La grogne des transporteurs polonais ne faiblit pas depuis un mois, bloquant des milliers de camions à la frontière avec l'Ukraine. Mécontents de la concurrence ukrainienne qu'ils jugent déloyale, ils ont lancé ce 5 décembre un ultimatum à leur gouvernement pour faire aboutir leurs revendications.
«Nous n’avons pas l’intention de mettre un terme au blocage pour le moment, nous donnons à notre gouvernement jusqu’à jeudi [7 décembre], puis nous intensifierons le mouvement», a déclaré le 5 décembre le porte-parole du Comité polonais de défense des transporteurs et employeurs Tomac Borkowski sur la radio RMF FM, citée par RIA Novosti.
Les transporteurs polonais bloquent depuis le 6 novembre des postes-frontières entre la Pologne et l’Ukraine à Dorohusk, Hrebenno et Korczowa, selon l’agence de presse ukrainienne UNIAN. Ils pressent leur gouvernement de résoudre le «problème des marchandises ukrainiennes». En raison de cette grève, des milliers de camions sont bloqués à la frontière, formant plus de 50 kilomètres de bouchons.
Un accord qui sème la zizanie
Les transporteurs polonais exigent la simplification des formalités douanières pour les véhicules vides et le retour du système de licences pour leurs homologues ukrainiens officiant dans l’Union européenne.
A l’origine de cette situation, la mise en place de l’accord du 1er juillet 2022 de libéralisation des échanges entre l’UE et l’Ukraine, officiellement pour «apporter un soutien rapide aux autorités et à la population ukrainienne» et «atténuer l’impact économique négatif de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine». Cet accord a supprimé les droits de douanes, quotas et droits d’importation, ouvrant l’accès au marché européen pour les entreprises ukrainiennes, dont les transporteurs.
Toujours selon le syndicaliste Tomac Borkowski, pour la seule année écoulée, 12 000 compagnies de transport ukrainiennes auraient été créées, suscitant une concurrence qu’il juge déloyale.
Le gouvernement polonais laisse passer les camions vides
Le 29 novembre, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki avait dit «comprendre beaucoup d’arguments» des transporteurs, tout en évoquant une première avancée : la délégation polonaise à Kiev «s’était mise d’accord sur certains changements qui pourraient conduire au fait que ces camions vides de retour [soient] autorisés à traverser la frontière», afin de soulager l’embouteillage et atténuer la protestation. Signe encourageant, le 4 décembre au matin, un point de passage spécifique aux camions vides a été ouvert à Ougrinov-Dolgobitchiv.
Au sujet du système de licences, le Premier ministre polonais a estimé que celui-ci avait «bien fonctionné» et s’est dit très favorable à sa réactivation. Mais cela n’a pas suffi aux transporteurs polonais.
Bruxelles reproche à Varsovie son «manque d’implication»
Pour l’heure, Bruxelles refuse les exigences polonaises. Dès le 16 novembre, le porte-parole de la Commission européenne Adalbert Jans avait déclaré que «tout rétablissement du système de licences ou de quotas pour le transport routier était juridiquement impossible, car il serait incompatible avec l’accord sur le transport routier conclu avec l’Ukraine».
Sa collègue Adina Vălean, commissaire européen aux Transports, a quant à elle jugé le 29 novembre «absolument inacceptable» la situation à la frontière entre la Pologne et l’Ukraine, ajoutant que «l’Union européenne ne pouvait ainsi être prise en otage». Elle a dénoncé le «manque d’implication» des autorités polonaises pour trouver une solution au blocage menaçant d’appliquer »une procédure d’infraction» contre Varsovie.
Côté ukrainien, le président Zelensky a reconnu le 25 novembre que le pays «traversait des difficultés» à sa frontière en raison des «actes politiques» de ses voisins.
La Slovaquie et la Hongrie se joignent au bras de fer
Du 21 au 22 novembre, les transporteurs slovaques ont à leur tour mis en place un barrage temporaire spontané au poste-frontière de Vyšné Nemecké, «par solidarité avec leurs collègues polonais». En effet, en raison des blocages à la frontière polonaise, de nombreux camions ukrainiens avaient privilégié la route passant par la Slovaquie.
Un nouveau blocage a été rétabli du 1er au 4 décembre, cette fois organisé par l’Union des transporteurs slovaques. Bien que les transporteurs aient décidé de mettre fin au blocage le 4 décembre au soir, au matin du 5 décembre le trafic n’était toujours pas normalisé et 635 camions restaient bloqués à la frontière.
Par un effet domino, la Hongrie a elle aussi été affectée par le détournement du trafic routier pour éviter la frontière polonaise et a rejoint le mouvement le 1er décembre. Au total, selon le représentant ukrainien du service des frontières Andreï Demtchenko cité par le média ukrainien Rada, près de 1600 camions se trouvent bloqués à la frontière ukrainienne du côté slovaque et hongrois.
Embouteillage de camions ukrainiens sur de nombreux kilomètres à la frontière entre la Slovaquie et la Hongrie
La crise des transporteurs n’est pas le premier dossier provoquant une vive crise entre l’Ukraine et les membres de l’Union européenne, sur fond de règles de la concurrence.
Les relations se sont ainsi tendues entre Bruxelles, Kiev et cinq pays de l’UE (Pologne, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie et Roumanie) à l’été dernier. Ces derniers avaient obtenu une interdiction temporaire des importations de céréales ukrainiennes, dont l’importation massive provoquait selon eux une concurrence déloyale. Lorsque Bruxelles a mis fin à cette interdiction, Pologne, Hongrie et Slovaquie ont instauré le 15 septembre 2023 une interdiction unilatérale de ces importations, Varsovie refusant «de se noyer avec Kiev».
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