Chroniques

Crise énergétique, crise économique : dans l’œil du cyclone ? Par Philippe Murer

Alors que tout semble calme en apparence, une lecture des chiffres dénuée de naïveté révèle que la situation française risque de se détériorer dans les mois à venir. Une analyse décapante de l'économiste Philippe Murer.

Une étrange petite musique flotte dans l’air : malgré les sanctions et les problèmes énergétiques devant nous, la situation est sous contrôle et les choses ne vont pas si mal.

Il y a trois raisons principales à cela.

Philippe Murer est économiste. Il a récemment publié l’essai Sortir du capitalisme du désastre (éd. Godefroy, 2021).

Premièrement, en ce mois d’octobre très chaud en Europe, le chauffage a été très peu utilisé. Les réserves de gaz n’ont donc pas été entamées et le prix du gaz et de l’électricité ont sensiblement baissé en Europe, amoindrissant les problèmes causés par les prix de l’énergie. Il semble néanmoins très improbable que ce temps exceptionnellement doux se prolonge pendant tout l’hiver.

Deuxièmement, les indicateurs économiques et la situation économique se dégradent mais il n’y a pas d’accélération.

Le pouvoir tente d’amortir le choc psychologique de la crise de l’énergie.

Troisièmement, le pouvoir au sens large tente d’amortir le choc psychologique de la crise de l’énergie en jouant sur la traditionnelle stratégie de l’édredon. Le brouillard de la propagande permet d’invisibiliser les problèmes. Cela permet en effet au gouvernement d’éviter de répondre de ses erreurs stratégiques. L’exécutif et les médias utilisent quelques indicateurs positifs pour dire que « ça ne va pas si mal que ça » tout en faisant passer sous le tapis les indicateurs négatifs.

Ainsi, le PIB de la France aurait cru de 0,2% au troisième trimestre. Certes, mais tous les indicateurs récents sont en baisse et pointent vers une récession et la consommation des ménages en biens est 5% plus basse qu’il y a un an.

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L’emploi se porterait bien, gouvernement et médias le répètent sans cesse. Il faut certes se réjouir que 850 000 personnes aient trouvé un emploi entre décembre 2019 et juin 2022. Cependant, un rapide calcul montre que l’emploi a augmenté de 3% en France entre fin 2019 et juin 2022 quand le PIB n’a augmenté que de 0,4%. Il faut donc 3% de personnes en plus pour produire la même richesse. Cette perte de productivité de près de 3% amène forcément à une situation de baisse des salaires à peu près équivalente. Voilà pourquoi le choix des indicateurs soulignés permet de faire croire à mauvais escient que l’économie française se porte plutôt bien.

Oui, la situation est mauvaise et continue de se dégrader. Elle est mauvaise dans le monde entier, où la Chine a une croissance de 3%, la plus faible depuis 30 ans, où les grands exportateurs que sont la Corée du Sud et Taïwan voient les indicateurs industriels dégringoler quand les indicateurs économiques aux Etats-Unis et en Europe continuent de se détériorer.

Quel est le problème spécifique de l’Europe ?

Les chiffres de l’inflation ne cessent de grimper : 7% en France sur un an, 11% en Allemagne, 13% en Belgique et en Italie, 17% aux Pays-Bas. Or, les hausses de salaires sont faibles, entre 3 et 4%. La perte de pouvoir d’achat qui se traduit et se traduira en baisse de la consommation se situe donc selon les pays entre 4 et 13% ! Dès lors, la récession engendrée par la baisse de la consommation promet d’être une des pires que nous ayons eue. Et à l’énergie chère qui entraîne une amplification de l’inflation se rajoute le risque élevé de pénurie. L’Europe importe usuellement 40% de son gaz de Russie et le gaz représente 20% de l’énergie et de l’électricité du continent. Un manque d’énergie et d’électricité, une pénurie de 8% au maximum sont prévisibles. Les « économies d’énergie » n’atteindront jamais de tels niveaux. L’économie étant de l’énergie transformée, les difficultés vont donc redoubler.

