Le ministre français de la Justice, Eric Dupond-Moretti, devra comparaître devant la Cour de justice de la République. Cet avocat de carrière est accusé d’avoir profité de son poste de garde des Sceaux pour régler des comptes avec les magistrats.
Le garde des Sceaux français, Eric Dupond-Moretti, devra prochainement s’expliquer devant la justice pour des soupçons de prise illégale d’intérêts, a confirmé ce 28 juillet la Cour de cassation. Une audience inédite dans l’histoire de la Ve République.
Nommé à la surprise générale à la Justice en juillet 2020 par le président Emmanuel Macron et confirmé à son poste lors du récent remaniement, Eric Dupond-Moretti est soupçonné d’avoir profité de sa fonction de ministre pour régler des comptes avec des magistrats auxquels il s’était opposé dans sa première vie d’avocat. Il sera jugé prochainement devant la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger les ministres.
Tout au long de cette information judiciaire ouverte début 2021, le ministre a répété n’avoir fait que «suivre les recommandations de son administration» en déclenchant des enquêtes contre des magistrats et dénoncé une instruction de la CJR à charge. De son côté, le syndicat des magistrats a affirmé qu’il s’agissait d’une «situation inédite» qui «affaiblit l’institution judiciaire» entière.
«Présumé innocent», jusqu’à preuve du contraire, rappelle Borne
«Je suis d’abord à la tâche, vous l’avez vu, et puis je répondrai le moment venu, chaque chose en son temps», a réagi devant la presse le ministre, en visite au Pontet, dans le sud-est de la France.
L’ancien avocat garde «toute la confiance» de la Première ministre Elisabeth Borne, qui «prend acte de la décision» et rappelle que le garde des Sceaux est «présumé innocent» et que les procédures judiciaires «se poursuivent en toute indépendance», a réagi à son tour Matignon ce 28 juillet.
Dans cette affaire, un premier dossier concerne l’enquête administrative ordonnée par Eric Dupond-Moretti en septembre 2020, visant trois magistrats du Parquet national financier (PNF).
Le second dossier vise l’enquête administrative déclenchée par le ministre français contre un ancien juge d’instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen l’un de ses clients quand il était avocat.
Eric Dupond-Moretti avait tenté de faire annuler son renvoi en procès devant la CJR en formant sept pourvois contre la procédure et un huitième contre l’arrêt d’octobre ayant prononcé son renvoi en procès.
Parmi les points litigieux soulevés, sur lesquels sa défense misait beaucoup : l’absence de notification au garde des Sceaux de son droit au silence lors d’une audience cruciale ; le tri de documents par une greffière ; le rôle de juge et partie attribué à François Molins, qui a quitté fin juin ses fonctions de procureur général près la Cour de cassation ; les plaintes initiales des syndicats de magistrats et de l’association anticorruption Anticor, présentées comme irrégulières…
Les deux camps s’attendaient à une décision plus favorable au ministre, par exemple un retour du dossier d’enquête aux magistrats instructeurs.
Des «charges suffisantes» pour permettre un procès, selon la Cour de cassation
Mais la Cour de cassation a largement validé l’enquête, suivant intégralement les réquisitions formées par l’avocat général Frédéric Desportes lors de l’audience du 7 juillet.
Elle a expliqué dans un communiqué avoir principalement annulé une saisie de documents réalisée par une greffière lors de la perquisition de juillet 2021 au ministère, mais estimé que même sans ces éléments, l’arrêt de renvoi faisait état de «charges suffisantes» pour permettre un procès.
Sur le droit au silence du ministre, la Cour de cassation relève que la commission d’instruction de la CJR «a informé le ministre de [ce] droit lorsqu’il a comparu la première fois devant elle pour être interrogé», en juillet 2021. «Cette notification vaut pour toute la durée de la procédure d’information conduite par la commission d’instruction» et n’avait donc pas à être renouvelée lors de l’audience de notification des charges d’octobre 2022, d’après la Cour.
Eric Dupond-Moretti «a confiance et l’audience à venir lui permettra de faire la preuve de son innocence», ont réagi dans une déclaration à l’AFP Patrice Spinosi et Rémi Lorrain, ses deux avocats. Lors de cette audience, dans un délai qui pourrait se compter en mois, le ministre «s’expliquera sur les faits qui lui sont reprochés […] pour défendre ses droits comme tout justiciable», selon ses avocats.
Après le «contrôle de la procédure d’instruction» par la Cour de cassation, «il appartient désormais à la Cour de justice de République de se prononcer sur le fond en reprenant l’intégralité de ce dossier», ont souligné les avocats. Cette audience et son issue pourraient remettre en question l’avenir politique d’Eric Dupond-Moretti.
Le parquet requiert un procès contre Dupond-Moretti après des soupçons de prise illégale d’intérêts