Critiqué et conspué pour l'organisation de la coupe du monde de Football, le Qatar a fait le dos rond, mettant même largement à mal les appels au boycott. Doha entend bien capitaliser sur cette réussite sportive pour accroître encore son soft power.
Une finale d’anthologie, une équipe marocaine historique, de nombreux rebondissements : sur le plan purement sportif, la coupe du monde au Qatar 2022 fut incontestablement une réussite. Doha ne pouvait en effet rêver meilleure fête nationale que ce 18 décembre 2022 : une troisième étoile pour l’équipe de Lionel Messi et un match qui entrera dans les annales.
Sur Twitter à la fin de la finale, l’émir, Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani ne s’y est pas trompé, et a souligné que le Qatar avait «tenu [sa] promesse d’organiser un championnat exceptionnel pour les pays arabes», ajoutant que le tournoi avait, selon lui, permis aux peuples du monde de découvrir la richesse de la culture et l’originalité des valeurs qatariennes.
Le soft power qatari
Le petit émirat, à peine plus grand que l’Ile-de-France, avait tout misé sur cet évènement planétaire pour engranger de l’influence. Et pour cause, le monde a eu les yeux rivés sur le Qatar un mois durant, pendant cette compétition qui est l’une des plus suivies au monde juste derrière les jeux olympiques d’été.
Mais l’investissement aura en fait été de longue haleine, l’organisation de cette grand messe du football constituant le point d’orgue d’une stratégie qui a débuté en 1995. Cette année représente un véritable tournant politique pour le petit émirat. L’émir Hamad Ben Khalifa al-Thani prend les rênes du pouvoir aux dépens de son père et change littéralement les ambitions du pays. Il utilise la rente des hydrocarbures pour avoir une envergure internationale. Devenant rapidement le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), il mise d’abord sur la communication avec le lancement du média Al Jazeera en 1996. En 2005, Doha crée le fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA) qui investit massivement à l’international, notamment dans la finance, l’hôtellerie, l’immobilier mais aussi le sport. L’obtention de la coupe du monde en 2010 dans des conditions pour le moins polémiques – son attribution faisant l’objet d’une enquête pour corruption – et le rachat du Paris Saint Germain en 2011, en sont la consécration.
Désigné pour organiser la grand messe mondiale du football, le Qatar entend bien faire de la Coupe du monde un moyen d’étendre son soft power, d’améliorer son image à travers l’organisation d’une grande compétition et surtout de placer ce petit pays sur la carte du monde. Mais les défis sont nombreux.
Compte tenu du contexte régional délétère avec les conflits au Yémen, en Irak, en Syrie et les tensions avec les partenaires du Golfe, mais également des critiques émanant principalement de l’Occident, le Qatar est attendu au tournant. Jalousé par les uns et honni par les autres, Doha décide de se donner les moyens de ses ambitions, déboursant plus de 220 milliards de dollars pour la compétition, la construction des huit stades flambant neufs et des transports ultra-modernes. A titre de comparaison, pour le précédent mondial en Russie, Moscou avait dépensé 11,6 milliards de dollars.
Pourtant, l’article du 23 février du Guardian sur la mort de plus de 6 500 ouvriers sur les chantiers du mondial entre 2010 et 2020 accentue les critiques envers Doha. Enquêtes, investigations, rapports… Les chiffres mettent en exergue les conditions déplorables rencontrées dans le pays par les travailleurs étrangers. Outre les nombreux décès lors de la construction des stades, les associations pointent également du doigt les soupçons de corruption qui entachent l’obtention du mondial en 2010, l’aberration écologique de la climatisation des stades ou encore le manque de liberté pour les minorités sexuelles. Un vent d’appels au boycott s’élève en Occident pour critiquer cet évènement sportif au Qatar.
Faisant longtemps le dos rond face aux critiques, l’émir du Qatar décide de répondre aux accusations un mois avant le début de la compétition, et se plaint du mauvais traitement que subirait son pays de la part des médias étrangers. «Mais il nous a vite semblé clair que la campagne persistait, s’étendait, qu’il y avait des calomnies et du deux poids deux mesures, atteignant un niveau d’acharnement qui a amené beaucoup de gens à s’interroger, malheureusement, sur les véritables raisons et motivations de cette campagne», martèle-t-il.
Un boycott du boycott ?
Les partisans du boycott, eux, ont le vent en poupe. Rien qu’en France, selon un sondage BVA pour RTL et Orange publié le 18 novembre (soit deux jours avant le début de la compétition), 55% des Français regrettent que la coupe du monde se passe au Qatar, 42% des Français et 23% des amateurs de foot assurent qu’ils boycotteront la compétition.
Pourtant, les appels à un boycott massif resteront lettre morte, du moins en France, et cela dès le premier coup de sifflet du match d’ouverture le 20 novembre. Rien que pour le premier match des Bleus face à l’Australie le 22 novembre, pas moins de 12,5 millions de personnes étaient devant leurs écrans en France.
Le boycott s’amenuisera encore au fur et à mesure de la progression de l’Equipe de France dans la compétition. Ainsi, lors de la finale, la jauge est même montée à 29,4 millions de téléspectateurs, un «record d’audience absolu» pour la première chaîne. Le précédent record (22,2 millions), détenu par la demi-finale France-Portugal du Mondial 2006, a été largement battu.
Si une baisse importante de l’audience sera néanmoins observée en Allemagne – dont la Mannschaft posera main sur la bouche sur la première photo d’avant-match en guise de contestation – les autres équipes laisseront le politique aux vestiaires. Parfois contraintes, comme l’Angleterre ou la Belgique, mais parfois de manière plus assumée à l’image de la réponse du capitaine de l’équipe de France Hugo Lloris, interrogé sur le port d’un brassard aux couleurs arc-en-ciel en soutien à la cause LGBT : «La Fifa organise la compétition, définit un cadre et des règles. Nous, joueurs, ce qu’on nous demande, c’est de jouer au football et de représenter au mieux nos pays sportivement.»
Le Qatar sur sa lancée ?
Du 2 décembre 2010 lorsque Sepp Blatter, alors président de la Fifa, décachette l’enveloppe contenant le nom du pays hôte, aux vidéos de supporters indiens vêtus de maillots de différentes équipes de foot à Doha quelques jours avant le coup d’envoi de la compétition, la Coupe du monde 2022 au Qatar aura fait couler beaucoup d’encre.
Mais l’image, ce 18 décembre, de l’émir Tamim ben Hamad Al Thani déposant un bisht, tenue traditionnelle pour les grandes occasions, sur les épaules du septuple ballon d’or avant que celui-ci soulève la coupe du monde, n’a-t-elle pas fait passer aux oubliettes les nombreuses critiques portant sur le Qatar ? Difficile de ne pas reconnaître la réussite de la politique sportive de l’émirat, qui héberge le président de la Fifa Gianni Infantino, et fournit leurs salaires à Lionel Messi et Kylian Mbappé au PSG…
Leo Messi habillé en Bisht traditionnel Qatari par l'Emir lors de la remise du trophée. 🏆 pic.twitter.com/JSC0sSpfem
— Actu Foot (@ActuFoot_) December 18, 2022
Le Qatar entend bien capitaliser sur ce succès en organisant les Jeux Olympiques d’été en 2036. Suffisant pour faire oublier de nouveaux scandales, comme l’affaire de corruption présumée au Parlement européen dans laquelle il est empêtré ?
Au Qatar, de nombreux supporters arabes refusent de s’exprimer devant les caméras israéliennes