Le Sénat français a voté le 21 mars contre le traité Ceta de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada grâce à une alliance de circonstance des oppositions gauche-droite, remettant en cause la ratification de cet accord sur fond de crise agricole. Une secousse de taille pour le gouvernement français.
Dans un climat extrêmement tendu, les sénateurs ont rejeté à 211 voix contre 44 l’article du projet de loi relatif au traité Ceta de libre-échange entre l’UE et le Canada, appliqué provisoirement depuis 2017 mais jamais soumis à la chambre haute. Ils ont ensuite confirmé ce rejet par un vote définitif.
Le coup a été porté à l’initiative du groupe communiste avec le soutien de la droite, le traité, signé en 2016 et adopté en 2017 à l’échelle européenne, étant très décrié en France, dans un climat marqué par la crise agricole et tendu autour des enjeux européens avant les élections européennes de juin.
C’est «un coup de tonnerre politique», une «victoire démocratique», a savouré le sénateur communiste Fabien Gay. Le ministre délégué au Commerce extérieur Franck Riester a lui dénoncé «une manœuvre grossière, une manipulation inacceptable aux lourdes conséquences pour notre pays» et «un signal désastreux» pour le Canada.
«C’est simplement un coup politique que les communistes, les socialistes, avec le soutien des Républicains, font en pleine campagne électorale des élections européennes au détriment de l’intérêt général», a-t-il ajouté.
«Le vote d’aujourd’hui ne peut rester lettre morte»
Ce rejet du Sénat ne suffit pas à lui seul à dénoncer l’accord à l’échelle européenne, mais les déboires du gouvernement français sur ce sujet sensible sont loin d’être terminés. Les députés communistes ont annoncé qu’ils inscriraient ce texte dans leur temps parlementaire réservé à l’Assemblée nationale le 30 mai, à dix jours des élections européennes. «Le vote d’aujourd’hui ne peut rester lettre morte», ont-ils estimé dans un communiqué.
Les députés avaient approuvé de justesse la ratification du Ceta en 2019, mais le camp présidentiel a perdu la majorité absolue au Palais Bourbon, ce qui augure d’un possible rejet du texte.
Dans cette hypothèse, l’équation deviendrait alors très complexe : soit le gouvernement notifierait à Bruxelles qu’il ne peut ratifier le traité, ce qui entraînerait la fin de son application provisoire pour toute l’Europe ; soit il temporiserait, au risque de s’attirer les foudres des oppositions qui crieraient alors au déni démocratique.
Actuellement, dix États membres n’ont pas terminé le processus de ratification et un seul l’a rejeté : Chypre. Mais Nicosie n’a jamais notifié ce rejet, ce qui permet à l’accord de continuer de s’appliquer.
Une autre hypothèse circule parmi les parlementaires : l’exécutif ayant la main pour transmettre un projet de loi d’une chambre à l’autre, il pourrait ne pas transmettre le texte à l’Assemblée nationale, ce qui empêcherait de facto son inscription à l’ordre du jour le 30 mai.
Ceta : les organisations patronales vantent des «résultats probants»
Le gouvernement s’est dans tous les cas démené pour tenter de convaincre du bien-fondé de cet accord qui supprime l’essentiel des droits de douane entre l’UE et le Canada, évoquant l’augmentation des exportations et les bénéfices pour les secteurs viticole ou laitier.
Dans une tribune publiée le 19 mars dans le quotidien économique Les Échos, plusieurs organisations patronales dont la plus importante, le Medef, avaient aussi vanté les «résultats probants» du traité en sept ans d’application provisoire, insistant sur les chiffres des exportations françaises vers le Canada, qui ont bondi de 33% entre 2017 et 2023.
Mais la grogne du monde agricole a semblé plus convaincante aux yeux de la droite sénatoriale, qui a très majoritairement voté contre le texte.
Le président de la Fédération nationale bovine (FNB), Patrick Bénézit, a salué le rejet comme une «bonne nouvelle». Les sénateurs ont fait «le bon choix», en rejetant «un traité qui autorise des denrées alimentaires qui ne respectent pas nos conditions de production», a-t-il affirmé à l’AFP.
Opposés de longue date à ce traité, les éleveurs bovins français citent notamment le recours aux antibiotiques comme activateurs de croissance, bannis dans l’Union européenne. L’opposition de gauche s’est elle opposée d’un bloc, le groupe socialiste épinglant notamment un accord «en totale contradiction avec nos engagements environnementaux», selon son sénateur Didier Marie.
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