L'histoire de la gauche française est riche d'exploits sociaux, estime Gilles Casanova. Mais au début du mois de janvier 2023, elle a débaptisé la ville de Pantin, «Pantine». Des telles initiatives détournent l'attention de l'action du gouvernement.
Dans son combat, tellement méritoire, contre la guerre qui allait éclater en août 1914, Jean Jaurès n’avait pas seulement derrière lui une partie des socialistes, mais il avait aussi tout un courant pacifiste qui pressentait l’horreur de la guerre à venir et l’absurdité de la concurrence entre l’empire britannique, l’empire allemand et l’empire français, qui allait précipiter l’Europe dans l’enfer.
Gilles Casanova est éditorialiste, consultant pour la stratégie, la prospective et la communication. Il a été membre de cabinets ministériels de l’Intérieur et de la Justice.
Après ces quatre affreuses années de guerre, nombre de socialistes qui n’avaient pas suivi Jean Jaurès ont compris leur erreur. Mais aussi une partie notable de l’ensemble de la population – bien sûr plus spécialement à gauche –, qui a pris le parti du pacifisme.
Et là, commence le tragique de l’Histoire. L’Histoire ne repasse pas les plats, même lorsque l’on perçoit des ressemblances et des analogies, c’est une autre histoire qui se noue par la suite sous nos yeux.
De la revendication économique aux sujets de société
La gauche de la seconde moitié du XXe siècle a mené un certain nombre de combats, qui l’ont fait sortir du cadre habituel et traditionnel de la revendication économique, dans laquelle elle avait toujours été à l’aise, pour aborder d’autres sujets. Elle y fut contrainte par les circonstances, mais aussi par l’évolution des mentalités.
Ainsi elle se trouva dans les années 60 face a un patronat qui faisait venir par dizaines de milliers des immigrés qu’il allait chercher par camions dans les villages du Maghreb pour répondre aux besoins de croissance de l’industrie française, notamment l’industrie automobile, mais pas seulement elle. L’intention du patronat, outre le fait d’avoir des bras qui n’existaient pas en quantité suffisante en France, était aussi de les payer moins cher que les Français et ainsi de faire un surprofit à bon compte.
Aiguillonnée par des associations précurseuses, elle engagea courageusement une bataille en défense de ces travailleurs immigrés : « Français-immigrés, même patron, même combat : même travail, même salaire », c’était l’axe central autour duquel se déroulait cette mobilisation qui permit que les lois françaises empêchent une discrimination que rien ne justifiait.
Elle se trouva, toujours dans les années 60, face à une situation qui devenait de plus en plus difficile à vivre pour les femmes À mesure que le niveau d’instruction et la participation à la vie économique s’élevait. Ainsi, une femme mariée avait-elle besoin de la signature de son mari pour ouvrir un compte en banque et pour faire les opérations financières majeures qui correspondaient à la gestion de ses affaires. Elle avait besoin de l’autorisation de son mari dans toutes sortes de situations, de la même façon qu’encore aujourd’hui les enfants – pour des raisons évidentes – ont besoin de l’autorisation de leurs parents. Les lois successives punissait lourdement, – jusqu’à la peine de mort sous Vichy – l’avortement, et la contraception était encore un débat à venir.
Aiguillonnée par des associations précurseuses, elle participa progressivement, non sans réticence, aux combats du féminisme, qui visait l’égalité totale entre les hommes et les femmes, et qui mettra en avant, dans certains domaines, le concept de parité, souhaitant une présence comparable des hommes et des femmes dans certaines instances de décision de la société ce qui avait – parfois pendant des siècles –été l’apanage des seuls hommes.
Le 18 juillet 1960 l’Assemblée nationale adoptera un texte aux fins de réprimer et de combattre l’homosexualité, « fléau social » à éradiquer au même rang que la tuberculose, contre lequel le gouvernement était autorisé par ce texte à légiférer par ordonnances. Et des crédits spéciaux été votée par le Parlement à cet effet.
Aiguillonnée par des associations précurseuses la gauche mettra presque une vingtaine d’années pour considérer que la liberté des sentiments, et des engagements affectifs et sexuels faisait partie des droits humains, mais elle finit tout de même par le dire et dans le courant des années 1980, la loi française fut expurgée de toute mention discriminatoire à l’égard des personnes ayant des rapports sexuels avec des personnes du même sexe.
Où est la ressemblance entre toutes ces choses, et où viennent-t-elle percuter le tragique de l’Histoire ?
C’est que mener un combat lorsque son temps est passé, lorsqu’il a été gagné ou lorsque l’Histoire a tout à fait changé la donne, ce n’est pas être le continuateur d’un grand combat du passé, c’est être le combattant d’un combat bien souvent inverse.
