Dans un pays dont le modèle économique était basé sur l’exportation de biens industriels, la fin du gaz russe bon marché est lourde de conséquences. Des usines commencent à fermer et l’action du chimiste BASF plonge.
A Hambourg, l’une des deux cheminées de l’aciérie ArcelorMittal ne crache plus de fumée. En raison de coûts énergétiques trop élevés, l’usine a en effet dû cesser partiellement son activité et 530 salariés sont en chômage partiel depuis début octobre. Un symbole de la menace existentielle qui pèse sur l’industrie allemande.
«Le gaz est un élément essentiel du processus [de production]», a expliqué à l’AFP Uwe Braun, le PDG du site. Or, la facture a été multipliée par sept par rapport à la période précédant l’opération militaire russe en Ukraine. Impossible, dans ces conditions, de continuer à alimenter l’ensemble de ce site industriel qui consomme deux terrawattheures de gaz et un terrawattheure d’électricité par an – l’équivalent d’une ville moyenne.
Selon les dernières estimations du Fonds monétaire international publiées le 11 octobre, la première économie européenne va non seulement connaître une récession – dont l’ampleur attendue sera dévoilée ce 12 octobre par le gouvernement – mais elle est confrontée à un risque de plus long terme : voir des pans entiers de son secteur manufacturier asphyxiés par la flambée des prix.
Les signaux d’alarme se multiplient dans les entreprises de taille moyenne : le fabricant de papier toilette Hakle et l’équipementier automobile Dr. Schneider ont récemment déposé le bilan. Important producteur d’ammoniac, le fabricant SKW Piesteritz a stoppé sa production durant trois semaines, à cause des prix du gaz, avant de redémarrer.
Dans une Allemagne ayant échappé aux vagues de désindustrialisation qui ont touché l’Europe ces dernières décennies, l’industrie était jusqu’à présent un pilier de la prospérité du pays, où elle représente encore, selon les chiffres fournis par l’AFP, 22% du Produit intérieur brut, contre 16% en France.
Les limites du modèle économique allemand
«Le modèle économique de l’Allemagne consistait à acheter de l’énergie peu chère et des produits intermédiaires pour faire des voitures et des machines outils […] exportés aux Etats-Unis», a expliqué à l’AFP Jens Oliver Niklash, analyste pour la banque régionale allemande LBBW. Or, selon lui les «fondations [de ce modèle] craquent».
Les groupes qui en ont les moyens pourraient être tentés de délocaliser. «Beaucoup de PME […] qui n’ont parfois aucun site de production en dehors d’Allemagne me disent maintenant qu’elles n’ont pas d’avenir ici», a récemment déclaré Siegfried Russwurm, président du lobby industriel BDI.
Car les experts préviennent : les prix du gaz dans une Europe sevrée de livraisons russes ne redescendront pas à leur niveau d’avant le conflit en Ukraine et l’industrie doit s’habituer à cette «nouvelle normalité».
Un bouleversement dans un pays comme l’Allemagne, où les secteurs de l’acier, la chimie, le papier, le verre, se découvrent vulnérables. Leur production a baissé de 9% depuis février. Quant au chimiste BASF, un des fleurons de l’industrie allemande, son action a chuté de près de 40% depuis le début du mois de février.
Avec les prix de l’énergie que nous anticipons, on peut se demander si l’usine pourra fonctionner l’année prochaine
«Dans les mois à venir, nous verrons qui peut encore se permettre de produire en Allemagne», observait fin septembre dans le magazine allemand Der Spiegel Arndt Kirchhoff, président du conseil consultatif de l’entreprise qui porte son nom, un sous-traitant automobile dont l’histoire remonte au XVIIIe siècle.
Délocalisations en vue
A l’extérieur de l’aciérie d’ArcelorMittal, le minerai de fer s’entasse en pyramide, en attendant la réouverture de l’usine. «Avec les prix de l’énergie que nous anticipons, on peut se demander si l’usine pourra fonctionner l’année prochaine», s’inquiète Juechter Ansgar, directeur de la production.
Auparavant, cette aciérie à Hambourg produisait un million de tonnes d’acier par an, à destination notamment de l’automobile, branche phare de l’industrie allemande. Selon Uwe Braun, président du site, si rien n’est fait «il est clair que certaines parties des productions les plus consommatrices seront délocalisées».
«Il est probable que l’industrie allemande se sépare de ses branches les plus intensives en énergie», abonde Jens Oliver Niklash de la banque LBBW. Et selon lui, les Etats-Unis, où les prix du gaz restent plus faibles grâce à une production domestique abondante, pourraient être une destination de choix.
Pour atténuer le choc sur son économie, le gouvernement allemand a annoncé la semaine dernière un plan à 200 milliards d’euros pour financer un bouclier sur les tarifs de l’énergie bénéficiant aux ménages et aux entreprises.
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