Macron offre 10% du gaz français en rythme annuel pour aider l’Allemagne.

Comme EDF n’arrive pas à tenir ses promesses de remettre rapidement les centrales nucléaires en route, la France manquera beaucoup d’électricité cet hiver et ne pourra pas en importer, nos voisins en manquant à cause de la pénurie de gaz. Et comme si cela ne suffisait pas, Macron offre 10% du gaz français en rythme annuel pour aider l’Allemagne. L’Union européenne a aussi déclaré qu’elle déclencherait une solidarité européenne sur le gaz s’il y avait pénurie. La France peut donc souffrir de pénurie d’électricité et de gaz alors que seulement 10-15% de son gaz provenait de Russie avant les sanctions.

Les conséquences d’une énergie chère sont une baisse de la consommation et une baisse du chiffre d’affaires des entreprises. Les conséquences des pénuries sont imprévisibles mais potentiellement dévastatrices pour les entreprises et les ménages : perte de la nourriture stockée dans les congélateurs (particuliers, restaurants, entreprises alimentaires), rupture des systèmes d’alarme, de téléphone et d’internet et autres effets de bord.

La centrale thermique de Cordemais, dans l'ouest de la France, photographiée en janvier 2022 (image d'illustration).

Crise énergétique : vers une récession violente et potentiellement durable en Europe

Confrontés au début des effets de la crise énergétique, les faillites d’entreprise ont augmenté de 69% cet été par rapport à l’été 2021, un record. Selon une enquête de la CPME, 10% des dirigeants envisagent d’arrêter leur activité à cause du tarif de l’énergie. Les commerçants ont subi l’arrêt de leur activité imposée par le gouvernement lors de la crise du Covid et l’ont payée par plus de dette. Pour tenir, ils ont dû emprunter via des prêts garantis par l’Etat (PGE) qu’ils remboursent aujourd’hui. Ils sont confrontés à la baisse de la consommation et à la hausse de leurs charges (énergie). Cet effet de ciseaux conjugués au remboursement des PGE risque d’être fatal à nombre d’entre eux. Et la prolongation des PGE proposée par l’Etat n’est pas une solution puisque les entreprises sont alors fichées par la Banque de France et dans l’incapacité de poursuivre leurs crédits fournisseurs. Remarquons que les industries de base, les plus énergivores, comme les fonderies de métaux, de verre, les engrais ont pour certaines déjà cessé leur activité, temporairement, et pour certaines, peut-être définitivement. Bien entendu, l’économie est une chaîne et les fermetures de certaines entreprises risquent d’entraîner la faillite en cascade d’autres entreprises.

L’industrie étant la clé de la prospérité de tout pays, l’avenir est sombre pour l’Europe.

La crise de l’énergie devrait donc, à moins d’un hiver très doux ou d’une paix improbable en Ukraine et d’une fin des sanctions, conduire à de nombreuses faillites d’entreprises et à la délocalisation d’activités industrielles vers les Etats-Unis ou la Chine où l’énergie est moins chère. L’industrie étant la clé de la prospérité de tout pays, l’avenir est sombre pour l’Europe.

Le peuple souffre et ce n’est pas fini.

Les salariés subiront donc la triple peine : destruction de leur niveau de vie par l’inflation, destruction d’emplois et destruction de commerces qui animent la vie des centres-villes. Le Secours populaire alertait en 2018 avec une analyse montrant qu’un Français sur cinq avait faim. Un tiers renonçait à se soigner faute d’argent. Combien sont-ils aujourd’hui ? Beaucoup plus, à l’évidence.

Si les sanctions sont là pour durer et que nos pays manquent de gaz pendant 3 à 5 ans, il est à craindre que le peuple français n’ait pas fini de souffrir.

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