France

«Mon problème, c’est l’élite» : que retenir de l’interview censurée de Kémi Seba sur LCP ?

Le militant africain a publié la vidéo de son entretien qu'a choisi de ne pas diffuser LCP. Viscéralement attaché à la souveraineté des pays africains, il y critique des élites africaines «mafieuses» et précise sa vision des relations avec la Russie.

L’interview de Kémi Seba avec le journaliste Yves Thréard, que la chaîne parlementaire LCP a décidé de ne pas diffuser, a été mise en ligne sur YouTube ce 13 mars, le militant y précisant ses vues, en particulier par rapport à la France et à ses relations controversées avec Moscou.

Le prolétariat français n’est pas mon adversaire

Réfutant nourrir une «haine» à l’égard de la France, le président de l’ONG Urgences panafricanistes a préféré mettre en avant une «volonté de justice», de «souveraineté» et d’«autodétermination», réitérant son souhait de voir le «néocolonialisme» disparaître pour de bon du continent africain. Reprenant une thèse déjà exposée à plusieurs reprises, il a avancé que la première phase de décolonisation, dans les années 1960, n’était «malheureusement pas parvenue à son terme», malgré les tentatives de dirigeants tels que Thomas Sankara au Burkina Faso.

«Si vous avez l’armée américaine qui vient à Paris et qui squatte la Tour Eiffel […], je pense que vous ne serez pas contents», a-t-il imagé à propos de la présence militaire française en Afrique, jugeant nécessaire le départ des troupes de l’Hexagone. «Ce qui est valable pour vous l’est aussi pour nous», a estimé Kémi Seba. Quant aux réformes du franc CFA initiées par Emmanuel Macron, le militant les a jugées purement «cosmétiques», même s’il a reconnu que les mobilisations sur cet enjeu de la dépendance monétaire avaient permis d’amorcer un changement.

Des membres des forces de sécurité burkinabè patrouillent dans les rues de Ouagadougou le 22 janvier 2022 (image d'illustration).

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«Le prolétariat français n’est pas mon adversaire, mon problème, ce sont les élites néolibérales», a souligné Kémi Seba, qui n’attribue pas tous les malheurs du continent à l’héritage colonial français. Il a ainsi attaqué sévèrement les dirigeants d’Afrique francophone, qualifiés de «mafieux», habitués à détourner les fonds publics et à mener des vies de rêve, évoquant entre autres Patrice Talon pour le Bénin ou Alassane Ouattara pour la Côte d’Ivoire.

Il y plein de choses qui ne m’intéressent pas en Russie

Interrogé par Yves Thréard sur ses voyages réguliers à Moscou et en Turquie, Kémi Seba s’est étonné des réactions suscitées par ses déplacements et discussions, alors que la France avait de multiples échanges et contrats avec la Russie avant le conflit ukrainien. «Pourquoi quand les Africains […] font de la géopolitique, ça devient tout de suite une volonté de changer de maître ?», a-t-il interrogé.

Il a d’ailleurs précisé ne pas avoir échangé récemment avec le patron de la société militaire privée Wagner, Evguéni Prigojine, expliquant qu’il importe, en termes de tactique, de savoir «tisser des liens» avec des acteurs capables de faire «contrepoids» à un ennemi plus puissant. «Ça ne veut pas dire qu’ils sont vos patrons, et ils ne le seront jamais», a-t-il insisté en évoquant ces liens, incluant donc ceux avec la Russie.

Kémi Seba s’est d’ailleurs dit peu concerné par le conflit ukrainien, qu’il a qualifié sur un ton amusé de «guerre interethnique entre la Russie et les cousins européens», reprenant une formule souvent appliquée à l’Afrique. «Il y plein de choses qui ne m’intéressent pas en Russie», a-t-il poursuivi, évoquant aussi le «racisme» qui y existe. «La Russie, moi ce qui m’intéresse, c’est la manière dont elle dérange l’Occident», a-t-il expliqué. «Je suis plus proche de Cuba ou de l’Iran que de la Russie ou de la Turquie», a-t-il ajouté, notant que cette proximité était rarement mise en avant.

Kémi Seba a néanmoins affiché une affinité idéologique avec Moscou, plus précisément avec Alexandre Douguine dont la fille est décédée dans un attentat près de la capitale russe. «Nous ne sommes pas d’accord sur tout», a-t-il précisé, qualifiant cependant l’intellectuel eurasiste de «camarade» avec qui il partage «la même détestation du néolibéralisme et du progressisme dégénéré» promus, selon lui, par l’Occident.

Quant à l’inquiétante progression des forces djihadistes, en particulier au Sahel, le panafricaniste a rappelé le rôle de l’Occident dans la déstabilisation de la région avec le renversement de Mouammar Kadhafi en Libye. «Cet islamisme ne passera pas», a-t-il assuré, tout en affirmant que les créateurs de ce Frankenstein sont plus du côté de Paris et de Washington que […] de Ouagadougou ou de Bamako».

Bientôt une candidature à la présidentielle au Bénin ?

Interrogé sur un éventuel engagement direct en politique au Bénin, Kémi Seba a indiqué que cette perspective était «du domaine du possible» mais rappelé que le processus électoral y était «vicié». «La quasi-totalité des opposants sont soient en prison, soit en exil», a-t-il déploré, soulignant que les candidats autorisés sont soigneusement sélectionnés par le pouvoir. 

«Est-ce que vous êtes à l’Afrique, ou au Bénin, ce que Zemmour est à la France ? », lui a ensuite demandé Yves Thréard. Le militant a répondu qu’il ne considérait pas le polémiste de droite radicale comme un modèle, jugeant qu’Eric Zemmour «ne s’attaque pas aux réelles causes, mais aux conséquences». Il se tromperait ainsi en se focalisant sur l’immigration sans s’interroger sur ses origines profondes, notamment les «pillages économiques» qui impliquent des dirigeants proches idéologiquement du polémiste tels que Vincent Bolloré. «Moi, mon problème c’est l’élite», a-t-il à l’inverse réaffirmé.

En conclusion, Kémi Seba affiche son optimisme, affirmant «qu’une fièvre est en train de monter» sur l’ensemble du continent africain, au service d’une «volonté de changement».

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