Les accords d’Abraham de 2020 étaient une bombe à retardement qui a explosé lors de l’assaut du Hamas le 7 octobre, juge Timour Fomenko. Analyse.
Cet article a été initialement publié par RT en langue anglaise par l’analyste politique Timour Fomenko.
Le 7 octobre, le groupe djihadiste du Hamas a pris la décision d’attaquer Israël à une échelle sans précédent, en bombardant le pays de roquettes et en lançant une invasion terrestre. La tuerie, la mort et la destruction ont suivi, faisant des centaines de morts et des milliers de blessés des deux côtés, y compris des civils, et Israël a répondu par une déclaration de guerre à grande échelle et un bombardement incessant de la bande de Gaza.
Le conflit entre Israël et la Palestine est un lieu commun comme le soleil se levant à l’Est, mais cette fois, tout est différent, non seulement en raison du nombre effrayant de victimes des deux côtés en quelques jours, mais parce que de tels conflits n’ont pas officiellement constitué une guerre depuis 1973, et le territoire israélien légalement reconnu n’a pas été envahi par un ennemi depuis 1948. Les enjeux sont immenses, mais on peut se demander : comment en est-on arrivé là exactement ? Pourquoi cela a-t-il lieu aujourd’hui ? Et quel est le rapport avec le contexte plus large non seulement du Moyen-Orient, mais du monde ?
Washington a voulu isoler l’Iran
Deux mots : Abraham Accords [les accords d’Abraham]. La pression des Etats-Unis visant à apaiser unilatéralement, de façon déséquilibrée et efficacement les actions d’Israël, couplée à une tentative de l’utiliser pour isoler l’Iran, a abouti à ce que le Hamas a estimé que le seul moyen d’assurer son salut était de déclencher une bataille à grande échelle. Ce faisant, ses soldats n’ont pas pour objectif de détruire Israël de face car nous devons reconnaître qu’un tel résultat n’est pas possible. Il s’agit plutôt d’inverser la tendance diplomatique et politique dans la région contre Israël et les Etats-Unis au nom d’un nouveau djihad.
Les accords d’Abraham sont une initiative de paix lancée en 2020 par l’administration Trump qui cherchait à forcer les pays arabes à reconnaître unilatéralement l’Etat d’Israël, sans que Jérusalem-Ouest ne fasse de concessions concernant la question de l’Etat palestinien. Grâce aux accords, motivés par le fanatisme pro-israélien de l’ancien secrétaire d’Etat Mike Pompeo, les Etats-Unis ont réussi à faire en sorte que les Emirats arabes unis, le Soudan, le Maroc et Bahreïn établissent des relations diplomatiques avec Israël. Les Etats-Unis les ont généralement encouragés en faisant des concessions unilatérales à ces pays dans le cadre de l’accord. Ainsi, ils ont retiré le Soudan de la liste des Etats soutenant le terrorisme ou ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
Les accords d’Abraham n’ont fait que soudoyer des pays
Les accords d’Abraham n’étaient pas une initiative de paix sérieuse parce qu’ils ne faisaient que soudoyer des pays pour qu’ils se rangent effectivement du côté d’Israël et abandonnent la Palestine, au lieu de rechercher la paix dans l’un des conflits larvés les plus importants dans la région. De plus, le véritable objectif géopolitique des accords était de faciliter l’isolement diplomatique de l’Iran en affaiblissant et en divisant le mouvement antisioniste.
La stratégie plus large, par extension, consistait à faciliter l’expansion de l’hégémonie américaine sur le Moyen-Orient, compte tenu des relations israélo-américaines très étroites. L’opposition aux Etats-Unis dans la région allait toujours de pair avec l’opposition à Israël, que ce soit par nationalisme arabe (la Syrie, l’Irak de Saddam Hussein et, historiquement, l’Egypte de Gamal Abdel Nasser) ou par fondamentalisme islamique (l’Iran, le Hezbollah, le Hamas).
Dans cette optique, les Etats-Unis espéraient qu’en isolant diplomatiquement l’Iran, en lui imposant des sanctions sévères et en tentant de le forcer à capituler sur ses programmes nucléaire et balistique, ils pourraient maintenir leur mainmise au Moyen-Orient et entretenir leurs relations sécuritaires favorables dans la région. Les accords d’Abraham, à cette fin, encourageaient l’apaisement d’Israël plutôt qu’un compromis mutuellement acceptable cherchant à rendre plus proche «une solution à deux Etats». En le promouvant, les Etats-Unis étaient heureux de permettre à Israël sous Netanyahou de modifier les règles du jeu vers «une solution à un Etat» et d’ignorer effectivement la résistance palestinienne qu’ils qualifient aujourd’hui de «non provoquée».
Les Palestiniens se sont sentis acculés
Cependant, cette stratégie a échoué sur de nombreux points. Premièrement, les changements dans le paysage géopolitique mondial depuis le début du conflit russo-ukrainien en 2022, ainsi que la concurrence entre les Etats-Unis et la Chine, ont renforcé l’Iran car il a gagné un espace politique pour contourner les sanctions et développer plus facilement ses capacités militaires sans réaction hostile, ce qui lui permet d’apporter un plus grand soutien au Hamas et au Hezbollah. Les Etats-Unis recourent toujours aux politiques de sanctions de l’ère unipolaire qui sont stratégiquement vaines. Deuxièmement, les Etats-Unis semblent ne pas avoir prévu à quel point une tentation de changer arbitrairement le statu quo en faveur d’Israël aboutirait à une résistance armée parce que les Palestiniens se sentent effectivement acculés. Ces facteurs combinés signifient que le terrain était propice à l’émergence d’un conflit militaire de l’ère multipolaire. Le Hamas estime qu’en poussant Israël à déclencher une guerre à grande échelle, il peut dénoncer les accords d’Abraham et forcer le monde arabe à revenir au soutien de la Palestine, ce qui affaiblit à son tour l’influence des Etats-Unis au Moyen-Orient et les oblige à s’engager plus directement, favorisant par conséquent une plus grande radicalisation des musulmans partout dans le monde.
Le résultat final sera une guerre par procuration avec les Etats-Unis soutenant Israël, tandis que l’Iran, entre autres, soutient le Hezbollah et le Hamas. Bien qu’il y ait eu de nombreux cas de telles guerres par procuration auparavant, que ce soit en Syrie ou au Yémen, la différence de celle-ci est qu’elle vise Israël lui-même. Par conséquent, les Etats-Unis n’ont pas la possibilité de manipuler d’autres Etats arabes pour le soutenir. Ainsi, le mouvement palestinien mènera également une guerre de propagande en imposant une dichotomie sous la forme d’un «nous contre eux» dans la région. Cela finira par créer un bourbier pour les Etats-Unis, dont la position sera affaiblie davantage au fur et à mesure que cela se prolongera, d’autant plus que leurs ressources militaires sont également mises à rude épreuve par le conflit en Ukraine.
En conclusion, les accords d’Abraham étaient une erreur stratégique des Etats-Unis qui n’a pas apporté la paix au Moyen-Orient, mais l’a fondamentalement déstabilisé et a entraîné la plus grande guerre dans laquelle Israël est impliqué depuis 1973.
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