Un rapport de la Cour des comptes, publié le 4 janvier, critique durement l’action du ministère de l’Intérieur en matière de lutte contre l’immigration clandestine. Deux semaines après l’adoption de la loi immigration, la droite grince des dents.
1,8 milliard d’euros, tel est le coût annuel, chiffré par la Cour des comptes (CdC), de la lutte contre l’immigration illégale à laquelle s’attèlent 16 000 «fonctionnaires et militaires». Une politique pour laquelle les Sages de la rue Cambon étrillent l’exécutif, dénonçant un manque de cohérence de la part du ministère de l’Intérieur.
Dans un rapport rendu public le 4 janvier, ceux-ci reviennent sur les trois «grands volets» de la politique de lutte contre l’immigration illégale : la surveillance des frontières, la gestion administrative des étrangers en situation irrégulière sur le territoire national, ainsi que l’«organisation de leur retour».
Aux yeux des auteurs du rapport, la surveillance aux frontières «demeure incertaine» face à une «pression croissante depuis 2015». Estimant que le rétablissement du contrôle aux frontières est d’une «efficacité limitée», ceux-ci recommandent «d’aligner les pouvoirs d’inspection de la police aux frontières avec ceux des douanes», les deux autorités « gardes-frontières », de «revoir l’attribution des points de passage frontalier» entre ces deux administrations ainsi que «de recueillir et conserver l’identité des personnes interpellées à la frontière».
Des services de l’Etat «saturés»
Quant à la gestion administrative des clandestins en France, celle-ci serait sans «stratégie globale» selon la Cour. Et de souligner un cadre législatif en matière de lutte contre l’immigration clandestine «particulièrement mouvant» qui a «connu 133 modifications en moins de dix ans».
Par ailleurs, les Sages pointent du doigt un «manque de moyens» des services de l’État en charge de la gestion de ces immigrés. «Avec 447 257 obligations de quitter le territoire (OQTF) prononcées entre 2019 et 2022, les préfectures sont saturées», estiment-ils, recommandant de «renforcer les moyens humains» dans les services compétents des préfectures et «d’engager une simplification du contentieux des étrangers».
«Seules 12% des OQTF sont exécutées»
Un manque de moyens que soulignent également les Sages dans le troisième «grand volet». S’ils notent que «l’éloignement forcé demeure majoritaire» en matière de procédure d’expulsion, dans la mesure où «les personnes étrangères cherchent plutôt à se maintenir sur le territoire national», les auteurs du rapport soulignent que cet éloignement forcé est «contraint par plusieurs difficultés».
Aux difficultés d’identifier «avec certitude» les personnes à expulser s’ajoutent le manque de policiers dans les centres de rétention administrative «limitant ainsi les places disponibles», la concentration des efforts Place Beauvau «sur les personnes susceptibles de causer un trouble à l’ordre public» et la difficulté à obtenir des laisser-passer consulaires.
Sur ce dernier point, la Cour recommande une focalisation sur les demandes de laissez-passer. Pour le reste, elle estime que l’aide au retour volontaire «doit être développée», assurant que la France accuse en la matière «un retard notable par rapport à ses voisins européens». «Malgré les moyens alloués, seules 12% des OQTF sont exécutées», note-t-elle, estimant que s’il «est sans doute possible d’accroître ce taux», il lui semble en revanche «impossible d’éloigner l’ensemble des personnes faisant l’objet d’une OQTF».
Projet de loi immigration : un timing qui fâche
Plus généralement, l’institution dénonce la «concentration de la politique de lutte contre l’immigration irrégulière au sein du ministère de l’Intérieur» et suggère plus de coordination interministérielle, soulignant que l’immigration irrégulière «affecte un nombre important de ministères».
Des constats ainsi que des chiffres, concernant l’immigration illégale, dont la divulgation juste après le passage au Parlement du projet de loi Immigration agace à droite. Dans la présentation de son rapport, la Cour précise que celui-ci «a été réalisé et contredit avant la loi immigration de décembre 2023».
Ce choix pose un vrai problème. Faut-il en déduire que nous n'avions pas le droit d'être éclairés par nos institutions sur les enjeux de ce débat décisif ? La Cour travaille-t-elle pour la communication du gouvernement, ou pour l'information des Français ? https://t.co/YsOz7Trg80
— Fx Bellamy (@fxbellamy) January 4, 2024
Dans la foulée de sa parution, plusieurs personnalités du parti Les Républicains ont ainsi dénoncé un rapport «caché», à l’instar de la sénatrice Valérie Boyer et de l’eurodéputé François-Xavier Bellamy, pointant du doigt le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. «Je ne souhaitais que cette publication puisse interférer en quoi que ce soit avec le débat politique», a déclaré l’ancien ministre socialiste lors de la présentation du rapport.
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