D'une main, les Etats-Unis défendaient le droit de l'Ukraine à intégrer l'OTAN au nom de sa souveraineté. De l'autre, ils menacent désormais les Iles Salomon en raison d'un pacte de sécurité signé avec Pékin. Un paroxysme d'hypocrisie assumé.
Avant le début de l’opération militaire russe en Ukraine, Washington le répétait à l’envi : la position de Moscou – pour qui l’intégration de Kiev à l’OTAN est considérée comme une ligne rouge – serait indéfendable. L’argument principal de la diplomatie américaine reposait sur le droit souverain de Kiev à choisir ses partenariats stratégiques et militaires, et ce quoi qu’en pense son voisin.
«Le point de vue du président et de l’administration est que le droit des nations souveraines de choisir leurs partenariats et leurs alliances est un principe fondamental de la sécurité européenne», soulignait à ce propos la porte-parole de la Maison Blanche – et future animatrice de télévision – Jen Psaki fin décembre.
Pourtant, cette défense de la souveraineté des nations, qui semble si bien chevillée au corps des Etats-Unis – et pourrait les définir serait-on même tenté de croire – disparaît en un tour de main dès lors qu’elle ne s’aligne plus avec leurs intérêts. Fin mars, les Iles Salomon, petit archipel de 700 000 âmes au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et ouvert sur l’océan Pacifique, ont signé un pacte de sécurité avec la Chine. Une nouvelle immédiatement vue par Washington comme une menace sérieuse à son ambition de contenir Pékin dans la région, formalisée par la signature de son propre pacte de sécurité avec l’Australie et le Royaume-Uni.
Subitement alors, le ton change. Dans un communiqué publié le 22 avril, le leader du monde libre prévient qu’il réagira «en conséquence» si des mesures venaient à être prises pour établir une présence ou des installations militaires chinoises dans l’archipel. Quelques jours plus tard, c’est le secrétaire d’Etat pour l’Asie de l’Est et le Pacifique Daniel Kritenbrink qui vient faire part de ses préoccupations à ses «amis» des Iles Salomon. Dans une tirade au double discours parfaitement assumé, le diplomate, droit dans se bottes, affirme respecter «bien entendu» la souveraineté des Îles Salomon, mais souligne que Washington répondra «très naturellement» à de telles mesures.
Poussé par les journalistes, curieux de savoir à quel type de répercussions les Iles Salomon devaient s’attendre, le diplomate ne s’est pas épanché mais s’est bien gardé d’écarter l’option militaire : «Ecoutez, je ne vais pas spéculer et je ne suis pas en mesure de parler de ce que les Etats-Unis pourraient faire ou ne pas faire dans une telle situation.»
Deux poids deux mesures
Le niveau de dissonance cognitive nécessaire pour tenir simultanément ces deux positions, vis-à-vis de l’Ukraine et des Iles Salomon, est tel qu’il confine au trouble dissociatif de l’identité. Plus encore si l’on s’arrête un instant sur la légitimité objective des préoccupations. Que Moscou s’inquiète de voir son voisin – avec qui elle partage une frontière, une histoire et dont une partie de la population parle la langue – devenir une base arrière de l’OTAN, peut s’entendre d’un point de vue géopolitique à défaut de se comprendre sur celui des principes.
La Russie voit dans l’OTAN une alliance militaire offensive – en témoignent les frappes aériennes sur Belgrade en 1999 – et voit donc l’expansion de l’alliance Atlantique à ses portes comme une menace existentielle. Un argument historiquement acceptable selon les propres standards américains si l’on se réfère à la crise des missiles de 1962, lorsque Washington a exigé et obtenu le retrait de missiles soviétiques de Cuba.
D’un autre côté, quelle menace réelle ferait peser sur les Etats-Unis une éventuelle présence militaire chinoise dans un archipel qui se situe… à quelques 10 000 kilomètres et un océan de ses frontières ? Aucune en dehors d’une menace sur sa volonté d’influence dans cette région que l’on peut difficilement qualifier autrement que d’impérialiste. L’histoire commune entre les deux pays pourrait-elle justifier cette entorse des Etats-Unis à leurs principes affichés sur la souveraineté ? Elle se limite à la campagne de Guadalcanal pendant la Seconde guerre mondiale au terme de laquelle Washington a refusé d’inclure l’archipel dans le programme de financement de reconstruction d’après-guerre. Et les Etats-Unis n’y avaient plus de représentation diplomatique depuis près de 30 ans, la réouverture de l’ambassade américaine en février coïncidant avec le rapprochement de l’archipel avec Pékin.
En tout état de cause, les Iles Salomon ont entendu le message et tenté de rassurer Washington. «Nous nous assurerons que les choses qui se passent dans d’autres pays comme Hong Kong ne se passent pas dans notre propre pays», a ainsi déclaré le 2 mai le diplomate Robert Sisilo, soulignant que la police chinoise stationnée sur place sera sous commandement local. Quelques jours auparavant, le premier ministre Manasseh Sogavare avait affirmé que l’accord avec la Chine ne portait pas sur la militarisation.
L’avenir dira si les Etats-Unis parviennent à entraver durablement la coopération entre les Iles Salomon et la Chine au nom de leur sécurité tout en dénonçant la position de la Russie vis-à-vis de l’OTAN. Que Washington use d’un double standard aussi grossier pour avancer ses pions et défendre ses intérêts sur l’échiquier mondial est tout sauf une surprise. Mais qu’ils puissent le faire sans que cela ne fasse lever un seul sourcil dans le monde médiatique occidental – dans la presse dite «libre» – devrait interpeller tout un chacun.
Frédéric Aigouy
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