Scott Morrison «ne regrette pas une seconde» d'avoir rompu en 2021 le méga-contrat de sous-marins avec la France au profit de Washington et de Londres, racontant dans un livre avoir maintenu Emmanuel Macron dans le brouillard jusqu'au dernier moment.
«Je savais que si je faisais ça, cela allait évidemment avoir un impact sur la relation avec la France. Il y avait une décision à prendre, je l’ai prise, et je ne la regrette pas une seconde», déclare Scott Morrison dans une version actualisée du livre du journaliste Richard Kerbaj L’histoire secrète des Five Eyes, à paraître en juillet chez Blink Publishing.
L’ex-Premier ministre australien y raconte comment il a tout fait pour dissimuler à la France qu’il négociait un autre contrat dans son dos, tout en répétant qu’il n’a pas menti au président français, si ce n’est par omission.
En septembre 2021, le gouvernement australien avait brusquement annulé un contrat de 90 milliards de dollars australiens (56 milliards d’euros) pour des sous-marins du groupe français Naval Group, lui préférant des sous-marins à propulsion nucléaire britanniques ou américains, dans le cadre d’une alliance stratégique baptisée Aukus [acronyme de l’anglais Australia, United Kingdom et United States]. Cet épisode avait provoqué la fureur de la France et créé une grave crise de confiance avec Canberra, Londres et Washington.
Dès 2020, des discussions au niveau technique étaient en cours entre l’Australie et Washington, révèle Scott Morrison, inquiet d’éventuels retards dans la production des sous-marins français et de la menace grandissante de la Chine dans le sud de la mer de Chine. «S’il y avait un moment pour se décider à obtenir des sous-marins à propulsion nucléaire, c’était maintenant ou jamais», déclare-t-il dans le livre.
Omettre n’est pas mentir, estime l’ex-Premier ministre australien
«Si nous décidions de faire ça, nous ne pouvions pas laisser les Français être au courant. Donc nous avons dû, pardonnez-moi le jeu de mots, construire des murailles de Chine autour de nos discussions» avec Londres et Washington, raconte Scott Morrison. Il se souvient ainsi avoir été approché en marge d’une rencontre du G7 en juin 2021 par Emmanuel Macron qui voulait évoquer le contrat Naval Group… alors même qu’il sortait d’une rencontre secrète sur Aukus avec le président américain Joe Biden et le Premier ministre britannique de l’époque Boris Johnson.
Lors d’un dîner quelques jours plus tard à l’Elysée, Scott Morrison fait «clairement» part au président français de ses inquiétudes sur les retards du contrat français. «Maintenant, est-ce que je lui ai dit que nous allions faire Aukus ? non», admet l’ancien responsable australien, qui ajoute : «Ne pas lui dire n’est pas la même chose que lui mentir.»
Scott Morrison craignait par-dessus tout que le marché avec Washington et Londres tombe à l’eau, en dépit des assurances orales données par les deux pays. Et il ne voulait surtout pas donner aux Français le temps de «tuer le deal» Aukus.
La veille de l’annonce du partenariat Aukus «a été la nuit la plus longue de tout mon mandat», pourtant marqué par l’épidémie de Covid et les feux de forêt catastrophiques qui ont ravagé l’Australie en 2019 et 2020, raconte Scott Morrison. Les retombées politiques d’un échec auraient été «catastrophiques», estime-t-il. Il avait envoyé une lettre au président Macron la veille de l’annonce, mais craignait que ce dernier ait encore le temps de faire capoter Aukus.
L’annonce avait fait l’effet d’un tremblement de terre à Paris, qui avait fustigé «un coup de poignard dans le dos» de Canberra et rappelé son ambassadeur en signe de protestation. Les relations bilatérales sont ensuite restées tendues jusqu’à l’élection, en mai 2022, d’un nouveau Premier ministre australien, Anthony Albanese, qui s’est efforcé depuis d’apaiser les relations avec Paris.
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