L'historien et journaliste spécialiste de l'art de la guerre Sylvain Ferreira se penche sur la situation à Solédar, dont la société militaire privée russe Wagner revendique la prise de contrôle.
Début novembre, les forces russes attaquent le secteur de Bakhmout sur un front qui dépasse largement l’agglomération afin de fragiliser non seulement les défenses immédiates de la ville, mais aussi celles de ses flancs nord et sud. Ainsi, au nord, la petite ville de Solédar connue pour ses importantes mines de sel, constitue un des principaux points défensifs ukrainiens.
Sylvain Ferreira est historien, journaliste, spécialiste de l’art de la guerre à l’époque contemporaine, fondateur du site «Veille Stratégique», consultant TV et auteur de La bataille de Marioupol aux éditions Caraktère.
A la fois point d’ancrage pour la défense du flanc nord de Bakhmout, mais aussi pour tout le secteur du nord Donbass, la ville et son agglomération sont donc le théâtre d’âpres combats depuis plus de deux mois. Début janvier, alors que la bataille pour Bakhmout semblait diminuer d’intensité, les combats pour Solédar sont devenus de plus en plus violents et intenses, au point de «voler» peu à peu la vedette à ceux de Bakhmout au cours de la première semaine de janvier.
En effet, dès le 2 janvier, les unités d’assaut de la société militaire privée (SMP) Wagner – combattant aux côtés des Russes – démarrent l’assaut contre les faubourgs de la ville depuis Bakhmutskoye (au sud-est) et Yakovlevka (au nord-est) emportant plusieurs positions défensives tenues par les 61e et 128e brigades ukrainiennes.
Un assaut éclair
Le 4 janvier, les hommes de Wagner poursuivent leurs attaques et s’emparent de nouveaux points d’appui défensifs au sud de Solédar ainsi qu’autour de la gare de Dekonskaya au sud-est. La progression dans Solédar demeure compliquée en raison de la présence des mines de sel, dont les galeries sont utilisées par les soldats ukrainiens pour prendre à revers leurs assaillants et leur tendre des embuscades. Le même jour, des forces régulières russes, vraisemblablement les parachutistes de la 76e division d’assaut aéroportée de la Garde, démarrent une attaque depuis le sud-ouest de la ville avec pour objectif la prise du village de Krasna Hora.
Simultanément, l’attaque depuis Yakovlevka se poursuit au nord-est de Solédar. Le 5 janvier, Wagner continue sa progression méthodique dans les faubourgs de Solédar. Les abords sud du village de Podgorodne (nord-est de Bakhmout) sont atteints. Dans Solédar même, les combats font rage mais les gains territoriaux sont limités. Les Ukrainiens s’accrochent à chaque maison pour tenter de freiner l’assaut russe. La journée est principalement occupée à la sécurisation des derniers îlots de résistance ukrainiens dans Bakhmoutskoye.
Il faut attendre le lendemain pour voir une modification significative de la ligne de front. Une vidéo apparaît dans laquelle des hommes de Wagner se filment dans le centre de la ville alors que derrière eux on distingue parfaitement le bruit des combats qui se poursuivent. On apprend également qu’au cours de la nuit précédente, les forces de Wagner auraient atteint le village de Krasnopolevka au nord après avoir percé les défenses ukrainiennes.
Au sud, les parachutistes poursuivent leurs attaques en direction de Krasna Hora. Le 8 janvier, les combats dans Solédar se déplacent vers le secteur de la mine 1-3 et autour du centre ville au croisement des rues Karpinsoho et Chkalova. La situation des défenseurs ukrainiens est de plus en plus précaire. Après la perte des deux premières lignes de défense, ils sont désormais repliés derrière la troisième et dernière ligne dans la partie nord-ouest de la ville. La cohésion des unités ukrainiennes semble désormais ébranlée, puisque certaines sources évoquent la fuite d’une partie des unités la 128e brigade. Dans le même temps, la 61e brigade a perdu le contrôle d’au moins trois postes d’observation tandis qu’une partie de la brigade était relevée en raison du nombre importants de pertes subies.
Le 9 janvier, la SMP Wagner poursuit son offensive au centre de la ville et au nord. Dans le centre de Solédar, les combats se focalisent autour des bâtiments administratifs dans lesquels sont encore retranchés une partie des défenseurs ukrainiens. Sur plusieurs chaînes Telegram ukrainiennes, les défenseurs témoignent du retrait imminent de la ville devenue indéfendable.
Au sud-ouest de Solédar, les parachutistes pénètrent dans Krasna Hora et Paraskoviivka où d’intenses combats se déroulent. Le 10 janvier, tout semble s’accélérer. Dans la matinée, Evgueni Prigojine, le patron de Wagner déclare que les combats se concentrent désormais dans la partie ouest de la ville. Il souligne que les défenseurs ukrainiens continuent de se battre avec mordant.
Dans le même temps, l’assaut des parachutistes en direction de la gare de Sol au nord-ouest de Solédar débute depuis le secteur de Blahodatne et Krasna Hora. L’objectif vise clairement à interdire la sortie ouest de la ville pour les troupes ukrainiennes encore présentes dans Solédar. En fin de matinée, le contrôle du centre ville par Wagner est confirmée par une vidéo publiée sur les réseaux sociaux – et géolocalisée – par des hommes de Wagner devant le bâtiment des services administratifs de la ville et l’école numéro 14.
La route en Seversk et Bakhmout est désormais coupée. En début de soirée, Evgueni Prigojine publie une photo de lui en compagnie de ses hommes dans le musée des mines de sel et annonce que les derniers défenseurs ukrainiens – environ 400 hommes – encore présents dans la ville sont totalement encerclés et que les opérations de sécurisation ont déjà commencé. Dans le même temps, les combats en direction de la gare de Sol et de Blahodatne se poursuivent en coordination avec les parachutistes qui progressent le long de la ligne Blahodatne-gare de Sol.
Que faire de la victoire ?
La ville de Solédar est désormais coupée du monde et ses derniers défenseurs ont peu à espérer du monde extérieur. Au cours de la matinée du 11 janvier, plusieurs soldats ukrainiens se sont déjà rendus, certains souffrant d’engelures graves.
En fonction du temps que prendra la sécurisation des derniers blocs d’habitations encore tenus par les Ukrainiens, les Russes pourront probablement poursuivre leur offensive soit vers le sud pour accélérer la chute de Bakhmout, soit vers l’ouest en direction de Slavyansk et Kramatorsk pour interdire aux Ukrainiens d’y établir un nouveau front, soit vers Seversk pour contraindre les Ukrainiens à se replier à l’ouest de l’Oskol.
Reste à découvrir si les Russes ont concentré des moyens blindés-mécanisés importants pour exploiter ce succès. Enfin, si Evgueni Prigojine se vante, à raison, que ses unités sont les seules à avoir participé à la prise directe de la ville, il est évident que l’action des parachutistes de la 76e division d’assaut aéroporté de la Garde sur le flanc sud a joué un rôle déterminant dans l’encerclement et l’effondrement du dispositif défensif ukrainien.
Sylvain Ferreira
Ukraine : Bakhmout, la mère de toutes les batailles ?