Des fichiers de police vendus 50 euros sur Telegram qui mettent à mal de longues enquêtes : la police française observe dans ses rangs une «augmentation» des affaires de corruption dites de «basse intensité», qui touchent les agents en bout de chaîne.
Jusqu’à son interpellation, Sephora O., 31 ans, était policière adjointe depuis cinq ans dans un commissariat d’Ermont, en région parisienne. Son procès débute ce 4 mars à Paris, au côté de sept autres personnes à qui l’on reproche d’avoir participé à un vaste trafic de faux permis, montres de luxe contrefaites ou fiches de police via une chaîne Telegram appelée «la Genèverie».
Lors de l’enquête, l’agent de police a reconnu avoir consulté de nombreux fichiers : avis de recherche, immatriculations de véhicules ou soldes de points sur des permis de conduire. Dépensière compulsive, elle dit avoir touché 50 euros par consultation et perçu plus de 12 000 euros en espèces en six mois, pour rembourser ses dettes.
Les cas de ce genre sont en hausse dans les rangs de la police française : de 2021 à 2022 (derniers chiffres disponibles), le nombre d’enquêtes pour corruption menées par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN, la police des polices) a quasiment doublé, passant de 30 à 56.
Si la proportion des agents mis en cause reste marginale, et si les cas de ce type sont «sans doute mieux détectés», il y a bien une «augmentation objective des faits», a récemment alerté la cheffe de l’IGPN, Agnès Thibault-Lecuivre, dans un entretien au Monde.
Recrutés sur Telegram ou Snapchat
Pour l’expliquer, policiers et magistrats interrogés par l’AFP pointent une «démocratisation» de la consultation des fichiers, accessibles à un plus grand nombre de fonctionnaires, et la numérisation des procédures. La «tricoche» – la consultation illégale de fichiers en argot – a de mémoire de policiers «toujours existé». Mais elle bénéficiait surtout à l’entourage des fonctionnaires.
Aujourd’hui, elle touche plus large : «Les groupes Telegram [lui] ont donné une échelle nationale», selon un enquêteur de l’IGPN qui s’exprimait dans un colloque organisé en janvier par l’institution.
Certains agents sont même recrutés sur des messageries chiffrées qu’ils sont censés surveiller. «Les trafiquants y publient un message : “On recherche un flic qui veut bien faire une consultation” et des policiers y répondent, c’est aussi simple que ça», déplore cet enquêteur.
Certains, issus de quartiers, peuvent recevoir beaucoup de sollicitations dans leur environnement.
Aussi «simple» que quelques clics, mais les conséquences sont lourdes. Comme ces criminels qui préparent un homicide et veulent savoir en amont s’ils figurent sur les fichiers des personnes recherchées pour mieux planifier leur fuite, illustre l’enquêteur.
Les profils des fonctionnaires mis en cause sont variés, mais ils sont tous animés par «l’appât du gain», selon une source à l’IGPN.
Les policiers adjoints, ces contractuels formés en quatre mois, recrutés sans condition de diplômes et payés 1 500 euros nets par mois constituent un «point de vulnérabilité» particulier, note ainsi un cadre de la police.
«Certains, issus de quartiers, peuvent recevoir beaucoup de sollicitations dans leur environnement », ajoute-t-il. «Ils résistent au début, mais ce n’est pas toujours facile.»
«Appât du gain»
Les corrupteurs ciblent également certains services spécialisés. L’Office anti-stupéfiants (Ofast) apparaît comme particulièrement «vulnérable» car «au cœur d’enquêtes internationales, avec un grand nombre de fichiers» accessibles, analysait sa cheffe, Stéphanie Cherbonnier, lors du colloque IGPN.
Les malfaiteurs veulent notamment savoir ce que contient «le fichier des objectifs», où sont centralisées toutes les demandes de livraisons surveillées de drogue.
Outre les policiers, les dockers, employés de société de transport, douaniers et agents pénitentiaires font partie des métiers ciblés par les corrupteurs, détaille l’Ofast dans un récent rapport confidentiel, consulté par l’AFP.
Ces professionnels corrompus n’ont «pas toujours conscience de participer pleinement à une activité criminelle d’ampleur», souligne l’Ofast. Leurs «attributions semblent anodines» mais ils peuvent accéder «à des lieux ou à des données primordiales» pour les trafiquants.
«C’est le caractère silencieux de l’action criminelle qu’on ne voit pas et qui fait qu’un jour on se réveille sans pouvoir inverser la tendance», complète un magistrat spécialisé dans les affaires de criminalité organisée et de stupéfiants.
Face à ce phénomène, il faut «permettre à l’IGPN de faire des enquêtes d’initiatives», avance auprès de l’AFP un commissaire de la police judiciaire.
Un autre magistrat spécialisé appelle à plus de mobilité dans les rangs de la police. «Quand vous passez 30 ans au même endroit, c’est dur de résister», surtout quand «le trafic de stupéfiants n’a jamais été aussi rémunérateur», estime-t-il. La «force de frappe financière» des trafiquants est telle, insiste-t-il, qu’elle place aujourd’hui « es corps constitués de l’État» en réelle «situation de faiblesse».
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