Alors que le Premier ministre israélien envisage une intervention à Rafah, les autorités égyptiennes craignent de voir l'exil des Gazaouis dans le Sinaï. Face au conflit, Le Caire reste contraint par les exigences de l'État hébreu et n'a pas l'intention de remettre en question les accords de normalisation.
Depuis le début de la guerre en octobre dernier dans la bande de Gaza, l’Égypte tient à la fois à rester solidaire avec les Palestiniens et à préserver ses relations avec Israël, qui menace d’envahir Rafah à sa frontière.
Ce point de passage est en théorie l’unique ouverture sur le monde de Gaza qui ne soit pas sous contrôle direct israélien. En pratique, Israël conserve un droit de regard sur les entrées et les sorties et c’est par-là que passe, au compte-gouttes, l’aide humanitaire destinée à Gaza, qui manque cruellement de nourriture, l’ONU redoutant une «famine généralisée» dans le territoire.
Régulièrement, des voix s’élèvent pour demander à l’Égypte d’ouvrir sa frontière aux Palestiniens, Israël accusant Le Caire d’en faire trop peu.
L’Égypte contrainte d’obéir aux directives d’Israël ?
«Mensonge», répond le porte-parole de l’État égyptien, Diaa Rachwan, qui pointe l’«obstruction délibérée» de l’armée israélienne : seuls 14 000 camions ont pu entrer jusqu’ici dans la bande de Gaza, d’après l’ONU, soit cinq fois moins qu’avant le début de la guerre le 7 octobre entre Israël et le Hamas palestinien.
À au moins cinq reprises, des frappes aériennes ou des tirs d’artillerie de l’armée israélienne se sont abattus sur le terminal de Rafah, interrompant les traversées de camions transportant de l’aide humanitaire.
L’Égypte, impliquée dans toutes les négociations de trêves en échange de libérations d’otages retenus à Gaza contre des prisonniers palestiniens, appelle constamment à accroître l’aide humanitaire.
Des Gazaouis bientôt dans le Sinaï ?
Depuis que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a ordonné le 8 février à son armée d’entamer les préparatifs d’une offensive sur Rafah, les Égyptiens redoutent le scénario catastrophe contre lequel ils mettaient en garde dès le début de la guerre : un «déplacement forcé» des Palestiniens vers le Sinaï.
Prêts à «tous les scénarios», des responsables égyptiens refusent cependant de commenter les possibles conséquences d’une offensive sur Rafah, présentée par Israël comme le coup de grâce pour le Hamas en réponse à l’attaque sanglante du mouvement islamiste le 7 octobre sur le territoire israélien.
Près d’un million et demi de Palestiniens entassés à Rafah craignent le pire, mais «si des Palestiniens sont déportés vers le Sinaï, l’Égypte redoute qu’ils ne se dispersent sur son territoire et veut les contenir dans une zone aménagée à l’avance», souligne Dima Alsajdeya, chercheuse au Collège de France.
Des images satellitaires semblent le confirmer. Des responsables et des experts ont d’ailleurs fait état d’«un enclos fermé de 13 kilomètres carrés» pour abriter «plus de 100 000 personnes», selon le Wall Street Journal.
Les responsables égyptiens démentent formellement mais deux chefs d’entreprises locaux ont confirmé à l’ONG Fondation du Sinaï pour les droits humains avoir obtenu des contrats pour bâtir une zone fermée «entourée de murs de sept mètres de haut».
De son côté, Israël dément officiellement toute «intention d’évacuer les civils palestiniens en Égypte», même si plusieurs de ses responsables appellent ouvertement à un déplacement de l’ensemble des Gazaouis.
Pas de remise en question des accords de normalisation
Les pays arabes, Égypte en tête, sont vent debout contre l’idée de créer de nouveaux réfugiés palestiniens car ceux qui sont partis en 1948 à la création de l’État d’Israël, puis en 1967 durant la guerre des Six jours (qui a opposé Israël à l’Égypte, à la Jordanie et à la Syrie), tentent encore de faire reconnaître leur «droit au retour».
Et l’Égypte, seul pays arabe frontalier de Gaza, a une préoccupation supplémentaire en tête : elle redoute un débordement sur son sol du Hamas, proche des Frères musulmans, sa bête noire.
Israël et l’Égypte ont signé un traité de paix en 1979 et, «pour des questions de coordination militaire et sécuritaire, ni les Égyptiens ni les Israéliens ne veulent d’une suspension», explique Dima Alsajdeya.
«Nous respectons et valorisons notre accord de paix avec l’Égypte, pierre angulaire de la stabilité dans la région et partenaire important», a récemment assuré le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant.
«Ce traité de paix a survécu» à tous les soubresauts du conflit israélo-palestinien, renchérit Dima Alsajdeya, et depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, l’Égypte n’a jamais convoqué l’ambassadrice israélienne au Caire ni remis en question les liens diplomatiques.
Même lorsque l’Égypte a accusé Israël de chercher à «légitimer sa tentative d’occuper le passage de Philadelphie», une route qui longe sa frontière avec Gaza, elle s’est contentée d’un communiqué écrit.
Alors que des milliers de tonnes d’aide s’entassent à l’aéroport égyptien d’Al-Arich, la communauté internationale compte désormais sur un «couloir humanitaire maritime entre Chypre et Gaza».
Là aussi, «un contrôle de sécurité correspondant aux normes israéliennes» sera mis en place, faisant redouter aux Gazaouis de nouveaux délais d’attente.
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