Chroniques

Conflit en Ukraine : les pays de l’OTAN, sont-ils entrés en guerre «à l’insu de leur plein gré» ?

Sanctions, munitions, armes et engins de guerre : l'Occident soutient depuis un an l'Ukraine, chaque Etat repoussant toujours davantage les limites qu'il s'était fixées. Pour Karine Bechet Golovko, pas de doute : ils sont parties au conflit.

«En fait, les pays de l’OTAN sont parties au conflit. Ils ont fait de l’Ukraine un grand camp militaire. Ils envoient des armes et des munitions aux troupes ukrainiennes, leur fournissent des renseignements, y compris avec l’aide d’une constellation de satellites et d’un nombre important de drones. Des instructeurs et des conseillers de l’OTAN forment l’armée ukrainienne et des mercenaires combattent dans le cadre de bataillons néo-nazis». Cette déclaration du Secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Nicolaï Patrushev, s’inscrit dans la suite du triste constat fait par les autorités russes ces derniers temps. Oui, nos pays occidentaux sont de facto parties au conflit, qui se déroule en Ukraine par l’axe atlantiste contre la Russie.

Sans qu’aucune déclaration de guerre n’ait été faite, sans que les pouvoirs constitués n’aient été consultés, sans que la souveraineté populaire n’ait été respectée. Les élites globalistes, qui dirigent nos pays, ont eux-mêmes pris cette décision, qui nous engage tous. Et ce, en dehors de tout cadre légal, de toute base institutionnelle, bafouant ces garants de la stabilité de l’ordre constitutionnel dans nos sociétés, qui pourtant se revendiquent des Etats de droit.

Le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius encadré (d.) par l'ambassadeur d'Ukraine en Allemagne Oleksii Makeiev et (g.) par l'ancien boxeur ukrainien Wladimir Klitschko devant un char Leopard de l'armée allemande à Munster, dans le nord de l'Allemagne, le 20 février 2023 (illustration).

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Ces dirigeants globalistes, pas forcément élus, ont ainsi lancé deux mouvements, qui renforcent chaque jour l’implication des pays de l’OTAN dans ce conflit en Ukraine : une intensification de l’aide militaire, qui se double d’une déconstruction de l’ordre juridique.

La France forme l’armée de l’air ukrainienne à l’utilisation de Mirages 2000

D’une part, les armes de plus en plus sophistiquées fournies aux forces armées agissant sur le territoire ukrainien, pour repousser les limites d’une guerre formellement sous-traitée par l’Ukraine, obligent à une implication systémique de ces pays. A quoi ça sert d’envoyer des chars, si les militaires ukrainiens ne savent pas les manier ? L’Occident a pris en main la formation : «Ces dernières semaines, les premiers équipages ont commencé leur entraînement sur des Leopard 2A6 en Allemagne et en Pologne, ainsi que sur des Challenger 2 au Royaume-Uni», rapportait ainsi Le Monde. A ça sert d’avoir des avions de chasse, si l’on ne sait pas les piloter ? La formation sur F-16 est actuellement en discussion aux Etats-Unis, mais aussi en France sur les Mirages : «Elle (la France) l’est encore aujourd’hui en formant des militaires ukrainiens aux avions de combat Mirage 2000, conçus par Dassault Aviation. Depuis plus d’un mois et demi, une trentaine d’entre eux reçoit un apprentissage accéléré sur les chasseurs bombardiers français sur les bases aériennes de Mont-de-Marsan et de Nancy. Selon le ministère de la Défense, la formation des pilotes eux-mêmes n’aurait pas commencé, seulement celle de “personnels militaires aériens”».

