Chroniques

New Delhi ne sera pas le proxy de Washington : le temps de l’Inde est venu

New Delhi peut rester partenaire de Washington dans certains domaines, mais ne craint pas de montrer son désaccord à l'Occident si nécessaire, estime Timour Fomenko.

Cet article a été initialement publié sur RT International par Timour Fomenko, analyste politique.

Après que l’Inde a conclu un accord avec l’Iran sur le port de Chabahar, les États-Unis ont riposté, en menaçant New Delhi de sanctions. Cela a mis en évidence une éventuelle divergence géopolitique croissante entre les deux pays au cours des dernières années, même si les États-Unis ont promu l’Inde au niveau de partenaire stratégique essentiel vis-à-vis de la Chine.

Depuis 2017, les États-Unis ont fait de l’Inde l’un de leurs principaux partenaires. Ils sont même allés jusqu’à rebaptiser toute une région en « Indopacifique », voyant en New Delhi un atout stratégique clé dans leur longue quête visant à contenir la poussée de la Chine.

Vladimir Poutine et Narendra Modi en septembre 2022.

Vladimir Poutine s’est entretenu avec le Premier ministre indien Narendra Modi

Ainsi, l’Inde a été saluée pour son engagement en faveur de la démocratie, son potentiel en tant que nouveau géant économique et industriel, et elle a été intégrée à un groupe connu sous le nom de QUAD aux côtés de l’Australie et du Japon.

New Delhi était heureux de capitaliser sur ces ouvertures stratégiques pour favoriser sa propre ascension économique et politique en tant que grande puissance. Alors que les relations entre l’Occident et la Chine se sont aigries, le Premier ministre Narendra Modi a compris que le temps de l’Inde était venu.

New Delhi de plus en plus éloigné des objectifs américains ?

Mais tout d’un coup cet optimisme retrouvé à l’égard de l’Inde a fondu, malgré l’engagement économique croissant de l’Occident envers le pays. New Delhi semble de plus en plus éloigné des objectifs américains au point même que le QUAD a récemment été marginalisé au profit d’un nouveau groupe baptisé le Squad, avec la participation des Philippines pro-américaines de Ferdinand Marcos Jr. prenant la place de l’Inde. C’est comme si les États-Unis pensaient que Manille ferait plus que New Delhi pour coopérer sur des objectifs anti-chinois, par exemple en organisant des exercices militaires conjoints. Ainsi, vu de près, l’Inde semble sombrer dans un isolement relatif. Que s’est-il passé ?

Tout d’abord, l’Inde mène une politique étrangère indépendante et strictement intéressée. Elle pourrait être disposée à se rapprocher des États-Unis pour son propre profit, mais cela n’en fait pas un « allié ». Les États-Unis peuvent soumettre beaucoup de pays à leurs objectifs de politique étrangère, comme la Grande-Bretagne, les pays baltes ou les Philippines, mais l’Inde ne s’y joint que si elle le juge nécessaire. Il est absurde d’affirmer que New Delhi fait partie d’une cause idéologique pour « la démocratie et la liberté », et ses dirigeants n’ont jamais envisagé une telle coopération de cette manière, malgré leurs revendications à l’égard de la Chine. L’Inde n’est pas en faveur du monde unipolaire avec les États-Unis à sa tête, comme le feraient la Grande-Bretagne ou l’Australie. Au contraire, elle cherche à devenir une puissance à part entière dans un monde multipolaire.

L’Inde en désaccord avec l’Occident si nécessaire

Ce faisant, l’Inde entre de manière active en désaccord avec les États-Unis et leurs alliés lorsque cela est nécessaire. Au cours des deux dernières années, ces points de désaccord entre New Delhi et l’Occident se sont multipliés en raison des changements inévitables du climat international qui ont attisé les conflits géopolitiques. L’Inde est intéressée à équilibrer la montée en puissance de la Chine, car elle reconnaît qu’elle pourrait bénéficier économiquement de la réorganisation des chaînes d’approvisionnement et de production. Toutefois, lorsque la politique étrangère menée par les États-Unis tente d’écraser toute la multipolarité à son propre profit, cela devient un problème stratégique pour l’Inde, en créant une divergence d’objectifs entre les deux nations. La guerre en Ukraine en est un exemple éloquent.

Sergueï Lavrov voit en l’Inde un modèle de «diplomatie multilatérale»

Les États-Unis ont cherché, aussi absurde que cela puisse paraître, à utiliser la guerre pour affaiblir la Russie sur les plans économique et militaire, essayant ainsi d’éliminer l’un des principaux partenaires stratégiques de l’Inde dans le domaine de l’énergie et de l’armement. Mais pourquoi l’Inde devrait-elle se conformer au régime de sanctions mis en place par les États-Unis ? Elle ne l’a pas fait et a même recherché des changements monétaires pour l’éviter. La victoire de l’Ukraine affaiblirait et isolerait stratégiquement l’Inde, lui imposant un scénario de dépendance vis-à-vis de l’Occident. Pire encore, la guerre a donné lieu à l’amélioration des relations entre les États-Unis et le Pakistan après la destitution et l’emprisonnement du Premier ministre anti-américain Imran Khan. Pendant un certain temps, les États-Unis ont bien sûr essayé d’ignorer et de concilier ces différences, même s’ils s’appuyaient sur l’Inde. Mais un deuxième problème est apparu dans ce nouveau climat géopolitique tendu : la guerre entre Israël et Gaza.

Beaucoup d’Indiens soutiennent Israël. Toutefois, New Delhi se présente également comme un partisan des pays du Sud, en reconnaissant qu’il perdrait sa crédibilité s’il suivait la ligne occidentale de soutien inconditionnel à la campagne israélienne de destruction génocidaire. Ce qui est plus important, la situation a également entraîné une aggravation du conflit de l’Occident avec l’Iran, qui est un autre partenaire stratégique de l’Inde, avec lequel elle maintient des liens historiques et culturels, ainsi qu’un autre fournisseur essentiel d’énergie. Alors que les tensions entre les États-Unis et l’Iran s’intensifient, l’Inde ne se joindra pas aux pressions occidentales.

L’Inde ne sera pas assujettie à Washington

Enfin, pour couronner le tout, une récente gaffe de Joe Biden a hérissé le poil de l’Inde lorsque le président américain a qualifié la nation de « xénophobe ». Tout cela a eu pour conséquence de rééquilibrer la politique étrangère de l’Inde, en la distanciant des États-Unis.

Pour conclure, New Delhi pourrait être un partenaire des États-Unis dans certains domaines, mais elle ne sera pas son proxy. Les deux pays ont une vision très différente quant au nouvel ordre mondial qui se dessine. L’Inde ne peut accepter son assujettissement aux États-Unis ou la disparition de ses propres partenaires stratégiques sur l’échiquier mondial, ce qui a rapidement détruit cette image idéaliste américaine que l’Inde était un nouveau partisan de la liberté et de la démocratie en quête d’un monde unipolaire.

 

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