L’Union européenne et les États-Unis jugent que la Serbie est une cible facile. Une analyse de Timofeï Bordatchev, directeur des programmes du club Valdaï.
Cet article a été initialement publié sur RT International par Timofeï Bordatchev, directeur de programme au club Valdaï.
La politique internationale moderne, telle qu’elle est pratiquée par les pays occidentaux, prend parfois un caractère absurde. Récemment, la Commission des questions politiques et de la démocratie de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a approuvé la candidature de la république autoproclamée du Kosovo à l’adhésion au Conseil de l’Europe. N’oublions pas qu’il s’agit d’un territoire dont le statut d’État n’est pas reconnu par tous les membres de la communauté internationale, et même par de nombreux membres de l’APCE. En outre, les dirigeants kosovars sont à juste titre soupçonnés des pires activités criminelles transfrontalières.
Mais faut-il s’étonner ? Il est bien connu depuis longtemps que toutes les organisations dites paneuropéennes sont devenues des outils des États-Unis et de l’Union européenne, dont le seul objectif est de promouvoir certaines de leurs politiques à l’égard du reste du monde. Il peut s’agir de sécurité, ce qui implique l’OSCE, ou des droits de l’homme, pour lesquels le Conseil de l’Europe est utilisé. Entre les mains de l’Occident, même la question de l’environnement est une affaire purement politique.
Autrement dit, tout est utilisé pour créer une pression incessante sur ceux avec qui les États-Unis et l’UE se trouvent actuellement en conflit. On se souvient, par exemple, d’un cas où l’une des résolutions du Parlement européen sur les élections en Russie mentionnait que Moscou devait lever les restrictions sanitaires sur les fruits et légumes provenant des pays de l’UE.
Il n’est pas surprenant que toutes les institutions et tous les accords dominés par l’Occident perdent au fil du temps leur fonction initiale. Personne à Washington, Bruxelles, Berlin ou Paris ne se souvient vraiment des motifs de la création de l’OSCE ou du Conseil de l’Europe. Cela peut sembler une plaisanterie et une exagération, mais de nombreuses années de contacts avec nos collègues américains et ouest-européens ont clairement démontré qu’ils en avaient une vision déformée.
L’impunité de l’Occident depuis la fin de la Guerre froide
Cela est en partie dû à l’impunité quasi-totale dont bénéficie l’Occident depuis la fin de la Guerre froide. Une autre raison est que toutes ces institutions ont été créées pour servir les objectifs égoïstes très précis des États-Unis et de l’Union européenne. En Russie, tout comme ailleurs, nous avons cru sincèrement que la politique internationale pourrait se développer sur la base de nouveaux principes après la Guerre froide. Mais il s’est avéré que ce n’était pas le cas.
Lorsque l’Occident est conscient de son irresponsabilité, il se comporte comme si nous n’étions, pas même au XIXe siècle, mais plutôt au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Les Balkans sont d’ailleurs un sujet très particulier pour Bruxelles et Washington. Si l’Occident est cynique quant à son «héritage» post-Guerre froide, il l’est deux fois plus pour ce qui est de l’ex-Yougoslavie.
Dans leurs relations avec la Russie, et même avec le reste de l’ex-Union soviétique, les États-Unis et l’Europe occidentale ont toujours essayé, ou prétendu essayer, de maintenir un certain formalisme, de faire valoir une égalité relative de leurs partenaires. La Russie a même été invitée, à un moment donné, à participer au G8, principal organisme de coordination de la politique occidentale à l’égard du reste du monde. Bien entendu, nous nous rendons bien compte que toutes ces actions à caractère rituel avaient très peu de poids dans la pratique. Au milieu des années 1990, par exemple, personne en Occident ne cachait que les activités du Conseil de l’Europe n’étaient rien d’autre qu’une belle façade pour faire pression sur la Russie et d’autres pays «post-soviétiques». Du point de vue des formalités et des déclarations rituelles, cependant, tout a paru civilisé pendant longtemps. La Russie a même pu se servir de certains instruments du Conseil de l’Europe : de façon très limitée, bien sûr, et à condition d’éviter toute interférence avec les intérêts des États-Unis, de l’Union européenne ou des régimes nationalistes des républiques baltes sous leur tutelle.
