Dans une enquête-fleuve, parue dans le Time, le correspondant à Kiev de l’hebdomadaire américain dresse le portrait d’un président ukrainien jusqu’au-boutiste dans sa volonté de l’emporter sur la Russie, écoutant difficilement ses conseillers et refusant la réalité du terrain.
«Il est immuable, à la limite du messianisme», décrit le Time, dans un article publié le 30 octobre. «Malgré les récents revers sur le champ de bataille», Volodymyr Zelensky serait toujours persuadé d’une victoire militaire de l’Ukraine sur la Russie. «Sa croyance dans la victoire finale de l’Ukraine sur la Russie s’est durcie au point d’inquiéter certains de ses conseillers», relate l’auteur de l’article, Simon Shuster, également auteur d’un ouvrage sur la perception du conflit russo-ukrainien depuis l’intérieur du Palais Mariinsky.
«Personne ne croit en notre victoire comme moi. Personne», martèle le président ukrainien auprès du journaliste. «Il se fait des illusions», commente pourtant l’un desdits conseillers. «Nous n’avons plus d’options. Nous ne gagnons pas. Mais essaie de lui dire ça», poursuit-il auprès du correspondant américain.
«Selon certains de ses collaborateurs, l’entêtement de Zelensky a nui aux efforts de son équipe pour élaborer une nouvelle stratégie», relate Simon Shuster. «Alors qu’ils débattent de l’avenir de la guerre, une question reste taboue : la possibilité de négocier un accord de paix avec les Russes», poursuit-il.
Signer la paix avec Moscou : le tabou absolu
«Pour nous, cela signifierait laisser cette blessure ouverte pour les générations futures», lui déclare un Volodymyr Zelensky dépeint comme ayant toujours «l’intention de gagner la guerre aux conditions ukrainiennes».
«Peut-être que cela calmera certaines personnes à l’intérieur de notre pays et à l’extérieur, du moins ceux qui veulent conclure à tout prix», estime le président ukrainien concernant un éventuel accord de paix avec Moscou. «Mais pour moi, c’est un problème, car on se retrouve avec cette force explosive. Nous ne faisons que retarder sa détonation», assure-t-il au journaliste, avec la même assurance qu’en septembre, quand il amalgamait auprès des responsables américains la défense de l’Ukraine à celle de «la liberté et la démocratie dans le monde».
Une visite washingtonienne qui, d’ailleurs, à en croire le Time, ne se serait pas passée aussi bien que Volodymyr Zelensky l’escomptait. En comparaison à sa précédente visite où il avait été ovationné, un an plus tôt, la presse américaine avait noté l’«accueil bien plus calme» que le président ukrainien a reçu. Là encore, ce dernier serait allé contre l’avis de son entourage. «L’un des conseillers en politique étrangère de Zelensky l’a exhorté à annuler son voyage», relate Simon Shuster, au moment où l’aide à l’Ukraine «est devenue un point de friction» dans les débats autour du budget fédéral. D’ailleurs, quelques jours plus tard, dans un accord provisoire visant à éviter in extremis une fermeture du gouvernement, l’aide à l’Ukraine avait été mise de côté.
Refus d’obéir aux ordres d’offensive
L’entêtement de Volodymyr Zelensky aurait aussi des conséquences sur le champ de bataille. L’hiver provoque un ralentissement des opérations, un fait que le président ukrainien «a refusé d’accepter», relate le journaliste. «Pour moi, geler la guerre signifie la perdre», aurait-il déclaré. Un entêtement d’autant plus difficile à gérer par les conseillers du président que de leur propre aveu la situation sur le front serait loin d’être reluisante. En cause, les importantes pertes subies par les forces ukrainiennes, que le nombre d’enrôlements peine à compenser. «Dans certaines branches de l’armée, la pénurie de personnel est devenue encore plus grave que le déficit d’armes et de munitions», écrit le journaliste.
«Même si les Etats-Unis et leurs alliés mettent en œuvre toutes les armes qu’ils ont promises, “nous n’avons pas les hommes pour les utiliser”», relate Simon Shuster, évoquant la moyenne d’âge «d’environ 43 ans» du soldat ukrainien. «Ce sont des hommes adultes maintenant, et ils ne sont pas en très bonne santé au départ», explique au journaliste le même collaborateur de Volodymyr Zelensky.
Avant l’hiver surviendrait notamment un «remaniement majeur» au sein de l’équipe présidentielle ukrainienne, avec un ministre qui «devrait être limogé, ainsi qu’un général en charge de la contre-offensive». «Nous n’avançons pas», déclare au Time «l’un des proches collaborateurs» du président, évoquant le fait que certains commandants de première ligne auraient commencé à refuser les ordres d’avancer.
«Les gens volent comme s’il n’y avait pas de lendemain»
Volodymyr Zelensky avait limogé à la mi-août tous les chefs des bureaux de recrutement, accusés d’être soudoyés par de jeunes hommes voulant éviter l’enrôlement. Une décision du président ukrainien qui «visait à marquer son engagement à lutter contre la corruption», relate le Time. Une lutte elle-même «demandée» par Washington, mais qui se serait «retournée contre lui». Un officier supérieur concède ainsi à Simon Shuster que «privé de leadership», le recrutement «s’est presque arrêté». Sans pour autant réduire la corruption : «Les gens volent comme s’il n’y avait pas de lendemain», regrette un autre conseiller présidentiel.
© ANNA MONEYMAKER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP Les enfants d’Antony Blinken, lors de la célébration d’Halloween à la Maison Blanche le 30 octobre 2023. Le fils du chef de la diplomatie du pays est habillé de kaki, ressemblant au président Zelensky, et sa fille porte une robe bleue avec un foulard jaune, les couleurs du drapeau ukrainien.
Du côté de Washington, les déclarations semblent évoluer : «Nous ne pouvons pas et ne laisserons pas les terroristes comme le Hamas et les tyrans comme Poutine gagner», avait lancé Joe Biden mi-octobre, annonçant envoyer une «demande urgente» au Congrès pour financer une aide militaire à Israël et l’Ukraine. Une aide d’un montant de 105 milliards de dollars, dont 61 rien qu’à l’Ukraine. «Mais c’était aussi une reconnaissance du fait que, à elle seule, l’aide à l’Ukraine n’a plus vraiment de chance à Washington», estime pour sa part Simon Shuster.
Du côté russe, la position demeure inchangée : «La partie russe n’a jamais renoncé à l’idée de telles négociations», mais «à l’heure actuelle, il n’y a aucune raison de les reprendre», avait déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, lors de la visite de Volodymyr Zelensky aux Etats-Unis.
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