Sur fond d’inflation, la grogne continue de monter au Canada contre la taxe fédérale sur le carbone, mesure phare de la politique du Premier ministre Justin Trudeau en matière d'environnement. Au 1er avril, cette taxe augmentera de 23%. L’opposition dénonce un «plan fiscal», loin de remplir ses objectifs environnementaux.
Alors que les taxes sur le carbone doivent augmenter le 1er avril au Canada, la flambée de l’inflation ces dernières années et la poussée de l’opposition conservatrice, qui promet d’abolir cette taxe si elle revient au pouvoir, ont clairement affaibli cette politique mise en place en 2019 par le Premier ministre canadien. Et ces derniers mois, les revirements de Justin Trudeau lui-même, qui a notamment autorisé une exception sur le chauffage au mazout pour trois ans, ont brouillé le message.
Cette tarification du carbone est la principale mesure prise par son gouvernement pour réduire de 40 à 45% les émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays d’ici 2030, comme il s’y est engagé dans le cadre de l’accord de Paris. Au 1er avril, elle doit passer de 65 à 80 dollars canadiens (45 à 55 euros) par tonne. Cette augmentation devrait ajouter environ trois cents (deux centimes d’euros) au prix d’un litre d’essence.
Mais sept provinces ont demandé de suspendre ou d’annuler l’augmentation. La province de Terre-Neuve, pourtant tenue par un allié de Justin Trudeau, demande un sursis «au moins jusqu’à ce que l’inflation se stabilise».
«La taxe carbone n’est pas un plan environnemental, mais un plan fiscal» fustige le Parti conservateur
Cette grogne fait les affaires de l’opposant principal de Justin Trudeau pour les prochaines élections de l’automne 2025: Pierre Poilievre a fait de la vie chère et de la suppression de la taxe carbone l’un de ses arguments majeurs de campagne.
«La taxe carbone de Trudeau a forcé les Canadiens à choisir entre chauffer leur maison et mettre de la nourriture sur la table» dénonce le Parti conservateur, fustigeant une taxe qui «n’a absolument rien fait pour lutter contre le changement climatique». «Le Canada se classe désormais 62e sur 67 pays, perdant quatre places par rapport à l’année précédente, selon l’indice de performance climatique», souligne le Parti conservateur, dans un appel à supprimer cette taxe, fustigeant une taxe qui «n’est pas un plan environnemental, mais un plan fiscal».
Parmi l’opposition, l’usine à champignons d’Osgoode, en Ontario, est devenue un symbole. Le producteur Mike Medeiros exhibe sa facture pour montrer qu’il ne pourra pas faire face à la hausse de 23%.
L’entreprise qui emploie 160 personnes et produit chaque semaine 90 tonnes de champignons est une grande consommatrice de gaz naturel pour conserver la chaleur et l’humidité dans les 50 chambres de culture. «Mais d’ici 2030, le coût de notre taxe carbone pour le seul chauffage s’élèvera à un demi-million de dollars. Je ne peux pas absorber ce coût», explique le producteur à l’AFP.
Ces derniers jours, Justin Trudeau a de nouveau tenté de défendre sa politique. Dans une lettre adressée le 26 mars aux provinces, il a expliqué que la tarification du carbone était «le moyen le plus efficace de réduire les émissions», et que cela ne contribuerait qu’à 0,1% de l’inflation.
La hausse du coût de la vie, principale préoccupation des Canadiens
«La plupart des Canadiens bénéficient d’une remise sur le carbone, c’est-à-dire qu’ils récupèrent plus d’argent qu’ils n’en paient», a-t-il affirmé, alors que «les effets dévastateurs des inondations, des incendies de forêt et des sécheresses font grimper les coûts chaque année» pour les Canadiens.
Mais selon l’institut Angus Reid, le coût de la vie est maintenant en tête des priorités des Canadiens (56%) devant la lutte contre le changement climatique (31%). Et quelque 40% des Canadiens souhaitent maintenant l’abolition de la taxe carbone, contre seulement 27% qui estiment qu’elle devrait augmenter comme prévu.
Le Canada, qui en raison de sa situation géographique se réchauffe plus vite que le reste de la planète, est confronté ces dernières années à des événements météorologiques extrêmes dont l’intensité et la fréquence sont accrues par le réchauffement climatique. L’année passée, le pays a notamment été confronté à une saison des feux historique : plus de 18 millions d’hectares ont brulé. Pour Lori Turnbull, professeur de politique à l’université de Dalhousie, les prochaines élections ne seront toutefois pas gagnées sur le thème du climat.
«Les gens ressentent la pression au supermarché, à la pompe, sur leur loyer ou leur crédit immobilier, et une augmentation de la taxe sur le carbone risque de donner l’impression que le gouvernement fait la sourde oreille face à cette crise», observe l’universitaire.
À l’inverse les défenseurs de l’environnement rappellent qu’Ottawa a mis en place plus de 10 plans climatiques depuis 1990, mais qu’aucun n’a atteint ses objectifs et que le pays reste l’un des plus gros émetteurs de GES au monde par habitant. Selon les dernières estimations de l’Institut climatique du Canada, parues en 2022, les émissions du pays, quatrième producteur de pétrole au monde, n’ont jamais cessé d’augmenter.
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