À la fin du mois de février s’est tenue la 37e session des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine. L’institution a-t-elle les épaules pour répondre aux multiples crises et conflits actuels ? L’Éthiopie, pays hôte du siège de l’Union africaine, est-elle légitime ? Retour sur ce sommet riche en événements avec Antoine Cléreaux.
L’espace de cinq jours, jusqu’au 18 février, le gratin politique du continent africain s’est retrouvé dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba. L’occasion de parler de paix, de sécurité et de développement, le tout dans un contexte de multiplication des crises et conflits en Afrique.
Éthiopie, l’image écornée
Il faut croire que l’implantation géographique d’une organisation internationale sera toujours source de conflit. La Russie, qui peine chaque année en septembre à obtenir les visas pour sa délégation afin de participer à l’assemblée générale de l’ONU, à New York, se plaint suffisamment de cet état de fait.
Concernant l’Union africaine, le symbole est pourtant puissant : quel meilleur endroit que la capitale du seul État d’Afrique à n’avoir jamais été colonisé pour accueillir son siège ?
Cependant, la volonté de puissance d’Addis-Abeba est passée par là. Géant démographique et économique enclavé, l’Éthiopie souffre de l’absence d’accès à la mer. Mais cela pourrait changer. En effet, le 1er janvier, un mémorandum d’entente a été signé avec le Somaliland, région de Somalie autoproclamée indépendante depuis plus de 30 ans, qui prévoit l’accès à son littoral, contre la perspective d’une reconnaissance de ce territoire à l’heure actuelle uniquement reconnu par… Taiwan. Mais voilà, ce protocole d’accord est considéré par la Somalie ni plus ni moins comme l’annexion d’une partie de ses terres au bénéfice de l’Éthiopie.
Une situation très tendue donc entre les deux pays, qui s’est reflétée dans l’accueil qui a été réservé au dirigeant somalien, lequel a vertement réagi, allant même jusqu’à remettre en question le statut de l’Éthiopie en tant que pays hôte de l’Union africaine, et appelant, si la situation venait à se détériorer davantage, à trouver un nouvel endroit pour y établir son siège.
Mais cela n’a pas été le seul accroc notable de cette 37e édition.
Entre inimitiés et consensus
La rivalité historique entre le Maroc et l’Algérie elle aussi s’invite régulièrement dans l’actualité des plateformes multilatérales. En effet, après les Comores, la présidence tournante de l’UA devait revenir à un pays d’Afrique du Nord. Mais les deux frères ennemis refusant que le rival s’en empare, un consensus de dernière minute a été trouvé en la personne du président mauritanien, qui apparemment s’en serait bien passé, occupé qu’il est à tenter de sortir son pays du marasme économique dans lequel il est plongé.
Il y a néanmoins des sujets qui font l’unanimité, ou presque. Le conflit israélien en premier lieu. En effet, Israël a demandé à être pays observateur de cette édition de la session des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine. Chose qui lui a été refusée. À l’inverse, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, faisait jusqu’au dernier moment partie de la liste des intervenants (même s’ il a finalement été suppléé par son Premier ministre Mohammad Shtayyeh). De nombreux responsables africains, notamment les dirigeants arabes, sont en effet solidaires de la cause palestinienne, n’hésitant pas à qualifier la situation actuelle de «génocide».
La poudrière de l’est de la RDC
L’accusation de génocide a également été soulevée, cette fois concernant le conflit en cours entre l’armée de la République démocratique du Congo et les rebelles du M23, dans l’est de la RDC. Sur les marches qui amènent les officiels vers l’entrée de la salle plénière Nelson Mandela, une action de protestation de «la jeunesse de la RDC contre le génocide» s’est déroulée. Mimant avec une main un pistolet sur la tempe et l’autre devant la bouche, une quinzaine de Congolais ont déployé une banderole dénonçant les combats en cours dans l’est de leur pays.
Tout de suite, les nombreux médias présents sur place – désœuvrés entre deux sessions – se sont rué vers les protestataires, tout heureux de pouvoir partager leurs revendications face aux caméras, dans un endroit qui pourtant se veut apolitique. C’est à ce moment-là que la sécurité s’est réveillée et a dispersé les journalistes tout en isolant et retenant le groupe de protestataires, dont certains membres commençaient à devenir vindicatifs. Un joyeux chaos qui eut pour effet de faire venir encore davantage de médias. Les trouble-fête ont fini par être exfiltrés du bâtiment dans les cris et la confusion.
Cependant, en marge de ce sommet de l’Union africaine, un mini-sommet sur le sujet a été convoqué sous l’impulsion du président angolais, rassemblant autour d’une même table les dirigeants congolais et rwandais. Même si la situation sur le terrain reste extrêmement précaire, le dialogue a pu s’ouvrir à Addis-Abeba, et il continue, aujourd’hui encore.
Une organisation noyautée ?
Institution aux moyens limités – son budget 2023 dépassait à peine les 650 millions de dollars –, l’Union africaine fait comme elle peut face aux multiples défis. En plaçant l’année 2024 sous le signe de l’éducation, elle entend préparer l’avenir du continent le plus jeune de la planète, pour enfin lui permettre de réaliser le potentiel qu’on lui promet depuis si longtemps.
Et que dire de l’indépendance d’une organisation comme l’Union africaine ? Financée aux deux tiers par l’Union européenne, la construction de son siège a été offerte par la Chine (on s’apercevra cinq ans plus tard que le contenu de ses serveurs était transféré vers Shanghai). Et de fait, le siège de l’UA, majestueux, et qui rappelle dans son architecture celui de l’ONU à New York, se trouve géographiquement niché entre la représentation de l’UE et celle de la Chine – certes encore en chantier, mais qui promet d’être grandiose.
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