Cette décision de formation des militaires ukrainiens sur le sol des pays membres de l’OTAN – et de l’UE, a été prise il y a en fait assez longtemps, certes par les autorités européennes et fut simplement signifiée aux Etats membres. Ainsi, lors de l’audition à huis clos du vice-amiral Hervé Bléjean, directeur général de l’état-major de l’Union européenne, devant l’Assemblée nationale française le 16 novembre 2022, l’on apprend que dès le début de l’Opération militaire, l’UE a mis en place tout un système d’aide à l’Ukraine. Ce système au départ basé sur le financement des besoins militaires de l’Ukraine a fini par déboucher sur l’instauration de la mission EUMAM UA, ayant pour objet de former directement les forces militaires ukrainiennes, ce qui doit réduire les coûts – puisque le conflit est prévu pour durer : «Fin août, à Prague, lors d’un Conseil informel des ministres de la Défense, les 27 Etats membres ont convenu de mettre en place une mission de politique de sécurité et de défense commune (PSDC) pour assister et former les armées ukrainiennes. La décision d’établir une mission d’entraînement nommée European Union Military Assistance Mission (EUMAM) Ukraine a été adoptée un mois et demi plus tard, le lundi 17 octobre, au cours du Conseil des affaires étrangères. (…) L’objectif de court terme pour les Ukrainiens est de mettre sur pied trois nouveaux corps d’armée d’ici mars 2023, pour un volume estimé de 75 000 hommes, afin de pouvoir prendre l’initiative des opérations au printemps prochain.»

Le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius encadré (d.) par l'ambassadeur d'Ukraine en Allemagne Oleksii Makeiev et (g.) par l'ancien boxeur ukrainien Wladimir Klitschko devant un char Leopard de l'armée allemande à Munster, dans le nord de l'Allemagne, le 20 février 2023 (illustration).

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Bientôt, l’arrivée d’obus à l’uranium appauvri

Difficile de ne pas être partie au conflit, quand «l’aide» est institutionnelle et prend une telle ampleur. Que Macron annonce passer l’économie française à l’économie de guerre et relance la production d’armes en France. De leur côté, les Britanniques, toujours à la pointe de l’atlantisme, envisagent de produire directement en Ukraine : « Des dirigeants d’entreprises de défense britanniques sont actuellement en discussion avec Kiev pour autoriser la fabrication d’armes et de véhicules militaires de conception britannique sur le sol ukrainien.» Mais ne s’arrêtant pas en si bon chemin, le ministère de la Défense britannique a annoncé envoyer des obus à l’uranium appauvri, ce qui serait une première. Lorsque ces armes furent utilisées par les forces de l’OTAN en ex-Yougoslavie ou en Irak, elles le furent par une armée conquérante, une armée d’occupation. Une armée, qui se moquait des conséquences sur la santé de la population locale et la contamination des sols, même si l’OTAN était parfaitement au courant de cela. Or, ici, l’armée dite «ukrainienne» serait prête à utiliser ces armes sur ce qu’elle considère comme son sol national, contre les personnes qu’elle devrait considérer comme ses concitoyens. Elle aura le même comportement qu’une armée d’occupation.

Mais l’armée dite «ukrainienne» n’est-elle pas de fait une armée de l’OTAN ? Elle est formée par l’OTAN, elle est financée par les pays de l’OTAN, elle est armée par l’OTAN, l’utilisation des HIMARS, par exemple, est validée par les autorités américaines, qui fournissent également les renseignements. Des instructeurs des pays de l’OTAN sont sur place. Des «mercenaires» et des étrangers remplissent ses rangs. Cette armée n’a plus d’ukrainien qu’une façade présentée dans les médias occidentaux. Cette armée se bat contre l’Ukraine historique, pour briser ce lien civilisationnel du Monde russe et en faire une société déracinée, ruinée, «recodifiée» pour les besoins d’un combat, qui la dépasse largement.

D’autre part, en plus de la dimension militaire active du conflit, celui-ci est également déployé dans sa dimension juridique par l’Occident. Les pays de l’axe atlantiste sont conduits à détruire l’ordre juridique, qui faisait la fierté de la civilisation occidentale. L’UE a gelé en dehors de tout cadre juridique légitime environ 14 milliards d’euros depuis le 24 février 2022. Le viol de la propriété privée est censé être justifié en raison de la nationalité russe des personnes concernées, et le viol de l’immunité de la propriété publique par le fait… qu’il s’agisse de la Russie. Il s’agit donc d’une décision politique, à peine couverte par un voile juridique, qui porte un coup sérieux au principe quasiment sacré du respect du droit de propriété dans l’Occident autrefois libéral. Il reste un pas à faire – les confisquer. Mais tant les Etats-Unis que l’UE hésitent à sauter le pas, car cette violation trop évidente des ordres juridiques en Occident aurait des conséquences imprévisibles, notamment pour ces pays. Un dangereux précédent serait ainsi créé et plus aucun pays ne serait tranquille, en laissant des fonds dans les banques américaines ou européennes. Cette décision de confiscation des actifs russes gelés serait en fait un acte, dans le domaine économique, équivalent à une déclaration de guerre.