Bien sûr ce qui voulait poursuivre le « combat pacifiste » croyaient sincèrement, au fond de leur cœur, être les continuateurs de Jean Jaurès lorsqu’ils ont applaudi en 1937 aux accords de Munich, et ils avaient encore le même sentiment lorsque le 17 juin 1940 ils se sont rangés avec nombre de députés socialistes derrière Philippe Pétain pour signer l’armistice avec l’Allemagne et engager le processus de la Collaboration avec le nazisme.
Pourtant qui ne voit que leur combat qui croyait être progressiste, qui l’était avant 1914 et dans l’immédiat après-guerre qui a suivi, était devenu tout le contraire, et faisait d’eux les « idiots utiles » d’Hitler.
Le temps de la « Parité Plus »
Aujourd’hui il en est de même pour le discours pro-immigration de la majorité de la gauche qui encourage le remplacement des travailleurs français qui ont une tradition syndicale et une tradition historique d’organisation, par des migrants arrivants après avoir été recrus d’épreuves sur la route et qui acceptent tout de la part d’un patronat cynique qui pose au progressisme et signe des tribunes avec des syndicalistes en ce sens, pour mieux les exploiter.
Aujourd’hui EELV, une des organisations les plus symboliques – et la plus influente sur les autres – de la gauche de notre temps est passée à la « Parité Plus » c’est-à-dire qu’elle se flatte d’avoir réussi à faire des hommes une minorité au sein de ses organismes de direction, depuis son dernier congrès, tandis que sa dirigeante la plus visible appelle à la « déconstruction » des hommes, faisant du combat contre la virilité l’axe majeur de sa politique.
La partie dominante des appareils de la gauche condamne maintenant les hommes hétérosexuels sans ambages : « Un sur trois est un violeur » nous explique une des influentes dirigeantes d’un de ces mouvements, et c’est globalement la tonalité qui ressort de tant de propos produits par ces appareils. Une ministre d’Emmanuel Macron, venant de la gauche, a même proposé que soient condamnés par la loi les regards de désir des hommes sur les femmes, dans l’espace public. Les regards !
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Comme dans le cas du pacifisme, mais avec une portée moins tragique, croire que lorsque le monde a changé poursuivre ne varietur un combat du passé c’est être fidèle à ses idées, ne peut conduire qu’à des catastrophes.
Mais surtout ne peut conduire qu’à servir les intérêts de ceux contre lesquels on croit se battre.
Au moment où une spectaculaire réforme de l’assurance chômage entre en vigueur, avec la menace d’un nouveau durcissement, au moment où une inflation d’une exceptionnelle intensité touche les produits alimentaires, c’est-à-dire en priorité les personnes qui sont déjà les moins favorisées dans la société, au moment où l’exécutif s’apprête à faire – sans aucune base économique pour la justifier – une réforme des retraites qui va aggraver la situation ceux qui travaillent le plus dur et appauvrir l’ensemble du salariat, à ce moment-là, cette gauche, elle ne trouve rien de plus urgent que se tourner vers les combats qu’elle a souvent délaissés au XXe siècle et n’a repris en charge qu’après avoir été très secouée par les associations précurseuses nous avons évoquées.
En quoi ce changement de nom grotesque, qui amènerait demain Lyon à s’appeler « Lyonne » ou Bordeaux à s’appeler « Bordelle », peut aider en quoi que ce soit la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes ?
Ainsi la grande affaire du moment, relayée sur tous les tons, et toutes les antennes, par les médias des milliardaires, est-elle le changement d’appellation de Pantin en « Pantine » pour soutenir « le combat des femmes ».
Le combat social oublié
En quoi ce changement de nom grotesque, qui amènerait demain Lyon à s’appeler « Lyonne » ou Bordeaux à s’appeler « Bordelle », peut aider en quoi que ce soit la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes ? Non c’est d’autre chose qu’il s’agit, d’un autre combat.
Mais quel est exactement ce combat ? On peut s’interroger. On peut certes considérer qu’en matière d’égalité, il y a toujours des progrès à faire, mais prenons garde que la quête de l’égalité ne se renverse pas, comme à la direction du parti écologiste, en une volonté d’oppression inversée.
Et surtout quel est l’intérêt de faire « l’idiot utile » de la réforme des retraites de l’assurance chômage et de l’explosion des prix de l’alimentation et de l’énergie, pour détourner l’attention du peuple français de la politique de son exécutif. Quel est le sens de lancer – à la place du combat social – la guerre des sexes, la guerre des races, la guerre des modes de vie, c’est-à-dire tout ce qui permettra au Capital le plus concentré de gagner la lutte des classes. L’expression de lutte des classes est de Guizot, ministre de droite, qui définissait ainsi sa politique au XIXe siècle, et que Marx a reprise.
Quel que soit le sujet sur lequel elle s’exprime, la gauche d’aujourd’hui fait vraiment penser à ce qui restait du pacifisme de 1914, en action en 1937 ou 1940.
Et cela fait peur.
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Gilles Casanova