Les vingt-sept ont rehaussé leurs ambitions pour leur marché carbone, pièce maîtresse du plan climat européen. Dès 2027, ce dispositif de taxation des émissions de CO2– ou «permis de polluer»– impactera les ménages sur leurs carburants et chauffage.
Les négociateurs du Parlement européen et des Etats membres de l’UE, à l’issue d’âpres pourparlers, se sont entendus pour relever les ambitions de son marché carbone et étendre son champ. Cette réforme à multiples volets, proposée en juillet 2021 par la Commission européenne, doit permettre de concrétiser les ambitieux objectifs de réduction des gaz à effet de serre du plan climat des Vingt-Sept.
Actuellement, afin de couvrir leurs émissions de CO2, les producteurs d’électricité et industries énergivores (sidérurgie, ciment…) au sein de l’UE doivent acheter des «permis de polluer» sur le marché européen des quotas d’émissions (ETS), créé en 2005 et s’appliquant à 40% des émissions du continent. Le total des quotas créés par les Etats baisse au fil du temps pour inciter l’industrie à émettre moins.
De nouveaux quotas plus contraignants
Selon l’accord trouvé ce 18 décembre, le rythme de réduction des quotas proposés va s’accélérer, avec d’ici 2030 une baisse de 62% par rapport à 2005 (contre un objectif précédent de 43%): dans l’ensemble, les industriels concernés devront automatiquement diminuer d’autant leurs émissions. «Le prix du carbone s’établira autour de 100 euros/tonne pour ces industries. Aucun autre continent n’a un prix du carbone aussi ambitieux», s’est réjoui Pascal Canfin (Renew, libéraux), président de la commission Environnement au Parlement.
«Il existe jusqu’en 2026 une marge de manœuvre pour investir dans des énergies décarbonées et gagner en efficacité énergétique. Après, c’est l’heure de vérité: il faudra réduire ses émissions d’ici là, ou payer très cher ensuite», résume l’eurodéputé Peter Liese (PPE, droite).
Le marché carbone s’étendra progressivement au secteur maritime, aux émissions des vols aériens intraeuropéens, et à partir de 2028 aux sites d’incinération de déchets, sous réserve d’une étude favorable rendue par Bruxelles. C’était le point le plus controversé: la Commission proposait de créer un second marché du carbone (ETS2) pour le chauffage des bâtiments et les carburants routiers, où fournisseurs de carburants, gaz et fioul de chauffage devraient acheter des quotas pour couvrir leurs émissions.
Carburants et chauffage : les ménages appelés à mettre la main à la poche
Effarés de l’impact social d’un tel surcoût, les eurodéputés plaidaient pour réserver d’abord cette mesure aux immeubles de bureaux et poids lourds.
Au final, les ménages paieront bien un prix du carbone sur le carburant et le chauffage à partir de 2027, mais ce prix sera plafonné à 45 euros/tonne au moins jusqu’en 2030, et si la flambée actuelle des prix énergétiques se poursuivait, l’entrée en application sera repoussée à 2028. Les secteurs manufacturiers non concernés par l’actuel marché carbone seront également visés. «Les conditions strictes que nous avons posées rendent l’extension aux ménages politiquement acceptable», a jugé Pascal Canfin. «Aucun autre continent n’a une politique aussi ambitieuse pour le climat et pour la décarbonation de son industrie !» s’est par ailleurs félicité sur Twitter l’eurodéputé macroniste.
Nous venons de trouver un accord sur le marché européen du carbone ! Aucun autre continent n’a une politique aussi ambitieuse pour le #climat et pour la décarbonation de son industrie ! Cet accord conclut une année d’accélération sans précédent de la transition écologique de l🇪🇺
— Pascal Canfin (@pcanfin) December 18, 2022
Les recettes du nouveau marché (ET2) devront intégralement financer la transition. Ils viendront notamment alimenter un «Fonds social pour le climat», doté de 86,7 milliards d’euros, créé pour aider les ménages et entreprises vulnérables.
«Ce Fonds ne sera pas un chèque en blanc pour les États. Il aidera les ménages vulnérables dans leur transition énergétique, par exemple avec des subventions pour l’isolation ou pour des transports plus écologiques», a assuré l’eurodéputée Esther de Lange (PPE, droite). De plus, le «Fonds d’innovation» qui accompagne financièrement les entreprises gonflera à environ 50 milliards.
«Quotas gratuits» pour industriels et «miettes» pour les ménages, dénoncent des ONG.
A mesure que montera en puissance une «taxe carbone» aux frontières, l’Union européenne supprimera progressivement les quotas d’émission gratuits alloués jusqu’ici aux industriels européens pour leur permettre d’affronter la concurrence extraeuropéenne. L’équivalent de 98,5 milliards d’euros leur a été distribué entre 2013 et 2021, selon l’ONG WWF. Au moins 2,5% de ces «droits à polluer» gratuits seront supprimés en 2026, puis 10% en 2028, quelque 48,5% d’ici 2030, et ils disparaîtront totalement en 2034.
En revanche, pour qu’ils ne soient pas désavantagés sur le marché mondial, un mécanisme sera élaboré d’ici 2025 pour soutenir les industriels européens exportant vers des pays hors UE sans tarification carbone comparable. «Cet accord permettra aux gros pollueurs de continuer à recevoir des milliards d’euros de quotas gratuits» pendant une décennie, tandis que «les ménages recevront en comparaison des miettes», estime la coordination d’ONG environnementales CAN.
Le label «vert» pour le gaz et le nucléaire, validé par le Parlement européen