Il ne faut pas s’étonner qu’une bande de trafiquants d’organes soit admise au Conseil de l’Europe. C’est tout à fait naturel, après tout le soutien apporté par Bruxelles et Washington aux régimes baltes, dont les politiques à l’égard des minorités et des libertés sont très proches des exemples les plus radicaux d’il y a une centaine d’années.
En réponse, le Premier ministre serbe a déclaré que son pays pourrait se retirer de l’APCE. Il est toutefois très douteux que Belgrade se décide en fin de compte à le faire.
La Serbie cernée par les pays de l’OTAN
Tout d’abord, si un homme politique serbe s’oppose ouvertement au diktat occidental, il met immédiatement en danger la vie de ses concitoyens face aux mêmes militants kosovars et aux fanatiques religieux. Nous avons déjà vu à maintes reprises comment des manifestations, même minimes, de la souveraineté serbe sur le Kosovo ont entraîné une riposte armée immédiate, suivie des avertissements les plus vifs de la part de Bruxelles et de Washington. En outre, une manifestation officielle du mécontentement de Belgrade à l’égard de l’UE conduirait immédiatement à des sanctions, ouvertes ou déguisées, contre la Serbie. Nous ne connaissons pas suffisamment bien la structure du commerce extérieur du pays, mais même des entraves aux transports et à la logistique lui causeraient probablement des dommages irréparables.
Entourée de tous les côtés par des pays de l’OTAN, les conséquences pour l’économie et la population de la Serbie seraient très graves. Même si la grande majorité des Serbes estime que le Kosovo fait partie de leur territoire national, le parti au pouvoir serait voué à la défaite lors des prochaines élections pour deux raisons : d’une part, en raison de la détérioration de la situation économique et, d’autre part, en raison des nouvelles concessions à l’Occident que le gouvernement devrait faire pour alléger la pression de Washington et de Bruxelles. De même, si la Serbie décidait de faire ce qu’elle veut, tout finirait de manière très tragique pour elle.
Après tout, le passé nous indique qu’il est peu probable que les États-Unis et l’Union européenne soient opposés à l’apparition d’un autre État failli en Europe.
Une haine irrationnelle à l’égard des Serbes
Malgré toutes les erreurs et les ambiguïtés de la position du gouvernement du Premier ministre Aleksandar Vucic à l’égard de la Russie, ce dernier a jusqu’à présent relativement bien réussi la seule tâche objectivement maîtrisable, à savoir la prolongation de la situation d’incertitude. Il a d’ailleurs généralement fait preuve de bienveillance dans ses relations avec la Russie, surtout compte tenu de la position géopolitique de la Serbie.
L’attitude de l’Occident à l’égard de la Serbie et de son peuple est vraiment fascinante parce qu’elle reflète une haine irrationnelle difficile à expliquer. Il s’agit peut-être de psychologie et de perception : les Américains et les Européens de l’Ouest considèrent peut-être les Serbes comme des «Russes» plus faibles qu’ils peuvent vaincre. La Serbie est beaucoup plus petite et faible que la Russie, et elle est encerclée par des zones d’influence totale de l’OTAN.
Si tel est le cas, ce qui se passe dans les Balkans constitue pour la Russie un exemple très pertinent, voire tragique, de ce qui nous arriverait en cas de capitulation. Les décennies écoulées depuis l’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie, sans parler des déclarations incessantes de Belgrade sur sa voie vers l’intégration «européenne», n’ont pas réussi à apaiser le complexe du triomphe sur un ennemi vaincu.
Bien entendu, il est peu probable que la Serbie adhère à l’UE ou à l’OTAN. En revanche, il est tout à fait possible qu’elle survive à la pression de ces blocs extrêmement agressifs. C’est ce que nous verrons dans la décennie à venir.
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