A l'aune de la nouvelle «revue stratégique nationale» française, l'analyste politique Bruno Guigue déplore la ligne de Paris vis-à-vis de Pékin, trahissant selon lui un refus de la souveraineté des nations non-occidentales.
Le 9 novembre, à Toulon, le régime macronien a présenté sa nouvelle «revue stratégique nationale».
Fidèle à son maître, il a désigné la terrible menace qui plane sur nos têtes.
Ce péril mortel, quel est-il ? C’est la Chine, bien sûr, ce pays assoiffé de richesses qui jette sournoisement ses tentacules sur la planète entière et conspire avec la Russie pour dominer le monde.
Les navires français croisent dans le détroit de Taïwan quand aucun navire chinois ne croise au large de nos côtes. Mais peu importe : la Chine est dangereuse puisqu’on vous le dit.
Voici quelques extraits commentés de cette «revue stratégique nationale» qui, malheureusement, fixe la doctrine officielle de la France en matière de défense :
- «L’objectif du Parti communiste chinois (PCC) et de l’Armée populaire de libération (APL) reste de supplanter les Etats-Unis comme première puissance mondiale».
Impardonnable, en effet. Comment la Chine ne chante-t-elle pas les louanges du leader éclairé du monde libre ? Au lieu de poursuivre sa montée en puissance, elle devrait renoncer à ses propres succès pour laisser à l’Oncle Sam, ce bienfaiteur de l’humanité, le leadership qui lui revient de droit.
- «La modernisation de l’appareil militaire chinois se poursuit et permet à l’APL d’appuyer une stratégie de plus en plus affirmée, y compris sur le plan militaire, que ce soit dans la région indo-Pacifique, en particulier s’agissant du statu quo dans le détroit de Taïwan, mais aussi dans les autres régions du monde où sa diplomatie lui crée des clientèles, notamment en Afrique».
La Chine a peut-être des clientèles en Afrique, mais la France a surtout des ex-colonies qui ne peuvent plus la voir en peinture. Certes, la disparition programmée du néocolonialisme français a un goût amer pour ceux qui se croyaient co-propriétaires du continent africain. Mais il va falloir s’y faire, et ce ne sont pas ces récriminations de cocu qui vont changer le cours de l’histoire.
- «Le régime chinois considère la puissance américaine et le modèle occidental en déclin. Il estime que le leadership occidental sur l’ordre international est fragilisé et qu’il peut l’affaiblir encore davantage en mettant à profit son influence nouvelle».
Plutôt d’accord. Mais au vu des dégâts causés par l’hégémonisme occidental, c’est une bonne nouvelle.
- «Cette remise en cause irrigue les domaines politique (propagande sur le déclin de l’Occident), économique et technologique (prédation, guerre commerciale), militaire (croissance de l’arsenal nucléaire, modernisation de l’Armée populaire de libération, points d’appui à l’étranger), et diplomatique (attitude plus assertive dans les enceintes internationales, recours au rapport de force bilatéral ou à des formats multilatéraux alternatifs, comme le 14+1 (14 pays européens, dont neuf pays de l’UE) ou le Forum sur la coopération sino-africaine)».
En effet. Il paraît même que la Chine est un pays souverain, qu’elle a une diplomatie indépendante, qu’elle dirige son armée et ne demande pas d’autorisation pour nouer des partenariats. Province vieillissante d’un empire fissuré, la France ne peut pas en dire autant.
- «L’examen dans la durée de la cohésion occidentale et des impacts des sanctions et des embargos sur la Russie donnera aussi à la Chine des indications précieuses sur la portée des outils de coercition économique qui pourraient lui être opposés en cas de crise majeure».
C’est vrai. L’analyse rigoureuse de l’échec cinglant des sanctions occidentales contre la Russie contribue certainement à éclairer la lanterne des responsables chinois. Le masochisme contre-productif de l’UE dans l’affaire ukrainienne restera sans doute longtemps un sujet d’école en sciences politiques.
- La guerre en Ukraine «ouvre la perspective d’une plus grande contestation des instances internationales de l’intérieur, orientée contre l’expression des objectifs occidentaux et offrant des opportunités d’alignement politique face à l’Occident et aux Etats-Unis en particulier».
Le contraire serait étonnant. Les penseurs du ministère de la Défense ne se figuraient tout de même pas que la Chine allait s’aligner sur autre chose que la perception raisonnée de ses propres intérêts.
- La convergence stratégique entre la Chine et la Russie se manifeste par une guerre informationnelle très largement utilisée par les deux puissances qui lancent des actions hybrides pour «contester l’architecture de sécurité internationale de l’intérieur».
Pour ce qui est de la guerre informationnelle, il y a longtemps que le monde occidental a pulvérisé tous les records. En dépit de leurs efforts méritoires, ni la Chine ni la Russie n’atteindront le niveau de leurs adversaires.
- Ces opérations russes et chinoises en matière de guerre informationnelle cherchent également «à fragiliser nos propres systèmes politiques et notre cohésion nationale, tout en alimentant voire en suscitant des effets d’alignement en notre défaveur, comme l’atteste la guerre en Ukraine».
Curieux raisonnement. Si l’on ne s’aligne pas servilement sur la politique occidentale, cela signifie, pour nos experts militaires, qu’on cherche à miner la cohésion nationale des pays occidentaux. Pour des régimes qui se disent démocratiques, c’est paradoxal. Comme si le pluralisme qui s’exprime sur la scène internationale était une calamité qu’il fallait conjurer, et comme si une politique souveraine, de la part des autres pays, ne pouvait qu’être hostile aux intérêts occidentaux.
De ce point de vue, une telle attitude est une forme d’aveu. Les dirigeants du monde occidental ne conçoivent pas d’autres règles que celles qui conviennent à leurs intérêts, et la vie internationale tout entière est priée de s’y conformer sous peine de représailles. On savait que ce mépris abyssal pour la souveraineté et l’intégrité des autres Etats caractérisait la politique étrangère américaine. Il est affligeant de constater qu’elle pollue aujourd’hui la conception même de la politique française de défense.
Bruno Guigue
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