Que cachent les sanctions de Washington à l'encontre de deux groupes «d’opposition» pour « violations des droits de l’homme» en Syrie, et la visite de législateurs républicains dans le nord du pays ? Analyse.
Cet article a été initialement publié par RT en langue anglaise sous le titre US betrays its own principles to preserve chaos in Syria par Rachel Marsden, chroniqueuse et commentatrice d’émissions-débats indépendantes en français et en anglais.
Washington a pour habitude d’utiliser les sanctions comme bâton, pour pousser les terroristes à sa solde à faire le sale boulot. Au bon vieux temps de l’Amérique, lorsque peu de citoyens se donnaient la peine de s’intéresser aux guerres par procuration à l’autre bout du monde, le bouc émissaire de service était le président syrien Bachar al-Assad. Tous les deux ou trois jours, un dirigeant occidental après l’autre nous expliquait qu’Assad devait partir, Washington ayant dépensé des milliards de dollars en liquide et en armes afin de s’en débarrasser. S’ils ont finalement échoué, c’est en grande partie grâce à l’assistance militaire russe fournie à la demande d’Assad.
Resté au pouvoir, Assad a disparu des radars de l’Occident. Jusqu’à maintenant : juste au moment où la Syrie est sur le point de normaliser ses relations avec ses voisins du Moyen-Orient, notamment en renouant de simples liens avec l’Arabie saoudite, qui s’était auparavant rangée du côté américain pour renverser Assad en finançant et en armant les groupes d’opposition djihadistes de «l’Armée syrienne libre» avec la CIA et le Pentagone. Or, à présent que la paix est sur le point d’être rétablie au Moyen-Orient, Washington s’active de nouveau en Syrie.
L’administration Biden vient de sanctionner «les groupes d’opposition armés syriens» opérant dans le nord de la Syrie, où traînent tous les amis par procuration de l’Amérique, y compris les Kurdes et les groupes militaires précédemment connus sous le nom de «rebelles syriens». Le 17 août, le département du Trésor des États-Unis, annonçant les sanctions, a invoqué la nécessité de défendre «la paix, la sécurité, la stabilité et l’intégralité territoriale de la Syrie». Ou du moins celle de la zone riche en pétrole [occupée par les troupes américaines], sur laquelle l’actuel président syrien a si peu de contrôle que son gouvernement a accusé Washington à plusieurs reprises d’avoir volé le pétrole en le transportant de l’autre côté de la frontière, en Irak, sous la protection de véhicules militaires américains.
Quand l’ancien président américain Donald Trump s’est rendu compte que les États-Unis n’étaient en Syrie que pour le pétrole, il a renvoyé la balle du conflit syrien dans le camp de la Turquie et n’a plus parlé de l’État islamique. Daech, quelqu’un s’en souvient-il ? Aujourd’hui, la Turquie tient les commandes des groupes de «rebelles syriens» fraîchement sanctionnés par Washington : la Brigade Sultan Souleymane Chah et la Division al-Hamza. Ce n’est pas absurde, les États-Unis ayant utilisé la Turquie, leur alliée de l’OTAN, comme zone de transit pour l’entraînement de ces mêmes djihadistes, à l’époque où ils étaient soutenus par l’Occident.
Les protégés de Washington se battent entre eux
Au moment où Trump a délégué le conflit syrien à la Turquie, certains responsables de Washington se sont inquiétés du sort des Kurdes, alliés américains (considérés comme ennemis publics par Ankara), utilisés comme des supplétifs dans cette même région stratégique riche en pétrole. Et voici les deux gangs de protégés américains se baladant là-bas et se battant les uns contre les autres, pendant que le département du Trésor fait référence aux «atteintes aux droits de l’homme».
Washington semble s’intéresser aux Syriens – ou les considérer comme un peuple à part entière – uniquement quand cela va dans le sens de l’exploitation économique. «Les États-Unis se sont engagés à soutenir la capacité du peuple syrien à vivre sans crainte d’être exploité par des groupes armés et sans peur d’une répression violente», a déclaré Brian Nelson, le sous-secrétaire au terrorisme et au renseignement financier du département américain du Trésor. Mais, bien sûr, si c’était vraiment le cas, Washington ne se serait pas servi de groupes armés afin de destituer le président et d’imposer une guerre longue d’une décennie au peuple syrien.
