Les fabricants d’armes allemands ont déjà trouvé un slogan pour faire valoir leur cause : “La sécurité est la clé de la durabilité !”.»
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