Vantant les mérites de l’Allemagne, qui va légaliser au 1er avril la consommation et la culture du cannabis, la maire de Strasbourg appelle à une «expérimentation» locale. L'élue espère notamment s’appuyer sur le traité d'Aix-la-Chapelle, signé en 2019 par Emmanuel Macron et Angela Merkel, qui renforce la coopération transfrontalière.
Alors que l’Allemagne autorise à partir du 1er avril la consommation et la culture de cannabis, Jeanne Barseghian, la maire Europe Écologie Les Verts (EELV) de Strasbourg, dans l’est de la France, appelle à la mise en place d’une «expérimentation» locale pour sortir d’une approche nationale répressive aux résultats selon elle «peu probants».
«Sur un bassin de vie commun, nous allons avoir deux réglementations différentes, presque diamétralement opposées, entre l’Allemagne, autorisant la consommation récréative de cannabis, et la France, présentant l’une des législations les plus répressives d’Europe», plaide la maire dans un entretien à l’AFP publié ce 30 mars.
«Évidemment, ça interroge, et ça ne va pas manquer d’interroger la population», a-t-elle déclaré, en insistant sur l’importance des «flux permanents» transitant entre les deux pays via Strasbourg, ville frontière dont le réseau de transports s’étend outre-Rhin et amène bien des usagers à s’y rendre quotidiennement, pour y travailler ou faire leurs courses.
«Le fait qu’un pays européen comme l’Allemagne, attaché à l’ordre public et à la santé publique, décide de faire évoluer sa législation montre bien qu’une politique purement répressive ne lui a pas semblé satisfaisante ni efficace», poursuit Jeanne Barseghian. «A mon avis, ça doit nourrir une réflexion» sur les choix politiques français en la matière.
Cannabis : des trafics «qui génèrent des sentiments d’insécurité»
L’élue locale cite les chiffres de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, selon lequel 47,3% des Français adultes déclarent avoir déjà consommé du cannabis, un chiffre plus élevé que dans n’importe quel autre pays de l’UE. La France compte 5 millions d’usagers de cannabis, selon l’Observatoire français des drogues.
«En tant que maire de grande ville, je suis confronté au quotidien à des interpellations d’habitants qui légitimement s’inquiètent de trafics qui perdurent et qui génèrent des sentiments d’insécurité, voire de la délinquance et une économie parallèle», témoigne l’élue.
Cette dernière est très attentive à l’évolution de la législation allemande, et ses conséquences possibles de ce côté-ci de la frontière. «C’est un point d’attention depuis plus d’un an. Nous avions pris l’initiative avec le maire de Kehl (ville allemande voisine, ndlr) d’interpeller les autorités allemandes pour leur demander de considérer les zones transfrontalières comme la nôtre», explique-t-elle.
«Il n’y aura pas de coffee-shop» en Allemagne, défend Jeanne Barseghian
La nouvelle loi, votée fin février au Bundestag, autorise les personnes résidant en Allemagne depuis au moins six mois à cultiver chez elles jusqu’à trois plants pour leur usage propre, ou à se procurer jusqu’à 50 grammes de cannabis séché par mois auprès des nouveaux «Clubs de cannabis», associations à but non lucratif.
«Cela va rester très encadré, beaucoup moins permissif que ce qu’on peut observer aux Pays-Bas», anticipe Jeanne Barseghian. «Ces clubs ne seront pas des lieux de consommation, il n’y aura pas de coffee-shop», insiste-t-elle.
Intéressée par cette «approche prudente», la mairie va «observer ce qui va se passer en Allemagne, ce que cette législation va générer en termes d’usages, de politique de sécurité, de baisse –ou pas– des trafics, de santé publique». «Et il me semblerait intéressant d’ouvrir une expérimentation à une échelle locale transfrontalière, qui permettrait de tester à Strasbourg ce qui va être mis en œuvre côté allemand», soutient la maire.
Prise en charge des consommateurs de drogue : la maire met en avant «l’expérience» et le savoir-faire local
Elle défend cette idée en mettant en avant «l’expérience» et le savoir-faire local en matière de prévention et d’accompagnement des usagers de drogues, Strasbourg et Paris étant les deux seules villes de France à disposer de salles de consommation à moindre risque (SCMR), plus communément appelée «salle de shoot».
«La ville de Strasbourg est depuis plusieurs mandats pionnière en matière de réduction des risques et de lutte contre les addictions, avec une politique qui a fait école au niveau national, européen et international», souligne-t-elle.
«Et cette salle n’est que la partie visible de l’iceberg, on a tout un écosystème d’associations, de médecins, d’élus qui prennent ce sujet non pas dans une logique répressive, mais sanitaire : une personne en situation d’addiction, c’est un problème de santé publique, il faut pouvoir l’accompagner pour sortir de cette addiction».
Néanmoins, la décision de mettre en place une telle expérimentation n’est pas du ressort des communes. Jeanne Barseghian espère trouver un soutien auprès des autorités nationales et compte s’appuyer sur le traité d’Aix-la-Chapelle, signé en 2019 par le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel et qui autorise des «dérogations» pour «la réalisation de projets transfrontaliers» entre la France et l’Allemagne, notamment en matière «sanitaire».
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