Avec Joe Biden, les tensions entre la Russie et les États-Unis sont plus fortes que sous la Guerre froide et exacerbées avec le conflit en Ukraine. Pourquoi l’administration démocrate est-elle si belliciste envers la Russie ?
Dans mon dernier ouvrage, Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), j’expliquais pourquoi, surpassant largement Reagan et même Nixon, Donald Trump fut le président américain le plus honni et décrié par les Intelligentsias occidentales et les médias mainstream. Son style «populiste» brutal, grossier, agressif était savamment élaboré. Un véritable «chien dans un jeu de quilles» bousculant tous les codes politiques, diplomatiques, qui a beaucoup choqué les élites bien-pensantes. Or l’ancien locataire de la Maison-Blanche a peut-être été le président le plus «indépendant» et «antisystème» de l’histoire américaine. Sa lutte incessante contre le politiquement correct ainsi que son propre et puissant establishment, contre vents et marées ou plutôt contre ouragans et tsunamis, et tout en tenant ses promesses électorales (très rare de nos jours…), ont fait toute la popularité de ce politicien hors norme et non-professionnel auprès de l’«Amérique périphérique». Ainsi, Trump a été allègrement sous-estimé. Ce n’était ni un «fou», ni un «clown» comme beaucoup ont voulu nous le décrire. Certes, c’était un ignare en relations internationales mais il était loin d’être un idiot ! On n’accède pas à la tête de la première puissance du monde en étant un sinistre imbécile ! L’ancien businessman de New York, connecté au réel, excellait dans l’art de la négociation et l’évaluation des rapports de force. Bon manager (dans le style américain bien sûr), il a donc su très bien s’entourer. Il était également un pur réaliste. Un nationaliste certes, mais un non-interventionniste qui ne voulait plus que les États-Unis dépensent des sommes folles pour s’ingérer dans les affaires du monde et jouer le plus souvent aux apprentis-sorciers comme on l’a vu ces dernières décennies.
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021)
Prisonnier d’aucun serment d’allégeance et n’étant au service de personne, c’est aussi sûrement la liberté totale et la mégalomanie du président milliardaire qui l’ont poussé à ne rien faire comme ses prédécesseurs et à faire voler en éclat toutes les anciennes règles afin de rentrer dans l’Histoire, tout en entretenant sa popularité auprès d’une grande partie des Américains victimes de la mondialisation et lassés que leur nation soit le «gendarme du monde». Que cela nous plaise ou non, les faits parlent d’eux-mêmes. L’ancien président fut ainsi le premier dirigeant américain, depuis longtemps, à n’avoir déclenché aucun conflit majeur dans le monde. Oubliés aussi la Corée, son désengagement militaire du Moyen-Orient et surtout les Accords d’Abraham, cet accord de paix historique signé entre Israël et quatre pays arabes et qui n’aurait jamais vu le jour sans les pressions de Trump. Certains ont eu le prix Nobel de la paix pour moins que ça ! Le grand avantage de Trump a donc été de comprendre, pour l’Occident, les grands défis géopolitiques de demain. Ce qui fait toute la différence avec Biden et son administration…
Biden plus dangereux que Trump ?
Et pourtant, soulagés par la défaite du sulfureux président, les gouvernements et les médias occidentaux avaient accueilli de manière quasi orgasmique la victoire de Biden… Or, avec le retour aux commandes des Démocrates et des «idéalistes» à Washington, la vieille stratégie antirusse «brzezinskienne» la plus virulente et les tensions diplomatiques, inédites même durant la Guerre froide, connaissent un regain inquiétant entre la Russie et les États-Unis, avec pour principal théâtre l’Ukraine. Pour certains idéologues américains, la Russie de Poutine est le Croque-mitaine parfait, bien moins puissante et dangereuse que la Chine… Pour d’autres, peut-être plus influents, la Russie est le meilleur moyen de détourner l’attention de l’opinion publique américaine des problèmes domestiques… Ou mieux, de la pression contre la Chine qui, par sa finance prédatrice, a pris en otage, depuis plusieurs années, la majorité des économies occidentales et s’est déjà fait au passage de nombreux relais d’influence et d’utiles débiteurs au sein des arcanes politiques occidentales… Napoléon disait : «L’argent n’a pas de patrie ; les financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence ; leur unique objectif est le gain.» Ainsi, certains puissants lobbies et soutiens de Biden, pour des questions de simples conflits d’intérêts personnels avec Pékin (entre autres comme les GAFAM pour les métaux rares chinois), ne veulent plus, par ailleurs, d’une poursuite de la grande guerre économique avec l’Empire du milieu initiée par Trump…
