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Irak : 20 ans après l’invasion étasunienne censée apporter la démocratie, quel bilan ?

Il y a 20 ans, les Etats-Unis envahissaient l'Irak pour, disaient-ils, débarrasser le pays de Saddam Hussein, l'empêcher de développer des armes de destruction massive et lui apporter la démocratie. Retour sur un tissu de mensonges.

Le 20 mars 2003, les Etats-Unis envahissaient l’Irak, entraînant le pays dans une guerre sanglante qui a provoqué la mort de centaines de milliers de personnes. Le chaos engendré par cette invasion a ouvert la voie à une guerre civile inter-religieuse et à l’implantation de groupes terroristes comme Daesh qui menacent toujours la sécurité nationale, régionale et internationale.

L’opération baptisée «Liberté de l’Irak» s’inscrivait dans la prétendue croisade des Etats-Unis contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001. Alors que rien n’indiquait l’implication de l’Irak dans le terrorisme islamiste international, Washington, que beaucoup ont accusé de vouloir s’emparer une bonne fois pour toutes du pétrole irakien, a prétendu que le dirigeant Saddam Hussein était en train de développer des armes de destruction massive.

La mémorable intervention du secrétaire d’Etat américain de l’époque, Colin Powell, devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 5 février 2003, est l’illustration de ce mensonge, que le principal protagoniste qualifiera plus tard lui-même de «tâche» dans sa carrière. L’image de l’homme brandissant une petite fiole censée contenir une arme biologique extrêmement destructrice en pleine séance à l’ONU restera gravée dans les mémoires. Aucune de ces prétendues armes n’a jamais été retrouvée. 

La coalition qui a envahi l’Irak, menée par les Etats-Unis de George W. Bush et la Grande-Bretagne de Tony Blair, a déployé quelque 150 000 soldats américains et 40 000 militaires britanniques pour une intervention «éclair» aux petites heures du matin le 20 mars 2003. 

Irak : 20 ans après l'invasion étasunienne censée apporter la démocratie, quel bilan ?

© Timothy A. Clary Source: AFP Le secrétaire d’Etat américain Colin Powell brandit un flacon dont il prétend que c’est de l’anthrax pour justifier l’invasion en Irak, au Conseil de sécurité des Nations unies le 5 février 2003 à New York.

Cette invasion a marqué le début de l’un des épisodes les plus sanglants du XXIe siècle. En trois semaines, Saddam Hussein est tombé et les forces d’invasion ont pris le contrôle de la capitale, Bagdad, le 9 avril. Des images télévisées diffusées dans le monde entier ont rapidement montré des Marines américains renversant une statue géante de Saddam. 

Au moins 500 000 morts

Le chaos, avec son lot de désordre et de pillages, a été rapidement aggravé par la décision américaine de dissoudre l’Etat irakien, le parti au pouvoir et l’appareil militaire. 

De 2003 à 2011, année du retrait de l’armée américaine, plus de 100 000 civils irakiens ont été tués, selon l’organisation Iraq Body Count. Un bilan revu largement à la hausse par la revue scientifique américaine Plos Medecine. En partenariat avec des universitaires américains et le soutien d’experts du ministère irakien de la Santé, elle évaluait en 2011 à près de 500 000 le nombre de personnes qui ont perdu la vie sur le sol irakien et précisait que «60% des victimes [avaient] péri durant les combats [et] 40% [étaient] mortes des conséquences indirectes du conflit». «Un bilan auquel il faut ajouter environ 60 000 personnes décédées hors d’Irak après qu’elles eurent fui (majoritairement en Syrie et en Jordanie)», rapportait l’hebdomadaire Le Point citant cette étude. Les Etats-Unis ont déploré pour leur part la perte de 4 500 personnes parmi leurs troupes.

Joe Biden, un acteur actif de la guerre en Irak

Alors sénateur, l’actuel président américain démocrate Joseph Biden avait soutenu sans aucune réserve le choix de partir en guerre, parlant de «juste cause». 