Au mois d’août dernier, juste après l’instauration de ces nouvelles sanctions, un groupe de républicains membres du Congrès s’est rendu en Syrie. Étant donné le respect de Washington pour la souveraineté nationale, ils disposaient sûrement d’une autorisation du gouvernement syrien pour entrer sur le territoire – cela doit être pour cela qu’ils sont entrés par la porte de derrière, par la Turquie, dans les zones contrôlées par les Américains et les rebelles, où ils sont restés apparemment une trentaine de minutes. En revanche, ils ont pris le temps de rencontrer les Casques blancs, une organisation non gouvernementale cofondée par l’ancien officier britannique James Le Mesurier, accusé d’être un ancien agent du MI-6 par la Russie, et doté du talent rare d’avoir pu circuler librement sur le territoire contrôlé par Al-Qaïda tout au long de la guerre, parvenant même à tourner un documentaire oscarisé.
Ce trio de membres républicains du Congrès – Ben Cline (Virginie), Scott Fitzgerald (Wisconsin) et French Hill (Arkansas) – s’est également entretenu avec les «figures d’opposition» – reste à savoir avec lesquelles exactement, mais la plupart des groupes «d’opposition» opérant dans la région sont au moins liés à quelqu’un figurant sur la «liste des méchants» dressée par Washington –, que ce soit les terroristes désignés du PKK kurde (Parti des travailleurs du Kurdistan) ou les milices syriennes contrôlées par la Turquie et auparavant soutenues par les États-Unis.
L’apparition soudaine de responsables du Parti républicain en Syrie fait penser à ces gros légumes néo-conservateurs, qui se trouvaient dans le camp des républicains des administrations précédentes et qui touchaient des honoraires de conférenciers de 25 à 40 000 dollars pour prendre la parole aux rassemblements de l’opposition iranienne de l’Organisation des Moudjahidines du peuple iranien (OMPI) en banlieue parisienne peu avant que ce groupe ne soit commodément rayé de la liste des organisations terroristes du département d’État américain (en 2012), puis réintégré et instrumentalisé par l’Occident afin de plaider en faveur d’un changement du régime en Iran, jouant le rôle d’opposition dormante.
Qui peut reprocher aux législateurs américains d’avoir perdu le fil et de ne plus savoir qui, de nos jours, sont les terroristes et qui sont les combattants de la liberté ?
«Selon moi, la Syrie a besoin du leadership des États-Unis», a déclaré French Hill, accusant Biden d’avoir échoué à empêcher le trafic illégal de drogues venant de Syrie et enrichissant, selon lui, Assad, tout en tolérant que le pétrole syrien soit puisé dans les territoires contrôlés par les terroristes afin de remplir les caisses des États-Unis. «Réveillez-vous et recommencez à faire ce que l’Amérique vous demande de faire contre Assad», semble-t-il dire. Or, «le leadership américain» signifie payer ou terroriser les autres pour qu’ils fassent le sale boulot à votre place.
Maintenant que les États-Unis cherchent à élargir le cercle de leurs mandataires afin de conjurer le rapprochement imminent des Syriens avec leurs voisins, l’annonce de la levée des désignations comme groupes terroristes pourrait advenir – ou l’adoption de nouvelles sanctions à l’égard d’un ou plusieurs de ces groupes. Et cela en échange de leur consentement à suivre de nouveau les ordres de Washington contre Assad. Le fait que la Syrie soit de nouveau dans le radar, au point de justifier la visite de la première délégation américaine de haut niveau depuis celle du sénateur fauteur de guerre John McCain en 2017, suggère fortement que Washington commence à être préoccupé par le potentiel d’unité du Moyen-Orient – surtout avec les alliés de la Russie.
Les déclarations, points de vue et opinions exprimés dans cette chronique sont propres à l’auteur et ne représentent pas nécessairement la position de RT.
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