Agriculteurs, camionneurs, conducteurs de train : en Allemagne, de nombreux travailleurs font savoir qu’ils en ont assez, alors que la cote de popularité du chancelier allemand a chuté jusqu’à 20 %. Une analyse de Rachel Marsden.
Cet article a été initialement publié sur RT International par la journaliste et présentatrice Rachel Marsden.
J’ai passé une semaine avec des agriculteurs qui manifestaient près de la Porte de Brandebourg à Berlin. Dommage que le gouvernement du chancelier Olaf Scholz ne soit pas descendu de ses grands chevaux pour faire de même. C’était une occasion ratée d’avoir une prise de conscience bien nécessaire de la réalité.
Au lieu de cela, le ministère de l’Intérieur s’est contenté de présenter les manifestants comme susceptibles d’être infiltrés par l’extrême droite. Olaf Scholz a déclaré que «la rage est délibérément attisée» par des «extrémistes». Interrogés sur ce concept, les agriculteurs ont unanimement répondu par des rires, des roulements des yeux ou des blagues et des bons mots. Si vous voulez abattre un chien, dites qu’il a la rage ou qu’il a fréquenté l’extrême droite.
Bien que la manifestation ait eu lieu juste en face du parlement allemand, les agriculteurs ont déclaré que les seuls fonctionnaires dont la présence a été constatée et qui ont voulu se renseigner sur les préoccupations des manifestants, étaient des représentants du parti de droite Alternative pour l’Allemagne. Oh non, on dirait qu’ils sont déjà en train de collaborer ! Ou peut-être qu’ils font tout simplement leur travail en essayant de saisir la «vérité du terrain» de la situation plutôt que de l’encadrer dans une narration commode afin de mieux le rejeter.
Lorsqu’un représentant du gouvernement a finalement honoré la manifestation de sa présence le 15 janvier, à l’apogée de la semaine de protestation, c’est le ministre des finances Christian Lindner qui est monté au créneau et a proclamé haut et fort que le gouvernement n’avait fondamentalement pas d’argent. «Je ne peux pas vous promettre davantage d’aide de la part du budget fédéral mais nous pouvons nous battre ensemble pour que vous jouissiez de plus de liberté et de respect pour votre travail», a-t-il déclaré.
Moi, je ne travaille pas dans l’agriculture, même si j’ai été élevée dans une ferme au Canada, et pourtant je trouve cela exaspérant, surtout en tant que femme. Parce que Lindner ressemble à un type qui, lors d’un rendez-vous, dit qu’il est à court de sous, mais qui, au lieu de partager l’addition, veut que vous payiez le tout. Les agriculteurs ne demandent pas à Berlin de payer leurs factures. Ce qu’ils veulent, c’est que l’équipe de Scholz cesse de prendre leur argent durement gagné, sous la forme de taxes imposés sur le diesel pour leurs véhicules agricoles, en particulier à un moment où les efforts du gouvernement pour contrer la Russie et l’épouvantail du changement climatique, qui rendent l’énergie fossile moins disponible et moins abordable, compliquent leur travail consistant à nourrir le pays.
Les agriculteurs allemands paient les erreurs du gouvernement
C’est comme si les agriculteurs ne payaient pas déjà assez cher ce gouvernement. Un ouvrier agricole m’a raconté que son patron dispose d’un budget de 3 300 euros par mois pour son travail, et qu’une fois les taxes payées, le salaire versé à l’ouvrier s’élève à 1 400 euros. Où va tout cet argent ?
Voici la clé. En automne dernier, Scholz a déclaré que l’Allemagne devait «être en mesure d’aider l’Ukraine sur la base de la solidarité. Nous soutenons l’Ukraine dans sa lutte pour la défense, avec des ressources financières et des armes». Pourtant, les agriculteurs allemands ne sont pas seulement invités à manger de la brioche, à la Marie-Antoinette, mais aussi à payer les erreurs du gouvernement.
L’équipe de Scholz a fait un trou dans son propre budget en transférant de l’argent d’un fonds Covid à un « fonds pour le climat et la transformation », mais n’a pas pu le rembourser, causant un déficit de 17 milliards d’euros (18,5 milliards de dollars) et la nécessité de recourir à des mesures d’austérité. Olaf Scholz veut donc que les agriculteurs paient ses factures, mais aussi ses erreurs à lui. Et s’ils refusent, c’est qu’ils ont été sans doute endoctrinés par des extrémistes de droite.
Les agriculteurs en première ligne au quotidien
Contrairement à ce gouvernement, les agriculteurs sont fiers de leur productivité et de leur autosuffisance, ce qui fait d’eux des cibles juteuses pour les chasseurs d’or du Bundestag. Lorsque les inondations ont frappé l’Allemagne, ce sont les agriculteurs, selon eux, qui étaient en première ligne pour secourir les gens avant même que l’armée ne soit sur place. Tout au long de la semaine de protestation, pendant laquelle les températures ont été inférieures à zéro, les agriculteurs ont affronté les intempéries avec plusieurs gros poêles à bois alimentés par un énorme bac de bûches. Beaucoup ont dormi dans leurs camions ou leurs tracteurs toute la semaine. Il n’est pas surprenant que des pompiers soient apparus sur des réseaux sociaux pour exprimer leur soutien et leur admiration pour ce groupe, car un grand nombre d’agriculteurs sont également pompiers volontaires dans leurs communautés.
