Un juge d'instruction va enquêter sur les pratiques de maintien de l'ordre de l'ex-préfet de police Didier Lallement, accusé par deux figures des Gilets jaunes de les avoir mis en danger en les nassant et empêché de manifester à Paris fin 2019.
Selon une information rapportée ce 8 septembre par l’AFP, les pratiques de maintien de l’ordre de l’ex-préfet de police Didier Lallement vont faire l’objet d’une enquête d’un juge d’instruction. Celui-ci se penchera sur des accusations selon lesquelles le haut fonctionnaire serait à l’origine d’une nasse ayant mis en danger des Gilets jaunes lors d’une manifestation dans la capitale, fin 2019.
Fait rarissime, le magistrat saisi va se pencher sur la légalité au regard du droit pénal de la gestion globale de cette manifestation, alors que la justice ne s’intéresse habituellement qu’à des pratiques individuelles comme des tirs litigieux de lanceur de balles de défense (LBD).
La nasse, déjà dénoncée comme un «encagement»
Dénoncée dans cette plainte, la nasse, qui consiste à encercler les manifestants et les retenir dans un périmètre donné.
Cette technique a été remise en question par plusieurs autorités françaises. Le Défenseur des droits a ainsi recommandé mi-2020 de mettre fin à cet «encagement» qui conduit à «priver de liberté des personnes sans cadre juridique».
Et en juin 2021, le Conseil d’Etat a annulé plusieurs dispositions du schéma national de maintien de l’ordre (SNMO), dont celles concernant la nasse, contraignant en décembre le ministère de l’Intérieur à encadrer et limiter le recours à cette technique.
Deux co-organisateurs de la manifestation du 16 novembre 2019, Priscillia Ludosky, 36 ans, et Faouzi Lellouche, 56 ans sont à l’origine de cette plainte initialement déposée en juin 2020 contre Didier Lallement et contre X pour «atteinte arbitraire à la liberté individuelle», «entrave à la liberté de manifestation» ou «mise en danger d’autrui».
Manuel Coisne, un Gilet jaune marqué à vie
Ce jour-là, plusieurs centaines de personnes s’étaient réunies à la mi-journée place d’Italie à Paris pour fêter le premier anniversaire de la mobilisation des Gilets jaunes. Le cortège devait partir à 14h mais à 14h19, la préfecture de police demande «l’annulation» de la manifestation pour cause d’«exactions».
22 minutes plus tard, le Gilet jaune Manuel Coisne perd un œil suite à un tir policier de grenade lacrymogène. La stèle du maréchal Juin, au centre de la place, est dégradée. Présent sur les lieux, le préfet de police s’illustre par un échange devenu célèbre. A une Gilet jaune qui l’interpelle, Didier Lallement répond : «Nous ne sommes pas dans le même camp, madame !»
Soutenus notamment par la Ligue des droits de l’Homme (LDH), qui avait observé de «graves atteintes aux libertés» ce jour-là, Priscillia Ludosky et Faouzi Lellouche accusent le préfet et son institution d’avoir nourri la confusion et la colère en annonçant l’annulation de la manifestation après son début, puis en ordonnant aux forces de l’ordre d’encercler la place et de réprimer le rassemblement, l’empêchant d’arriver à son terme et faisant de nombreux blessés.
Des faits qui «peuvent légalement admettre une qualification pénale»
Mi-décembre 2020, selon des éléments dont l’AFP a eu connaissance, Rémy Heitz, alors procureur de Paris, répond aux plaignants. Il classe sans suite leur plainte «au regard des éléments […] sollicités» auprès de la préfecture de police qui montraient, selon lui, les «choix opérationnels limités dont la police disposait […] et du contexte particulier dans lequel les forces de l’ordre intervenaient».
Avant même la réponse de Rémy Heitz, les deux manifestants ont demandé par une nouvelle plainte la désignation d’un juge d’instruction. Sollicité cette fois pour avis, le parquet de Paris maintient son opposition à une enquête, prenant en octobre 2021 de rares réquisitions aux fins de non informer.
Reprenant in extenso l’argumentation de Rémy Heitz fondée pour l’essentiel sur les éléments fournis par la préfecture de police, une procureure a justifié qu’«aucune qualification pénale ne pouvait être retenue».
Mais dans une ordonnance consultée par l’AFP, un juge d’instruction parisien est passé outre ces réquisitions le 31 août et a décidé de lancer des investigations sur ces faits qui «peuvent légalement admettre une qualification pénale».
Maître Guillaume Martine, avocat des deux plaignants, a salué «une excellente nouvelle». «Mes clients se félicitent qu’une information judiciaire soit effectivement ouverte et puisse faire la lumière sur ces pratiques, notamment celle de la nasse», a-t-il déclaré. Sollicitée, la préfecture de police n’avait pas réagi dans l’immédiat.
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