Dans son blog du Monde, l’historien arabisant Jean-Pierre Filiu affirmait en novembre 2020 à quel point Joe Biden serait «allé encore plus loin que la plupart des “faucons”, proposant en 2006-2007 que l’Irak soit divisé en trois entités autonomes, sunnite, chiite et kurde, ce qui n’aurait fait qu’aggraver la guerre civile alors en cours, elle-même directement causée par l’occupation américaine».

Comme il le rappelle, Biden, «sénateur du Delaware depuis 1973, préside à l’époque la puissante commission des Affaires étrangères quand, à l’été 2002, il relaie la propagande de l’administration Bush sur les “armes de destruction massive” que détiendrait l’Irak». Un soutien «essentiel pour la Maison Blanche, confrontée à un Sénat majoritairement démocrate». «En octobre 2002, Biden est l’un des 29 sénateurs démocrates à voter, contre l’avis de 23 autres et aux côtés de 48 élus républicains, le chèque en blanc qui permet à George W. Bush de mener la guerre à sa guise en Irak», note cet historien.

«Collateral murder»

La guerre en Irak a marqué les esprits par sa violence. Les images des bombardements et des attentats ont défilé sur les écrans des années durant. La diffusion par le gouvernement irakien des images de la pendaison de Saddam Hussein le jour de l’Aïd el adha (fête du sacrifice) fin 2006 ont choqué le monde entier et plus particulièrement le monde arabo-musulman, malgré l’aversion qui pouvait être ressentie à son égard.

La cruauté révélée de membres des troupes américaines a été l’une des pires illustrations de cette guerre, écornant l’image des Etats-Unis. Des photos de prisonniers irakiens torturés et humiliés par des militaires américains dans la prison d’Abou Ghraib avaient provoqué une indignation mondiale.

En 2010, WikiLeaks publiait un torrent de révélations sur les guerres étasuniennes d’Irak et d’Afghanistan, mettant Washington dans l’embarras face à la réalité de documents dont beaucoup démontraient que des crimes de guerre avaient été commis par ses troupes.

La diffusion, le 5 avril 2010, de la vidéo d’un crime de l’armée américaine à Bagdad, en 2007, ayant coûté la vie à une dizaine de civils, dont deux journalistes de l’agence Reuters, défraiera la chronique. Cette vidéo, intitulée «Collateral murder», réalisée depuis un hélicoptère Apache, a été obtenue par WikiLeaks par le truchement du soldat américain de 22 ans Bradley Manning, devenue Chelsea après une opération de changement de sexe, arrêtée puis inculpée par l’armée, dans laquelle elle était analyste informatique. Dans son livre «Readme.txt» publié en 2022 en français aux éditions Fayard, la lanceuse d’alerte raconte l’horreur de cette guerre vécue depuis les postes de contrôles des casernes à Bagdad.

En Irak, aucune célébration des 20 ans du début de la guerre qui était censée «apporter la démocratie» n’a eu lieu le 20 mars. Aujourd’hui, le pays a renoué avec une normalité de façade : des élections sont tenues régulièrement et la pluralité politique est officiellement encouragée. Mais dans la pratique, les pourparlers pour former un gouvernement issu des législatives d’octobre 2021 ont duré un an et ont été émaillés d’épisodes d’une violence inouïe en plein Bagdad. La mission de l’ONU en Irak déplorait quant à elle l’an dernier un «environnement de peur et d’intimidation» qui bride la liberté d’expression. L’instabilité politique, la pauvreté et la corruption sont aujourd’hui des phénomènes endémiques dans un des pays au sous-sol le plus riche de la planète. Un tiers de la population vit dans la pauvreté et les services publics sont aux abonnés absents. Les délestages quotidiens peuvent durer jusqu’à 12 heures et seuls les plus fortunés peuvent se payer le luxe de groupes électrogènes.

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