Anne Sacoolas a fui le Royaume-Uni après y avoir tué un jeune Britannique dans un accident de la route en 2019. A l'issue de son jugement, celle qui a travaillé pour le renseignement américain, non extradée, échappe à la prison.
La justice britannique a condamné le 8 décembre l’Etasunienne Anne Sacoolas à une peine de huit mois de prison avec sursis et à une suspension de permis d’un an, pour avoir provoqué par sa conduite négligente la mort du jeune Harry Dunn, 19 ans. Sa peine, plutôt clémente en raison de ses remords selon les juges, s’inscrit dans une affaire à l’origine de tensions diplomatiques entre Londres et Washington.
Les faits remontent au mois d’août 2019 et se sont déroulés dans le sud de l’Angleterre, près de la base militaire américaine de Croughton, utilisée comme centre de collecte de renseignements par la CIA et la NSA. Roulant du mauvais côté de la route, la ressortissante américaine avait ôté la vie au jeune Britannique en le percutant alors qu’il était à moto.
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Epouse de Jonathan Sacoolas, un officier de renseignement américain stationné à la base de Croughton, la quadragénaire Anne Sacoolas appartient elle-même au monde des renseignements américains.
Après son accident de la route, la conductrice fautive était très vite repartie aux Etats-Unis en revendiquant l’immunité diplomatique. Mais pour les autorités britanniques, elle était bel et bien justiciable : le 20 décembre 2019, le Crown Prosecution Service – chargé des poursuites judiciaires- a autorisé la police du Northamptonshire à procéder à son inculpation. Quelques mois plus tard, en mai 2020, une notice rouge d’Interpol était lancée à son encontre à des fins d’extradition.
Washington a refusé l’extradition
Mais les Etats-Unis notifièrent en Janvier 2020 leur refus d’extrader leur ressortissante : «Les Etats-Unis ont décliné la demande du Royaume-Uni d’extrader une citoyenne américaine impliquée dans un tragique accident de voiture», avait alors confirmé un porte-parole du département d’Etat. «A cet égard, il s’agit d’une décision finale du secrétaire d’Etat Pompeo [en poste à l’époque]», le responsable américain soutenant qu’Anne Sacoolas bénéficiait de l’immunité diplomatique sur le territoire britannique.
Selon plusieurs médias anglais, à l’instar de la BBC, les agents du renseignement basés à Croughton ne peuvent néanmoins pas se prévaloir de l’immunité diplomatique afin d’échapper à des poursuites pour des délits commis sur le territoire britannique, en vertu d’un accord datant de 1995. Mais pour autant la question s’est alors posée pour leurs proches.
Le Daily Mail, en février 2020, avançait que Sacoolas avait «travaillé pour la CIA», et même à un rang plus élevé que son mari, mais qu’elle n’était pas «active» au Royaume-Uni au moment de l’accident. Cité par le journal, le ministère britannique des Affaires étrangères expliquait qu’Anne Sacoolas était à ce moment désignée par les Etats-Unis comme «conjointe sans rôle officiel».
Comme le rapporte The Guardian, la Cour suprême du Royaume-uni a pourtant statué en novembre 2020 qu’Anne Sacoolas bénéficiait de l’immunité diplomatique. «Notre conclusion est que Mme Sacoolas jouissait de l’immunité de la juridiction pénale britannique au moment du décès de Harry. Nous n’arrivons pas à cette conclusion avec un quelconque enthousiasme pour le résultat, mais il est contraint par le fonctionnement de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques», ont ainsi déclaré les juges.
Le mystère Sacoolas entretenu par les confusions de sa défense…
Ainsi que l’a également rapporté le Guardian, lors d’une audience devant une cour de Virginie tenue en février 2021, l’avocat de l’accusée a révélé que cette dernière travaillait pour une agence de renseignement américaine lors des faits, et que cela avait été «un facteur» dans sa décision de quitter le Royaume-Uni après la collision.
Celui-ci a cependant ensuite corrigé son propos en précisant qu’elle travaillait pour le département d’Etat américain, et, lorsque le juge lui a demandé si cet emploi couvrait un travail de renseignement, il a répondu ne pas disposer de cette information. Elle aurait alors motivé son refus de retourner au Royaume-Uni par sa crainte «de ne pas bénéficier d’un procès équitable», selon l’avocat.
Quelques mois plus tard, la chaîne américaine CNN a signalé, après avoir eu accès à des documents déposés devant la cour de Virginie, que les avocats du gouvernement américain avaient tenté de supprimer les détails concernant l’emploi d’Anne Sacoolas en invoquant la «sécurité nationale», et en affirmant que ces informations n’étaient que «peu ou pas pertinentes pour statuer sur les questions restantes dans cette affaire». Pour la première fois, le gouvernement américain admettait «publiquement qu’Anne Sacoolas, et pas seulement son mari, était employée par le gouvernement des Etats-Unis» au moment de l’accident, constatait alors le média.
Enfin, le Guardian a fourni des explications à propos de la participation d’Anne Sacoolas en visioconférence à l’audience du 8 décembre 2022, alors que la police britannique avait présenté des mesures de sécurité pour protéger celle qui s’estimait menacée. Selon le journal britannique, «une autre raison pour laquelle elle ne pouvait pas être présente a été donnée [par le juge]», à savoir une recommandation du gouvernement américain. Ce dernier l’avait en effet invitée à ne pas comparaître en personne, indiquant que «son retour pourrait mettre en danger des intérêts américains importants», ajoutant un élément troublant à l’affaire.
Anne Sacoolas, officier de la CIA, s’en tire à bon compte pour avoir tué un adolescent britannique.
Une affaire que n’a pas manqué de commenter, au moment de son verdict, la femme de Julian Assange, lui-même menacé d’extradition vers les Etats-Unis.
CIA officer Anne Sacoolas gets off scott-free for killing British teenager #HarryDunn. https://t.co/sqagEBLCZS
— Stella Assange #FreeAssangeNOW (@Stella_Assange) December 8, 2022
«Anne Sacoolas, officier de la CIA, s’en tire à bon compte pour avoir tué un adolescent britannique. Pas un seul jour de prison pour Mme Sacoolas», a commenté Stella Assange, dont le mari est enfermé depuis plus de trois ans et demi dans la prison britannique de haute sécurité de Belmarsh. Le fondateur de WikiLeaks risque en effet 175 ans de prison aux Etats-Unis pour avoir diffusé, à partir de 2010, plus de 700 000 documents classés sur les activités militaires et diplomatiques américaines, notamment en Irak et en Afghanistan, impliquant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
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