Les ordres juridiques nationaux se détricotent dans les valeurs qu’ils portent, qu’ils sont censés porter, les valeurs d’humanisme, par les législations russophobes, donc discriminatoires, qui se développent dans de nombreux pays. Elles passent par l’interdiction à plus ou moins grande échelle de la langue russe et les attaques portées contre la culture russe et ses représentants, s’ils ne se flagellent pas devant le tribunal médiatique. Ainsi, une chanteuse russe d’opéra peut être virée par e-mail en Hollande ou, en Estonie, le ministère de la Culture interdit les spectacles en russe dans le théâtre de marionnettes. La langue et la culture sont une arme dans le monde global, car elles permettent le lien historique et civilisationnel, elles créent des racines.

Le président russe Vladimir Poutine (image d'illustration).

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Le droit n’est pas compatible avec la guerre, la guerre est une négation du droit, c’est l’avènement de la force. La remise en cause du droit dans les pays de l’axe atlantiste est un signe flagrant de l’implication de ces pays dans le conflit ukrainien. Ils sont entrés en guerre «à l’insu de leur plein gré» et ne peuvent dès lors plus agir dans le cadre d’un ordre juridique régulier. Mais n’ayant pas déclaré la guerre, ils ne peuvent non plus passer ouvertement à une législation d’exception. Donc nous assistons à cette déconstruction étape par étape des principes juridiques, nous rapprochant toujours plus du droit de l’ennemi.

L’enjeu de l’avènement d’un monde global, sans Etats

Au-delà de la fragilisation des ordres juridiques nationaux des pays de l’OTAN, c’est le système lui-même des organes internationaux, qui est mis en danger. L’aveuglement sélectif de l’AIEA autour de la situation de la centrale nucléaire de Zaporojié, accusant systématiquement la Russie de la mettre en danger, soulève beaucoup de questions : un tel parti-pris pro-ukrainien permet-il à cette organisation de remplir sa fonction ? Nous pouvons en douter. Les pressions exercées par les Etats-Unis à l’ONU sur les pays non-alignés, comme par exemple l’Erythrée, peut laisser entendre que cette structure fondamentale de l’organisation internationale de l’après-guerre, a sombré dans le rôle de second plan d’un organe de gouvernance atlantiste. Sans même parler des dérives de la CPI, qui agissant sur le territoire ukrainien sous convention, prend des actes de procédure à l’encontre du président russe Vladimir Poutine et de l’Ombudsman pour les enfants Maria Lvova-Belova, ressortissants russes, c’est-à-dire d’un pays qui ne reconnaît pas la juridiction de la CPI. Or, en droit international, afin de préserver la souveraineté des Etats, seuls les obligations qu’un Etat accepte formellement d’endosser peuvent lui être opposées. Dans le cas contraire, c’est la fin des Etats, mais aussi du système international, qui pose les rapports entre ces Etats. Il s’agirait alors de l’avènement, justement, du monde global, d’un monde sans Etats, un monde de territoires et de populations dépendant d’une volonté supérieure leur échappant. Cette dissolution du système d’après-guerre a été rendue possible par son instrumentalisation dans le conflit, qui se déroule en Ukraine.

Comme le déclare le Secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, l’OTAN est partie au conflit, les pays de l’OTAN sont partie au conflit. Et soulignons, qu’ils fournissent des armes et donnent les moyens de les utiliser aux forces armées en Ukraine, non pas pour faire durer le conflit, mais pour le remporter. Comme l’écrivait Malraux dans L’Espoir, «Il n’y a pas cinquante manières de combattre, il n’y en a qu’une, c’est d’être vainqueur.»

Karine Bechet-Golovko

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