Avec la guerre en Ukraine et ses positions, Washington est, à court terme, le grand gagnant de ce conflit, puisque les Américains sont parvenus à séparer pour longtemps Russes et Européens, réactiver l’OTAN et intensifier la vente de leur armement et de leur gaz de schiste à l’Europe. Or, à long terme, cette politique antirusse américaine est, d’un point de vue strictement objectif, totalement absurde. Car pour les États-Unis, la seule et véritable puissance qui menace leur suprématie mondiale (mais aussi l’Europe) dans l’économie, le commerce, l’influence et le militaire, est la Chine, et non la Russie. Et au contraire, une stratégie américaine censée aurait été en toute logique un partenariat, voire une alliance avec la Russie contre la Chine. Trump, ses généraux pragmatiques et surtout son habile Secrétaire d’État, Mike Pompeo, (véritable «Mazarin» et architecte de la politique extérieure de l’ancien président) l’avaient très bien compris. C’est pourquoi ils avaient tenté, en dépit du blocage de l’État profond étasunien, une normalisation des relations avec Poutine, dans la droite ligne de l’ancienne et efficace stratégie de Kissinger, visant à toujours séparer Pékin et Moscou. Et surtout, ils s’étaient lancés dans une grande guerre commerciale sans précédent contre la Chine. «Guerre» qui commençait à porter ses fruits avec l’accord «historique» signé avec la Chine en janvier 2020 et à laquelle les Européens se sont refusés d’y participer… Au lieu de cela, les pressions et les séries de sanctions commerciales passées et actuelles contre Moscou n’ont fait que pousser toujours un peu plus la Russie dans les bras de la Chine. Dans ce conflit, l’invasion russe de l’Ukraine est bien évidemment condamnable. Mais sans minimiser les responsabilités de Moscou et comme le rappelle, entre autres, Henry Kissinger et Hubert Védrine, il ne faut toutefois pas perdre de vue que la responsabilité de la situation incombe aussi grandement à la politique des Occidentaux et de l’OTAN ces dernières années et surtout depuis un an avec l’administration Biden. La question de savoir si les responsables des guerres ne sont pas ceux qui les déclenchent, ou plutôt ceux qui les ont rendues inévitables, est plus que jamais d’actualité. Qui ont été les vrais pyromanes ? Car c’est flagrant, rien n’a été fait de sérieux pour éviter cette guerre du côté de l’Occident.
Bien au contraire… Avec la politique de sanctions maximales de l’UE, sans réelles initiatives diplomatiques sérieuses et dictée par Washington, le divorce entre la Russie et l’Europe sera profond. De plus, cette dernière, par un effet boomerang et ne s’étant pas remise de la pandémie, va en payer les plus lourdes conséquences économiques, sociales et humaines… Pour l’instant, l’OTAN et les États-Unis semble se contenter de vouloir faire de l’Ukraine un nouvel Afghanistan pour les Russes, en soutenant massivement l’armée ukrainienne par l’envoi ostensible d’armes, de renseignements et de «conseillers»… Or, certains, les va-t-en-guerre occidentaux les plus dangereux, ceux qui aiment la guerre avec le sang des autres, veulent encore et clairement nous entraîner dans un conflit ouvert avec la Russie ! Une opération sous «faux drapeau» est toujours possible et alors là… Alors comment l’ancien président américain aurait-il réagi face à cette crise ? Sa posture préférée du «mad dog» et son imprévisibilité légendaire auraient peut-être dissuadé les Russes. Quoi qu’il en soit, même si l’opération russe avait finalement eu lieu, Trump, beaucoup moins manipulable et malléable qu’un Biden (que certains disent sénile), n’aurait assurément pas cédé aux pressions des différents lobbies anti-russes ainsi qu’à l’actuelle hystérie et «dérive humanitaro-belliciste» (Hadrien Desuin) pour les beaux yeux d’un Zelensky qu’il méprisait ! Il est certain que Trump aurait lui, privilégié la diplomatie.En attendant, n’oublions pas que durant près d’un siècle, et à l’exception de Bush père et fils, ce sont toujours les Démocrates qui ont déclenché les guerres. L’histoire nous apprend également que des situations économiques incertaines et fragiles poussent souvent les gouvernements à trouver un exutoire à leurs problèmes internes par des aventures à l’extérieur…
Roland Lombardi
Pourquoi le monde arabe ne suit pas les États-Unis sur l’Ukraine ?