Désigné par Paris comme la cause de ses déboires en Afrique, Moscou récuse les accusations françaises d’ingérence et renvoie les Européens à leurs fautes sur le continent africain et à leur vision manichéenne de la politique internationale.
«Si les soldats français au Mali n’ont pas été à la hauteur des attentes des dirigeants de ce pays, la faute ne nous incombe pas». Lors d’une conférence de presse ce 24 janvier, Sergueï Lavrov a taclé les accusations d’Emmanuel Macron à l’encontre de la Russie, à la suite de l’ultimatum adressé à Paris par Ouagadougou. Le 18 janvier, les autorités Burkinabès ont dénoncé l’accord qui régit depuis décembre 2018 la présence de forces françaises sur son territoire. Dans un courrier adressé à Paris, le Burkina Faso laisse un mois aux soldats tricolores pour lever le camp.
Du côté de l’Elysée, on réclame «des clarifications», suivies d’une confirmation venue «du plus haut niveau», et comme dans les cas du Mali et de la Centrafrique on pointe du doigt l’ombre du Kremlin. Interpelé le 22 janvier sur la situation au Burkina, Emmanuel Macron a insisté sur le besoin de se méfier de la «manipulation» de l’information, «une spécialité de certains dans la région qui peuvent avoir partie liée au demeurant avec […] nos amis russes», a-t-il ainsi déclaré.
À son tour interrogé sur le sujet, à l’issue d’une rencontre avec son homologue du royaume d’Eswatini (ex-Swaziland), le chef de la diplomatie russe a récusé toute implication de son pays et retourné l’accusation au Président français. «Nous ne nous pratiquons pas l’ingérence dans les affaires internes. La déclaration du président Macron dit franchement que la France admet une telle ingérence et y recourt» déclare-t-il d’entrée, dans une réponse-fleuve. Au fil de celle-ci, le ministre russe évoque une rencontre avec ses homologues français Jean-Yves Le Drian et européen Josep Borrell en marge d’une Assemblée générale de l’ONU passée. Deux hauts fonctionnaires, d’après le récit de Sergueï Lavrov, qui se seraient agacés des initiatives russes dans une Afrique qu’ils considèreraient comme leur pré carré.
Des pays sommés de «choisir d’être soit avec l’Europe soit avec la Russie»
«Ils m’ont dit que la Russie devrait retenir que l’Afrique constituait une zone d’intérêts particuliers de l’Union européenne», a affirmé le diplomate. «Selon mes informations, plusieurs sociétés militaires privées françaises, assez conséquentes en personnel, opèrent dans ce vaste espace de l’Eurasie. Et cela est considéré comme naturel», a-t-il poursuivi.
Sergueï Lavrov en vient à dénoncer la «logique vicieuse» des Occidentaux, qui s’invitent où bon leur semble, tout en imposant à leurs hôtes d’exclusivement faire affaire avec eux. «C’est cette même philosophie et cette mentalité que l’UE applique à tout point du globe et qui a été énoncée par rapport à l’Ukraine au début des années 2000, où l’UE a déclaré clairement que l’Ukraine devait choisir d’être soit avec l’Europe soit avec la Russie», assène le chef de la diplomatie russe.
Une Eurafrique à laquelle Lavrov a voulu opposer le multilatéralisme : «nous sommes favorables à ce que tous les États, occidentaux aussi bien qu’orientaux, s’appliquent de concert et d’une façon constructive à résoudre les problèmes qu’affrontent les pays du Sud, surtout en Afrique, au lieu de se servir de ces pays comme terrain pour faire avancer leurs approches confrontationnelles unilatérales», déclare-t-il.
Le désastre libyen en toile de fond des malheur des pays du Sahel
Sergueï Lavrov a rappelé par ailleurs l’une des sources de l’embrasement de la zone Sahélo-Saharienne. En l’occurence, des armes et des groupes terroristes tout droit sortis du «trou noir» libyen créé par l’interventionnisme des Occidentaux, au premier rang desquels figure la France de Nicolas Sarkozy. «Nous avons averti que cela se terminerait mal pour les Africains», se remémore le ministre.
Lors du vote en mars 2011 de la résolution 1971 du Conseil de sécurité des Nations unies, portée à bout de bras par Paris, plusieurs pays dont la Russie et la Chine s’étaient abstenues sans pour autant recourir à leur droit de véto. Mais, ainsi adoptée, cette résolution visant à créer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye pour protéger la population civile fut détournée par les forces occidentales venues la faire appliquer. Mouammar Kadafi fut tué et le chaos résultant de l’effondrement de la Jamahiriya arabe libyenne perdure encore aujourd’hui.
Réitérant que son pays est en «faveur de la lutte antiterroriste», Sergueï Lavrov a rappelé que la Russie avait «soutenu les Français» au Conseil de Sécurité de l’ONU lors du déploiement de son contingent au Sahel, afin «d’affronter les mêmes terroristes que les Français avaient soutenus en Libye».
Les derniers militaires français ont quitté la Centrafrique