La diffusion par Tucker Carlson de son interview de Vladimir Poutine a provoqué une réaction épidermique de ses confrères occidentaux, révélant l’impossibilité d’émettre un avis dissident aussi désireux d’objectivité soit-il. L’entretien a, quant à lui, été visionné plus de 180 millions de fois rien que sur la plateforme X.
L’interview de Vladimir Poutine, réalisée par Tucker Carlson, a fait l’effet d’une bombe dans la presse occidentale. La diffusion de cet entretien de plus de deux heures, entre l’un des journalistes les moins politiquement correct des États-Unis et le président russe, a fait durant la journée du 9 février les choux gras des grands médias. Quasi unanimement, ces derniers ont jugé avec dureté cette interview du président russe. Aux yeux de ses paires, qui à l’instar de la BBC évitent au maximum d’employer le terme de «journaliste» pour le qualifier, Carlson est coupable d’avoir fait preuve d’une certaine bienveillance à l’égard de son interviewé et de ne pas lui avoir posé les questions qui fâchent.
«Carlson a laissé à l’autocrate toute latitude pour manipuler le public et raconter sa version de l’histoire, aussi trompeuse soit-elle», s’indigne CNN. La chaine préférée des Démocrates regrette notamment que Carlson n’ait pas évoqué les «accusations crédibles de crime de guerre» ou encore le sort d’Alexeï Navalny. Vladimir Poutine «se sentait clairement à l’aise dans le rôle d’explicateur», s’émeut le quotidien allemand Handelsblatt, face à un Tucker Carlson qui ne lui posait «pratiquement aucune question». «Poutine a utilisé Tucker Carlson pour nettoyer le sol du Kremlin», titre sans ambages le magazine Rolling Stones. The Guardian, moins virulent que d’autres titres britanniques, souligne que Carlson s’est adressé au chef d’État russe en l’appelant «tout au long» de l’interview «Monsieur le président».
D’autres médias reprochent à Carlson son parcours, rappellent son passage chez Fox News, cette chaine qui a «apporté un soutien sans faille au candidat républicain» lors des présidentielles de 2020, note la RTFB. «La personnalité du journaliste est au moins aussi intéressante que celle de l’interviewé» juge ainsi la Radiotélévision belge, soulignant au passage l’«opposition à l’avortement et à l’immigration» de Carlson. Le média revient également sur les interviews que le journaliste a mené avec d’autres dirigeants à la réputation sulfureuse en Occident. Même angle d’attaque du côté du quotidien Le Soir, présentant Tucker Carlson comme «le trublion qui rapproche Trump et Poutine», et «servant la soupe aux autocrates de tous bords, de Donald Trump à Viktor Orban».
D’autres médias occidentaux souhaiteraient interviewer Poutine, déclare le Kremlin
D’ailleurs, certains ont prêté à Carlson des arrières pensés militantes. «Deux heures et sept minutes de questions rhétoriques, et de nombreux monologues, pour mettre en valeur le leader du Kremlin et faire passer, de la part de Carlson, un message républicain quelque peu subliminal, dans un étalage de publicité et de propagande qui a visiblement satisfait les deux parties, à en juger par leur complicité», résume ainsi le quotidien espagnol El Pais, pointant du doigt la «publicité gratuite» que Vladimir Poutine aurait offerte à Donald Trump.
Cette interview aurait également été «l’occasion pour Vladimir Poutine, 71 ans, de nuire à la campagne présidentielle du président Biden, 81 ans, dont le soutien franc à Kiev contraste avec le scepticisme républicain», écrit pour sa part The Times, évoquant des «critiques» qui estiment que Tucker Carlson aurait été autorisé à interviewer le président russe uniquement parce que cela lui offrait la possibilité «de semer la discorde aux États-Unis et d’alimenter le scepticisme du public» concernant le financement de l’effort de guerre kiévien.
D’autres encore perçoivent dans cette interview, des motivations purement personnelles, présentant un Carlson «déclinant» en recherche de buzz après son éviction de Fox News, à l’instar du New York Times, pour qui Carlson est «revenu, au moins pour un instant, au centre de la politique américaine». Un Carlson, dont les interviews autoproduites et diffusées sur X n’auraient jusqu’à présent «pas eu la même influence évidente sur le débat national» que lorsqu’il présentait une émission sur Fox News.
Mais en matière de chiffres, cette vidéo de l’interview de Poutine a dépassé les 150 millions de visionnage en moins de 24h, et ce sur la seule plateforme X. Un démarrage en trombe qui aurait de quoi faire pâlir les plus grandes stars de la pop.
Revenant sur les réactions au sein de certaines rédactions américaines, à l’égard de la diffusion de la vidéo de l’interview, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov avait pour sa part évoqué une «certaine jalousie professionnelle». «Au cours des trois ou quatre derniers jours, nous avons reçu plusieurs dizaines de demandes d’interviews du président Poutine de la part de médias étrangers. Ce sont les plus grands médias des États-Unis, de France, d’Italie, d’Autriche, d’Australie, de nombreux pays du monde», avait-il également déclaré lors de son point presse du 9 février.
Interview de Poutine : Tucker Carlson pourrait-il être sanctionné en Europe ?