Pendant qu’il se cache dans son bureau de l’autre côté de la rue, sous les klaxons des poids lourds, la cote de popularité d’Olaf Scholz oscille autour de 20 %, alors que 69 % des Allemands soutiennent les manifestations des agriculteurs, selon un sondage INSA réalisé au début du mois. Le Bundeskanzler s’est-il rendu compte que si une si grande partie de la population, de droite comme de gauche, est d’accord sur un point, c’est peut-être qu’il a un problème chez vous ?
La solidarité et l’unité observées devant la Porte de Brandebourg (symbole de la division autrefois situé dans le no man’s land entre Berlin-Est et Berlin-Ouest) étaient stupéfiantes : depuis une femme portant un hijab qui distribuait de la soupe jusqu’à des Berlinois d’origine immigrée qui se promenaient parmi les participants et exprimaient leur soutien. Non seulement les camions ont rejoint les tracteurs, mais la rumeur s’est répandue que des agriculteurs et des camionneurs néerlandais se trouvaient sur l’autoroute A2 et se dirigeaient vers Berlin. On entendait également dire que des camionneurs polonais et russes auraient uni leurs forces, en route depuis la frontière polonaise, à quelques heures de là.
Les agriculteurs et les camionneurs ne sont pas les seuls à en avoir assez. Les conducteurs des trains de la Deutsche Bahn se sont mis en grève la même semaine que les agriculteurs. Alors que le gouvernement marchande avec eux à propos de la demande de leur syndicat qui réclame une prime unique de 3 000 euros (3 265 dollars) pour couvrir l’inflation induite par le gouvernement, il a néanmoins réussi à trouver plusieurs millions d’euros supplémentaires pour chacun des neuf cadres supérieurs de la compagnie entièrement détenue par l’État.
Tandis que certains agriculteurs, debout sur leurs tracteurs, diffusaient la scène en direct sur TikTok, d’autres surveillaient l’application pour obtenir des informations sur des événements connexes ailleurs, comme les pièces d’un puzzle géant qui formaient une image du mécontentement à l’égard de l’establishment occidental bien plus grande que ce que l’on pouvait voir depuis une seule localité.
Le mouvement s’étend en Europe
Les agriculteurs néerlandais, solidaires de leurs homologues allemands, ont eux-mêmes été poussés par leur gouvernement à céder leurs terres agricoles à des rachats par l’État, sur fond de directives européennes sur le climat imposant des réductions de l’azote produit par les vaches qui défèquent.
Arnaud Rousseau, directeur du syndicat français des agriculteurs (FNSEA), a déclaré, en soutenant la cause des agriculteurs allemands, que « ces mouvements ont tous la même origine : l’écart croissant entre la réalité des pratiques des agriculteurs sur le terrain et les décisions administratives centralisées à Bruxelles ».
Il a ajouté que 55 % des poulets français provenaient désormais d’Ukraine, au détriment des agriculteurs locaux. De même, les agriculteurs polonais et roumains s’opposent activement à l’inondation de leurs propres marchés par des produits agricoles ukrainiens bon marché, après que l’UE a levé des restrictions sur les biens et services pour les fournisseurs ukrainiens jusqu’en juin 2024 au moins.
Concurrence ukrainienne déloyale
Dans le même temps, les camionneurs d’Europe de l’Est ont protesté contre les chauffeurs ukrainiens qui leur volent leurs emplois dans l’UE, ils ont notamment bloqué la frontière ukrainienne au point de provoquer une attente de 127 heures, ce qui donne l’impression que le commerce entre les deux pays voisins, la Pologne et l’Ukraine, aurait pu être plus rapide en passant par le canal de Suez.
«Nous avons pris en compte les arguments des agriculteurs et revu nos propositions. C’est un bon compromis», a déclaré Olaf Scholz, faisant référence à son plan visant à ralentir la récupération des allègements fiscaux au lieu de faire tout en un temps. C’est comme de demander à quelqu’un de payer votre faillite en plusieurs fois, alors que vous continuez à jeter de l’argent à un bouffon connu pour avoir régalé les foules avec des numéros de piano exécutés sans slip et sans employer les mains avant d’être élu président de l’Ukraine. Et aussi parce que vous êtes obsédés par le comptage des molécules de carbone dans l’air, comme une starlette hollywoodienne qui compte les calories.
Le destin politique de Scholz, et celui de l’establishment allemand, est entre ses mains. Et il devrait commencer par retirer ses mains de la poche des agriculteurs avant qu’il ne change de régime et ne perde le pouvoir lors des prochaines élections.
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